Premières: corrigé du devoir sur table: comédies

On purge Bébé, George Feydeau, Première scène: adaptation de M. Bluwal

Le bourgeois gentihomme, Molière,  mise en scène Jean Luc Boutté, 1986, Comédie française, bande annonce.

Corpus :

Molière, Le Bourgeois gentilhomme, II, 4 : Monsieur Jourdain, le maître de philosophie.

Beaumarchais, Le barbier de Séville, 1775

Georges Feydeau, On purge Bébé : Rose, Follavoine.

Eugène Ionesco, La Leçon : Le professeur, l’élève.

Question : Comparez les relations entre les personnages mis en scène dans ces extraits.

Les quatre textes proposés (Molière, Le Bourgeois gentilhomme, 1670 ; Beaumarchais, Le barbier de Séville 1775 ; Georges Feydeau, On purge Bébé, 1910 ; Eugène Ionesco, La Leçon, 1951) mettent en évidence des rapports de pouvoir et de domination, liés à la connaissance et à la culture.

Le maître de philosophie domine M. Jourdain par son savoir comme le professeur domine l’élève : les deux hommes étalent leur connaissance du langage (le pouvoir repose sur sa maîtrise), mais l’aspect ridicule et comique de leurs affirmations (le maître de philosophie dévide des évidences : « la voix A se forme en ouvrant bien la bouche », le professeur file la métaphore jusqu’à l’absurde : « les mots doivent être saisis au vol par les ailes pour qu’ils ne tombent pas dans les oreilles des sourds »)montre à quel point ce pouvoir est factice. De son côté, Bartholo, malgré sa jalousie, ne se méfie pas du professeur de musique et se laisse duper par ce seul titre. Le comte profite largement de cette confiance, et par ses apartés (« Ne la contrariez pas, si vous m’en croyez »), il arrive à ses fins et manipule le Docteur.

Cependant ce pouvoir est fragile : c’est le bourgeois qui rétribue le maître (« Que voulez-vous donc que je vous apprenne ? »), Bartholo, en temps que tuteur de Rosine, a le pouvoir d’annuler la leçon de musique (« Il n’y a pas d’apparence, bachelier, qu’elle prenne de leçon ce soir ») et le professeur ne garde sa suprématie que par la violence : il multiplie les ordres et les menaces, et l’on sait qu’il finira par commettre un meurtre.

Le texte de Feydeau met également en scène une supériorité culturelle : celle de Follavoine vis à vis de Rose, la femme de ménage. La supériorité sociale se croit justifiée par la supériorité culturelle : « Elle ne sait rien cette fille ! Qu’est-ce qu’on lui a appris à l’école ? » s’exclame ainsi le maître. Mais Feydeau dénonce la fausseté d’une telle affirmation en montrant l’ignorance du maître de maison qui cherche les Hébrides à Z’hébrides dans le dictionnaire. Chez Molière comme chez Feydeau, les bourgeois qui ont réussi sont des incultes qui cherchent à masquer leur absence de connaissances.

Ainsi, ces trois quatre auteurs  mettent en scène les rapports qu’entretiennent argent, savoir, pouvoir. Le choix du comique leur permet de dénoncer la vacuité de tels comportements, chacun d’entre eux choisissant une tonalité différente, de la plus souriante (sans doute celle de Molière) à la plus grinçante (celle de Ionesco).

Qu’est-ce qui rend ces quatre textes comiques ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur des exemples précis.

Les quatre textes proposés mettent en œuvre tous les types de comiques reconnus. Ainsi Le Barbier de Séville se fonde sur un comique de situation : Le comte et Rosine trompent Bartholo, en direct, si l’on peut dire, et ce avec la complicité du spectateur, qui, seul, comprend l’ambivalence de certaines répliques : « Le coup m’a porté au cœur » ou « La Précaution inutile », comme titre de la chanson. Le jeu des apartés accentue cette forme de comique.

Le comique de caractère se manifeste tout autant chez Molière, que chez Beaumarchais : dans le premier cas, on se moque de la naïveté du bourgeois, qui ne cesse de s’extasier devant des banalités (« Ma foi ! Oui. Ah ! Que cela est beau ! »), dans l’autre de celle du vieux barbon, que la jeunesse et l’amour ridiculisent, en déjouant tous ces efforts.

On peut aussi considérer qu’avec tous les efforts de monsieur Jourdain pour prononcer correctement les voyelles, gestes outranciers et grimaces concourent à accentuer la portée comique de la scène. De la même manière, les didascalies ou les répliques du professeur dans la Leçon de Ionesco suggèrent des mouvements, fondés sur un aspect mécanique et répétitif, ou sur des mimiques exagérées (« Il est recommandé, dans la mesure du possible, de lever très haut le cou et le menton, de vous élever sur la pointe des pieds, tenez, ainsi, vous voyez… »).

Mais c’est surtout le comique de mots qui est ici développé : ainsi Rose pense que les Hébrides sont des objets qu’on l’accuserait d’avoir dérangés. De son côté, Ionesco laisse fuser des noms, de manière complètement  incohérente, mais en jouant sur les sonorités : « Papillon, eureka, Trafalgar, papi, papa ».Le sens des mots ou des expressions usuelles devient aussi un ressort comique puissant, autant chez Feydeau que chez Ionesco : pour Rose, « de la terre entourée d’eau », cela reste prosaïquement de la boue, tandis que le professeur prend au pied de la lettre l’expression « ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd ». Quant au problème posé par les liaisons, il se retrouve d’un texte à l’autre : Ionesco souligne à quel point certaines liaisons finissent par sembler délirantes : « les f deviennent en ce cas des v, les d des t, les g des k et vice versa », tandis que Follavoine finit par chercher « les Z’Hébrides » à la lettre Z.

Ainsi, on le voit, tous les types de comiques sont ici à l’œuvre, mis au service d’une dénonciation féroce de la vanité des savoirs, le plus souvent envisagés ici comme arme de domination sociale.

Commentaire


Auteur d’origine roumaine, né en 1909 et mort en 1994, Eugène  Ionesco est considéré, avec l’écrivain d’origine irlandaise Samuel Beckett, comme le représentant le plus marquant du théâtre de l’absurde, mouvement qui dans les années 1950, a voulu représenter sur scène l’absurdité de la condition humaine. Les personnages de son théâtre se retrouvent donc perdus, livrés à des occupations sans but: La Cantatrice chauve accumule les situations absurdes, les répliques dénuées de sens, largement inspirées des manuels de conversation pour l’apprentissage des langues étrangères, tandis qu’une horloge égrène des heures parfaitement fantaisistes. Avec La Leçon, en 1951, Ionesco s’attaque au langage et aux tenants du savoir officiel. La pièce comprend essentiellement deux personnages: un professeur de linguistique et sa jeune élève, venue prendre un cours particulier. A l’image de quelques illustres prédécesseurs (on peut penser à Molière, avec Le Bourgeois gentilhomme)  Ionesco choisit la comédiepour évoquer ces relations professeur-élève.

De quelle manière utilise-t-il le comique pour dénoncer les rapports de pouvoir à l’oeuvre derrière la question du savoir? Nous verrons tout d’abord de quelle manière le texte nous propose deux personnages-marionnettes, chacun figés dans une attitude immuable, avant de voir dans un second temps comment le comique attaque plus précisément les gestes et les paroles de l’enseignant. Enfin dans un dernier temps, nous montrerons que derrière ce comique violence et présages de mort sont également là.

I Des attitudes figées

Deux personnages désignés exclusivement par leurs fonctions: le professeur, l’élève, chacun s’inscrivant dans un comportement invariable:

1) L’élève perroquet

L’élève est vouée à la répétition incessante des mêmes phrases: « Oh oui, Monsieur« , « Oui monsieur« , « Bien monsieur, oui, monsieur« , « Oui, monsieur« , « Oui, monsieur« : cinq occurrences de la même formulation réduisent l’élève à une marionnette, figée dans l’acceptation et dans le respect. On a le sentiment d’assister à la définition même de ce que Henri Bergson, dans son ouvrage Le Rire,  considérait comme caractéristique du comique: « du mécanique plaqué sur du vivant« .

2) La pédanterie du professeur (=affectation prétentieuse du savoir)

Elle répond à l’attitude de l’élève, et se manifeste par  l’apparence d’un discours sérieux,

*qui accumule les généralités: « Toute langue…toute langue n’est en somme qu’un langage« , « Ceci est un principe fondamental« ,

*qui multiplie les mots de liaison pour donner au discours qu’il tient une apparence de logique irréfutable: « Ce qui implique nécessairement« , « par conséquent« , « automatiquement« , « justement« , « toujours« , « ainsi donc« .

*qui se développe en de longues phrases (2ème tirade du professeur), dont on perd complètement le sens, ce qui reste un procédé classiquement professoral d’intimidation.

*et qui s’appuie sur des formules adressées à l’élève, destinées à attirer son attention: « Sachez-le, souvenez-vous en jusqu’à l’heure de votre mort« , « Tenez, ainsi, vous voyez« , « regardez« , « J’attire votre attention« , « je vous signale« .

II Un enseignement ridiculisé

Le comique est ici mis au service de la dénonciation: le professeur et son pseudo-enseignement sont parfaitement grotesques et Ionesco même adroitement comique de gestes et comiques de mots.

1) Un personnage ridicule

« lever très haut le cou et le menton« , « vous élever sur la pointe des pieds« , « émettre les sons très haut et de toute la force de vos poumons associée à celle de vos cordes vocales « : l’outrance des postures l’amène à ressembler à une sorte d’animal (certains ont pensé à un coq). Le cri final devient comique d’autant qu’il est appuyé par l’incohérence des mots prononcés les uns à la suite des autres: « Euréka » (j’ai trouvé en grec) renvoie à Archimède et crée une pseudo référence culturelle, tandis que « Trafalgar » renvoie à la victoire de Nelson contre Napoléon. La répétition des mêmes sonorités « papillon« , « papi, papa » suggère une sorte de bégaiement enfantin.

L’absurdité du discours tenu par l’enseignant apparaît à plusieurs reprises. D’abord par la discordance manifeste entre règles et exemples. Si les règles ordonnant les liaisons sont bien celles qui régissent la diction française (Et Ionesco s’amuse de cette langue délirante qui finit par prononcer les f comme des v, les d comme des t  ou les g comme des k), en revanche les exemples donnés n’ont absolument rien à voir: « l’âge nouveau« , « voici la nuit »  sont des expressions qui ne comportent aucune liaison et « trois heures« , « les enfants » ou « le coq au vin » ne présentent pas de caractéristiques particulières de ce point de vue.

2) Un discours absurde

Mais c’est surtout avec le jeu de mots sur l’expression « tomber dans les oreilles des sourds » que le comique va se développer: l’expression en effet est prise au pied de la lettre, et génère la métaphore des sons comme oiseaux ou ballons: « les sons remplis d’air chaud plus léger que l’air environnant » deviennent ainsi des sortes de mongolfières, ce que confirme la comparaison « comme des ballons« . « Voltigeront, voltigeront« , « se maintenir à une attitude élévée dans les airs« , « alourdis« , « s’écrouler« , autant d’expressions qui opposent lourdeur et légéreté, et développent l’image. Cette manière de considérer le langage n’est pas sans rappeler l’épisode des paroles gelées dans le Quart Livre de Rabelais.

Ainsi le délire verbal du professeur avoue sa vacuité: en évoquant des sons « qui s’agrippent les uns aux autres, constituant de syllabes, des mots, à la rigueur des phrases« , il présente ces éléments comme des « assemblages purement irrationnels de sons », « dénués de tout sens » en contraste avec les « mots chargés de signification« : à la légèreté d’un discours qui n’a aucun sens véritable et qui peut donc se dérouler à l’infini (=celui du professeur) s’opposerait donc un autre discours, plus lourd et plus significatif. peut-être celui même d’Ionesco dénonçant la violence de ce pesudo savoir professoral.

III La violence cachée

1) L’autoritarisme du professeur

Au fur et à mesure du texte les impératifs se mutiplient: « sachez-le, souvenez-vous en« , « N’étalez pas votre savoir, écoutez plutôt » (rythme binaire), « taisez-vous. Restez assise. N’interrompez pas » (rythme ternaire), et se répètent (« N’interrompez pas« x2; « continuons » x2). Il s’agit de réduire totalement l’élève au silence et à l’immobilité: « taisez-vous« , « n’interrompez pas« , « restez assise« . Quant à la souffrance de l’élève, mentionnée à deux reprises (« J’ai mal aux dents« ), elle est à chaque fois niée: « Ca n’a pas d’importance. Nous n’allons pas nous arrêter pour si peu« , « continuons« .

En face, l’élève est de plus en plus terrorisée et réduite à néant: la brièveté de ses répliques, l’absence de toute contestation (« oui« , « oui, monsieur« ), le grandissement de sa souffrance, soulignée par les didascalies montrent l’efficacité du discours professoral, quand il s’agit de détruire l’élève.

2) Le discours mortifère

Le professeur devient ainsi de plus en plus inquiètant. L’élève se met à souffrir des dents, qui, symboliquement, représentent une forme d’énergie vitale. Les dents abimées ou perdues sont souvent synonyme de castration, d’impuissance et de mort (On peut penser à la terrifiante nouvelle d’E. Allan Poe, « Bérénice », Nouvelles histoires extraordinaires).

Le champ lexical de la mort est présent dans le discours du professeur: l’expression « jusqu’à l’heure de votre mort » appuyée par l’italique est répétée par l’élève elle-même. Le verbe « tomber » est utilisé par trois fois, « succomber » et « crever » une fois. Quant aux « gouffres » et aux « tombeaux« , leur connotation morbide est évidente.

Les paroles du professeur mentionnent également à plusieurs reprises le changement, le bouleversement, « la pire confusion« , « les consonnes qui changent de nature en liaisons« , comme s’il annonçait par avance sa propre métamorphose, cette folie du langage qui le conduit à la fin de la pièce à tuer cette élève trop peu docile.

Conclusion

Ainsi, derrière l’apparence comique, Ionesco met en scène la violence d’un savoir qui cherche d’autant plus à s’affirmer qu’il se sait vide et sans fondement.Quant au langage, il met en oeuvre cette violence: instrument du pouvoir, il s’enivre de lui-même, conduit le professeur à la folie et l’élève à la mort. Rappelons que si La Leçon dénonce à l’extrême ce que peut cacher la relation entre l’enseignant et les élèves, d’autres auteurs viendront témoigner de l’éclatante revanche de ceux-ci. René de Obaldia, dans sa pièce Classe Terminale présente en effet la révolte des élèves, qui ont tué le professeur pour enfin aller délivrer le Cancre, prisonnier depuis si longtemps dans les souterrains de l’école…

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