Parole(s) en archipel

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Enseigner les arts plastiques, éduquer aux arts et à la culture, aujourd'hui. Un carnet personnel de C. Vieaux.

Fiche 4 – Dossier : Trois grandes positions (traditions) en éducation et leurs liens/incidences avec la transmission de savoirs en matière d’éducation artistique

Fiche 4 : Sur les modèles constructivistes et socioconstructivistes, en éducation artistique

Cette fiche s’intègre dans un dossier composé de cinq autres.

Il s’agit de proposer quelques liens possibles entre des évolutions repérées de la conception de l’éducation artistique et trois grandes positions (traditions) en pédagogie scolaire. Celles-ci constituent des points d’appui pour situer, penser, discuter sa propre action en matière d’éducation aux arts et par les arts. Elles invitent à cultiver l’ancrage dans des formes situées des enseignements et de l’éducation artistiques, également la nuance et le contrepoint dans la prise en compte de leurs possibles incidences, la plasticité professionnelle des enseignants/éducateurs/médiateurs. Elles engagent à une disponibilité critique aux transformations subies ou décidées. 

Présentation sommaire

Cette troisième position (tradition) en éducation tient compte des conceptions préalables aux apprentissages visés. Le constructivisme en pédagogie se fonde sur le principe qu’un nouveau savoir n’est effectif que s’il est reconstruit pour s’intégrer dans un réseau de notions acquises par l’élève.

Il met l’accent sur l’activité de l’élève pour appréhender les phénomènes dont la compréhension s’élabore notamment à partir de ses représentations initiales. L’élève est actif et son autonomie est renforcée. Le rôle de l’enseignant est primordial. Il doit élaborer et mettre en place, de manière stratégique, une pédagogie où la situation de travail proposée permet l’expérimentation, la résolution de problème ou le franchissement d’obstacles. Il en fait des conditions utiles aux changements de conceptions qui sont visés.

Position générale en éducation 

Ces modèles ne sont pas uniformes. Ils sont représentés par divers courants de pensée et différentes pratiques pédagogiques. Tous étant cependant centrés sur l’élève et l’activité d’apprendre : la construction des savoirs se fait par étapes successives, elles-mêmes supposées attentives aux besoins spontanés et aux intérêts « naturels » de l’enfant. C’est l’élève qui apprend par l’intermédiaire de ses représentations et les qualités de ses interactions sociales.

Les conceptions initiales ne sont pas seulement le point de départ et leur dépassement le résultat de l’activité, elles sont au cœur du processus d’apprentissage. Cette conception globalement dite constructiviste s’est appuyée sur les travaux de D. AUSUBEL, J. PIAGET, A. GIORDAN, poursuivis par J. LAVE, J. S. BROWN, A. COLLINS et P. DUGUID.

Quelques problématiques et incidences en éducation artistique

Des positions récentes, certes plutôt confinées dans la sphère du système éducatif, pourraient tendre à considérer que l’ensemble des enseignements et de l’éducation artistiques soient « idéologiquement » d’obédience « strictement » socio-constructiviste. Soucieux de légitimes enjeux de transmission, porteurs de conceptions parfois très rationalisantes, concentrant fortement leur attention sur des modalités exclusivement explicites de l’apprentissage, certains auraient pu donc se convaincre que (presque) toute l’éducation artistique à l’École relèverait de la sorte d’une pédagogie « totalement » dévolue aux formes de la « découverte ». Pourtant, les pratiques observées sont bien plus nuancées…

En l’espèce, l’adhésion à ce présupposé d’un socio-constructiviste et d’une pédagogie de la découverte dominants (bien qu’assez contradictoires si l’on admet que le constructivisme est particulièrement attentif à l’apprentissage, peu compatible avec une émergence espérée dans une position pédagogique erratique) rencontrerait deux groupes de convictions problématiques. Le premier s’inscrirait dans une représentation assez excessive de l’idée de découverte en pédagogie, doublée d’un lieu commun, celui du renoncement dans ce cadre à l’ambition de la transmission. Le second se constituerait dans une confusion — bien connue — entre un « lâcher-prise » pédagogique (accepter et maîtriser professionnellement que les élèves soient associés aux apprentissages, qu’il y aura des initiatives de leur part et de celle de l’enseignant « in vivo » de la conduite pédagogique) et du « laisser-aller » éducatif (supposer que les élèves seraient condamnés à découvrir par eux-mêmes tous les savoirs, que l’enseignant attendrait — par principe — que le savoir émerge de lui-même de l’activité, que tous les avis ou toutes les émotions ou les productions des élèves valent à parité avec les connaissances).

La première conviction supra alimenterait et s’alimenterait volontiers de débats idéologiques ou des reproches en idéologie relatifs aux valeurs et aux « méthodes » valables de l’enseignement (plutôt hors du terrain des établissements scolaires). La seconde occuperait plus facilement un versant, moins théoriquement structuré, des querelles traditionnelles des pratiques professionnelles dans l’enseignement scolaire (repérable entre pairs, à tous les échelons de l’École, donc y compris dans les établissements), dont les disputes diverses enrichiraient le terreau du premier.

Or, en enseignements et éducation artistiques, ce qui s’observe plutôt, c’est :
1. que certes les élèves sont associés à leurs apprentissages, mais — notamment — par l’approche active d’un problème/savoir artistique de référence et repérable (correspondant à une ambition de formation ou répondant à une prescription programmatique),
2. que ce problème/savoir artistique est lui-même traduit/transposé pour être travaillé pédagogiquement au moyen d’une activité stimulante (enrôlement dans des apprentissages qui, pour une grande part, portent par essence sur des compétences d’expression sensible, de créativité),
3. que l’activité et des productions sont en retour explicitées, au fil de l’eau ou dans des temporalités spécifiques, principalement en appui sur les pratiques, les constats, les interprétations, les analyses des élèves (structuration de la modalité du recul réflexif, de l’explication de l’agir, du passage des expériences aux champs des connaissances visées),
4. que la mise en relation de tout cet ensemble avec des savoirs, des pratiques, des œuvres de référence repérables dans les arts et la culture (acculturation, références communes, transferts d’acquis « endogènes » aux situations d’apprentissage vers des « objets exogènes » relevant du monde des arts et de la culture, et réciproquement).

Tout ceci relevant bien d’une transmission, articulant des approches inductives et déductives, de manière régulière des expériences avec composantes explicites de l’apprentissage.

Les enseignants/éducateurs/médiateurs en matière d’éducation artistique et culturelle rechercheraient peut-être des compromis, les plus efficaces possible, entre divers modèles…

Des questions sur les métissages pédagogiques, la didactisation, l’enseignement par la création, l’exigence

  • Béhaviorisme et constructivisme hybridés ?
    • À quoi correspondrait ce « métissage » pédagogique ?
    • En quoi la forme et les attentes scolaires pèsent aussi sur l’économie générale et des singularités des apprentissages en arts ?
  • Vers une didactique de l’éducation artistique ?
    • L’installation d’une routine : après l’innovation ou l’impulsion de nouveaux schémas ?
  • La création est-elle une « question », voire un problème stimulant, qui se découvre et se travaille « ordinairement » aussi à l’École ?
    • Hiatus entre des visées de l’éducation artistique « moderne » et la forme scolaire traditionnelle ?
    • Aborder l’art et la culture par la création et considérer la création comme une question enseignable : un inachevé intrinsèque de l’éducation artistique ?
  • Qu’en est-il de l’exigence pour les professionnels ?

  • Béhaviorisme et constructivisme hybridés ?

D’une manière générale, en éducation artistique, ce qui relèverait d’une position constructiviste apparaît souvent en partie mixée avec le modèle comportementaliste.

Δ À quoi correspondrait ce « métissage » pédagogique ?

 Métissages, hybridations des conceptions pédagogiques : imprécision, compromis, impureté, pragmatisme…, au regard des modèles théoriques.

Remarques :

Les enseignants sont massivement soucieux de leurs élèves. Ils peinent à les laisser se débrouiller seuls devant les difficultés. Il leur importe de ne pas les laisser s’installer dans l’échec. D’une manière générale, pour faire adhérer les élèves aux apprentissages et les faire progresser, ils sont attentifs à trouver des démarches efficaces, quitte à mixer différents modèles.

À noter : ce mixage/métissage pourrait ne pas être considéré comme pleinement efficace (sous l’angle des apprentissages systématiques, de certaines automatisations nécessaires, d’une représentation explicite des savoirs en amont même de l’activité, etc.).

À noter également : ce mixage/métissage s’avère souvent une source de progrès en termes de développement professionnel et de goût pour une « pratique » construite et réfléchie de la pédagogie.

Deux constats :

Les observations de terrain sont nombreuses qui témoignent des ces hybridations/métissages (comptes rendus de formateurs, rapports d’inspection, études de cohortes, etc.). Sur ce point, il peut même y avoir  des tensions historiques entre des modèles théoriques initialement visés et des régulations ou des ajustements de ce modèle par les praticiens, dans la classe. Il en ressort deux grands constats.

  • En matière d’enseignements artistiques à l’École, les professeurs favorisent fréquemment des approches où la phase d’élaboration est détachée du processus global de la pratique (approches inductives) au moyen d’une réflexion initiale sur les données d’un problème, la définition préalable d’un projet, explicitation des attendus, etc.
    • Il en va d’un souci d’efficacité comme d’une correspondance à une forme pédagogique « sérieuse », socialement attendue (le savoir ou ses questions sont visibles d’emblée).
    • Cette élaboration est toutefois plutôt extrinsèque aux processus complet de la pratique. Elle peut lui être alors équivalente en visée comme en évaluation.
    • L’enseignant est bien au centre de ces processus.
  • La pratique, bien que pensée comme un agir sensible et réflexif (modalités plus déductives), est alors paradoxalement située dans le schéma des scansions pédagogiques.
    • De centre ou creuset des apprentissages, elle devient plutôt un moment un peu moins directement « pilotée » ou orientée par l’enseignant.
    • La pratique, au sens sens d’une praxis (une articulation et un va-et-vient dialectique entre le faire et le penser sur le faire), ne dispose plus de tout son potentiel de rétroactions entre intentions/essais/production/ajustements/choix et selon d’autres dynamiques.
    • L’élève est bien au centre de ces processus.

Des conséquences à considérer, prudemment :

Parfois, la part donnée à un processus systématique d’élaboration en amont de tout engagement d’une pratique (dite « exploratoire ») tend à conférer une dimension plus conceptuelle a priori aux apprentissages.

Cette bascule pourrait être perçue comme une rupture avec les équilibres du contrat didactique de référence de l’éducation artistique (place centrale de la pratique/expérience sensible/passage a postériori ou in vivo des expériences aux connaissances).

Δ En quoi la forme et les attentes scolaires pèsent aussi sur l’économie générale et des singularités des apprentissages en arts ?

 En s’efforçant de tenir les deux extrémités de « l’arc scolaire » (enseigner des savoirs – éduquer les citoyens), les professeurs « font » des enseignements et de l’éducation artistiques avec les obstacles et les leviers de la forme scolaire.

Remarques :

Croisant dans l’apprentissage des entrées — principalement — pratiques et — ponctuellement — théoriques (de l’activité et de l’explicitation de l’activité comme de ses résultats), les professeurs des disciplines artistiques — notamment au collège — veillent à placer l’élève en situation de vivre (à l’échelle de classe, d’une situation d’apprentissage, dans une modélisation éducatrice ou instructrice) un processus de création ou d’expérimentation : l’éprouver pour en tirer des acquis (notamment scolaires ou présents dans les référentiels de la scolarité [programmes, Socle commun, éducations transversales, etc.]).

Considérons les points suivants :

  • L’apprentissage se construit au cœur d’une production et d’une réception, successivement ou simultanément, l’une et l’autre étant sensibles (donc assez proche de la sphère des comportements de types artistiques et/ou culturels).
  • La temporalité de ces expériences s’inscrit dans une scansion scolaire qui n’est pas nécessairement celle du temps de l’expérience sensible a-scolaire, ce qui est en soi une problématique à prendre en compte. Toutefois, les modélisations qui en résultent sont aussi un des leviers de la démocratisation de l’éducation artistique : elles l’inscrivent « pleinement » dans un commun de l’École.
  • Vécu par l’élève et la classe, cet apprentissage est stratégiquement impulsé/structuré par l’enseignant sur la base d’une proposition de travail la plus ouverte possible, donc soucieuse d’accueillir la singularité de l’enfant (dans une conception assez proche d’un socioconstructivisme). Cependant, portées par les visées des apprentissages (scolaires, socio-comportementaux, culturels, etc.), les productions des élèves sont davantage des « travaux » scolaires que des créations « artistiques », ce qui suscite des débats hors l’École au regard d’un idéal de l’éducation artistique « véritable » et « authentique ».
  • Eu égard à l’organisation commune (traditionnelle) de la scolarité et dans le cadre d’activités s’adressant à tous les élèves (mode simultané), il faut savoir réitérer cette forme tout en veillant à ce qu’elle n’enferme pas les singularités des arts et de la culture (démarche potentiellement comportementalisme du modèle dit de conditionnement). Tout en la variant dans un enseignement « de masse » (pour tous selon la promesse républicaine), il est nécessaire d’en standardiser « l’ingénierie » (économie du travail enseignant). Il en ressort que cette contrainte délicate est aussi à la source d’une didactique de l’éducation artistique (structuration des opérations de l’apprentissage dans une économie spécifique : horaires alloués).
  • En éducation artistique, les étapes du travail et la démarche d’un élève ou d’un groupe d’élèves sont (scolairement) l’objet d’une attention. Ils sont proposés à la régulation comme à l’argumentation (phases explicites et repérables par les élèves), sont installés dans leur « routine » et reproductibles dans toutes les classes, dans un but de formalisation et de rationalisation des acquis[1] (proche d’un modèle de l’enseignement dit explicité). Pour l’enseignant et la classe, c’est un exercice exigeant et fondateur, difficile et émancipateur : trouver des points d’équilibre entre un « expliciter » rationnellement et un « dire le sensible » avec sensibilité (tout ne s’évalue pas dans un contexte d’une scolarité démultipliant les injonctions à évaluer par systématisme).

Une hypothèse :

Une situation d’apprentissage plutôt de nature comportementaliste, en partie par nécessité, et assez systématiquement explicitée par souci efficacité, tend à se relier ou s’hybrider à des schémas de pensée et des représentations des élèves plutôt de nature socioconstructiviste.

Ce « métissage » pédagogique et didactique serait du reste assez empirique. Il peut relever aussi d’un compromis largement partagé et cherchant à garantir, dans la classe comme auprès de la communauté éducative, une reconnaissance d’une forme scolarisée de l’éducation de la sensibilité, opérante scolairement et attentive aux vertus projetées sur l’éducation artistique.

  • Vers une didactique de l’éducation artistique ?

De telles approches « hybridées » sont assez naturellement présentes dans les enseignements artistiques et les médiations culturelles :

« […] cette pédagogie (ici l’auteur envisage le socioconstructivisme) vise l’expression personnelle, la créativité et le développement de l’autonomie, en octroyant une place importante aux tâtonnements et à l’expérimentation individuelle ou en groupe. La construction du savoir s’opère par une grande place à l’action et à l’expression de ses représentations. Les méthodes dites “actives” sont fondées sur ce modèle éducatif (nous avons parlé plus haut de l’opération La Main à la Pâte, reprise par les PRESTE en France), tout comme un certain nombre de lieux d’investigations comme le Children Museum de Boston, la Cité des Enfants de la Villette (Paris) ou Ebullisciences à Vaulx-en-Velin (banlieue de Lyon en France). » (A. GIORDAN).

Des schémas (plutôt) béhavioristes/comportementalistes ont notamment été préfigurés en arts plastiques, dès le milieu des années 1970, dans une forme dite « proposition minimale ». Maturée didactiquement et qualifiée ensuite en partie dans cette discipline sous l’intitulé de « cours en proposition[2] », cette forme évoluait de la sorte vers des schémas plutôt socioconstructivistes, se diffusant ensuite massivement au début des années 1990 dans une hybridation (intuitive ? au gré des appropriations des réseaux de formateurs ?) par le terrain des deux schémas initiaux.

Sur un plan de la pédagogie générale, la « proposition » réfère à la « situation interrogative » ou à la « méthode interrogative ». C’est une modalité de la pédagogie active qui, dans son hybridation (voir infra, §. Fiche 5 : installation d’une position « hybridée » en arts plastiques [et sans doute dans beaucoup d’autres disciplines])  avec des modalités ou temporalités comportementalistes/conditionnements, ne se confond pas vraiment avec une pédagogie relevant « de la découverte ». La création de « situations » d’enseignement (scénarisation), de « dispositifs » pédagogiques (interactions moyens/espaces/ressources/temps/activités) y est prédominante pour ancrer et stimuler un apprentissage ayant des visées prédéfinies (aujourd’hui traduites en compétences et questionnements travaillés) et avec des phases explicitées.

Cette conception « s’épanouit » plus volontiers dans la forme scolaire : elle tente de correspondre à des horaires alloués, de réitérations nécessaires aux apprentissages, un continuum dans les cycles de la scolarité, des prescriptions programmatiques, etc. Dans ses fondements, elle correspond à nombre de facteurs communs des pédagogiques des différents enseignements artistiques.

Hors l’École, elle se repère aussi fréquemment dans les modalités de sensibilisation/transmission artistiques et culturelles relevant de ce mouvement allant des expériences aux connaissances, mouvement assez cohérent et très ancré dès lors qu’il s’agit d’approcher/faire comprendre/transmettre des pratiques artistes ou culturelles de nature essentiellement « expérientielle ». Cela ne fait pas pour autant une didactique « générale » de l’éducation artistique, du moins pas encore (le faudrait-il ?).

Δ L’installation d’une routine : après l’innovation ou l’impulsion de nouveaux schémas ?

 Ne pas figer des dynamiques suscitées ou préserver un « ADN » de l’invention.

Remarques :

Les modalités « actives » dans les enseignements et l’éducation artistiques devaient marquer un saut qualitatif sur la conception des apprentissages (comme dans d’autres champs de la connaissance). Elles ont procédé d’une actualisation pédagogique et didactique, actualisation qui toutefois n’est pas la seule actualité possible (ni définitive ?). Des routines se sont installées. Et la routine n’est peut-être pas non plus synonyme d’immobilisme.

Quelques rappels :

  • En arts plastiques, les modalités « actives » ont opéré une série de passages d’une pédagogie dirigiste vers des modalités plus inductives. Il s’agissait de quitter (lentement) un modèle dominant et historique, strictement centré sur les acquisitions procédurales et techniques au moyen de l’activité plastique — surtout graphique par le domaine du dessin. D’autre part, il a pu être question de transformer (aussi lentement) un modèle minoritaire (plus tardif), et dans une certaine mesure héritier des méthodes dites « naturelles », centrées sur la personne de l’élève sans, parfois, d’autres perspectives d’apprentissage que l’expression individuelle (par exemple le « dessin libre », les situations de « libre expression », etc.).
  • Les modalités actives, mobilisant une stimulation de la créativité, ont installé des objectifs d’enseignement davantage artistiques et culturels. Elles ont contribué à placer l’approche/l’appropriation/l’engagement de divers langages plastiques dans une double perspective : l’encouragement à l’expression personnelle et une large ouverture sur la fréquentation des arts et des œuvres. L’un et l’autre segment touchent aux questions que la création artistique pose ou peut poser dans un contexte d’éducation.
  • Plus précisément, dans ces modalités, la pratique dite à visée artistique (en classe) serait à comprendre au sens d’une praxis : une pratique à la fois créative (stimulation/invention/proposition) et critique (régulation/compréhension/rationalisation) et, non plus, au sens plus étroit, d’un faire strictement technique et très encadré, ou bien, d’une manière plus ouverte, une libre expression sans autre visée qu’elle-même.
  • Dans la modalité du cours dit « en proposition », la pratique plastique est envisagée comme exploratoire. Elle vise alors une éducation critique de la sensibilité, mobilisant une articulation de l’action (expérience sensible et intentions) et de la réflexion sur un « agir » (recul, verbalisation, explicitation). Sur la verbalisation, nous renvoyons à un autre article : https://lewebpedagogique.com/auxvi/2022/03/14/la-verbalisation-en-arts-plastiques-dire-la-pratique-certes-prendre-du-recul-aussi-ou-comment-passer-des-experiences-a-des-savoirs-explicites/

Quatre constats sur la routine :

  • Il s’agit bien d’éducation et d’enseignement — dans leurs modalités formelles. En quelque sorte, il est question d’installer des apprentissages dans une boucle vertueuse se développant du « sensible au sensé », où se travaillent des opérations favorisant le passage des expériences (stimulantes, mobilisatrices) aux connaissances (factuelles, procédurales, notionnelles, etc.). Cette approche engage une préparation sérieuse et des conceptions didactiques où il est utile à chaque niveau d’être inventif.
  • Toutefois, même dans une attente ou une nécessité d’invention professionnelle (créativité ?), ce travail de la pédagogie et de la didactique se standardisent. Notamment parce que l’une et l’autre s’inscrivent dans une économie scolaire, et qu’elles ont un coût pour l’enseignant. Elles s’insèrent dans une routine (puisqu’il faut réitérer et sur la durée), dont il est assez difficile de s’extraire (forme scolaire), pouvant potentiellement nuire à l’invention (créativité pédagogique).
  • Pour autant, la routine est nécessaire dans les conduites pédagogiques à mette en œuvre pour les élèves. Elle formalise aussi une zone des compétences disponibles et procure une réassurance des enseignants sur ce qu’ils savent faire.
  • Elle peut aussi induire quelques raccourcis en matière d’éducation artistique, ici entre parenthèses :
    1. inciter à pratiquer (devient une injonction très scolaire : l’exemple de « l’incitation verbale » — un énoncé de « sujet » au sens d’une directive à agir plus que la construction d’une situation qui engage à agir),
    2. s’enrôler « plastiquement » dans une dynamique de projet (devient un schéma ou un processus unique : un certain syndrome de « l’effectuation » d’une intention personnelle à partir d’un projet prédéfini où l’élève est moins en situation « d’auteur » et de disponibilité à la sérendipité que « d’exécutant » — de lui-même… –),
    3. expliciter/verbaliser les apprentissages (devient une oralisation descriptive du travail plastique ou une évaluation sommative à l’oral),
    4. situer les acquis pour progresser dans un accompagnement des apprentissages (devient une concentration de l’évaluation sur la conclusion d’une séquence et principalement sous une forme rétrospective de la mesure des conditions qualitatives de la réalisation — production et démarche),
    5. découvrir et situer des œuvres pour remobiliser ses acquis et se cultiver (devient un retour « validateur » du travail opéré sur des œuvres de référence, une évaluation par la référence).

Une recommandation :

Toutefois, même routinières, ces réductions sont déjà l’expression d’un sérieux travail des enseignants.

Reste à considérer qu’une telle routine peut aussi conduire à un possible immobilisme pédagogique et/ou didactique qui est problématique en soi.

  • La création est-elle une « question », voire un problème stimulant, qui se découvre et se travaille « ordinairement » aussi à l’École ?

L’idée de « l’œuvre ouverte » (cf. U. ECCO) et l’attention à la polysémie jouent un rôle important dans les modèles évoqués supra en éducation artistique (conditionnement comme socio-constructivisme). Il s’agit, au sens d’une conception « moderne », d’appréhender la création artistique comme une « question ouverte » (non pas seulement au sens qu’elle ouvre la possibilité d’une discussion, mais surtout que des questions ouvertes de natures diverses y sont repérables).

L’ambition de faire vivre aux élèves des situations et des processus susceptibles de faire éprouver les conditions d’une création artistique est très présente, même si elle doit se discuter. Elle s’affronte cependant à des problèmes de temporalité, d’organisation comme aux schémas dominants de l’organisation scolaire.

Δ Hiatus entre ces visées de l’éducation artistique « moderne » et la forme scolaire traditionnelle ?

 La divergence et la différenciation dans les modalités de l’apprentissage en éducation artistique à l’épreuve de la forme simultanée dans l’École.

Remarques :

Le processus et les scansions pédagogiques évoquées supra (dérivés en arts plastiques, par exemple, des origines du cours dit « en proposition minimale ») sont relativement liés à la reconduction d’une organisation pédagogique dominante dans l’École française, celle de l’enseignement simultané. C’est peut-être un point auquel l’on n’a pas suffisamment prêté attention.

Trois constats :

  • Les élèves sont confrontés, dans un horaire donné, dans une classe constituée et simultanément à un même problème (ici de nature artistique). Ils l’investiguent/le travaillent/le résolvent dans des scansions tout autant simultanées dans le schéma général des séquences d’enseignement, schéma qu’il faut lui-même restituer dans le cahier de textes de la classe. Sortir de ce moule et de cette grille revient en partie à se situer à l’oblique vis-à-vis de la forme définie de l’École, au-delà des attentes scolaires ordinaires, en tension sur diverses obligatoires statutaires.
  • Pourtant, dans les approches pédagogiques et didactiques des enseignements et de l’éducation artistiques « modernes », tout concourt à l’encouragement de pratiques diverses chez les élèves, à la pédagogie de projet (principe énoncé dans la littérature réglementaire de l’éducation artistique). Ce qui, dans la forme scolaire, soulève en conséquence des problèmes spécifiques :
    1. dans la classe, les intentions (idées, formes, questions, problèmes, etc.) comme les engagements (y compris techniques) sont bien souvent de nature asynchrone,
    2. en outre, ces approches de l’enseignement sont susceptibles de mobiliser des stratégies de différenciation, elles aussi assez naturellement à l’oblique de la forme « strictement » simultanée.
  • On observera également que, si les modalités coopératives entre les élèves sont bien volontiers reçues, parfois encouragées, voire programmées dans l’éducation artistique, la forme pédagogique de l’enseignement mutuel est peu répandue, voire pratiquement inconnue, bien qu’inspirante et structurante.

Recommandation :

Pour autant, faudrait-il conclure à un antagonisme consubstantiel de l’éducation artistique avec l’École (française ?) ? Et, dans une généralisation (excessive), conclure qu’il faudrait y renoncer à l’École, notamment dans sa forme de l’enseignement ?

Un tel renoncement pourrait reposer sur une conception « essentialisante », selon laquelle ce qui procéderait de la création artistique et de son approche, même sous les modalités d’expériences transposées pour des élèves, serait incompatible avec l’École (ne pas scolariser l’art, l’éducation à l’art, l’éducation par l’art).

Pourtant, la transposition des questions repérables dans la création en situation d’apprentissage et en savoirs à enseigner est un des carburants puissants d’une didactique en éducation artistique. Qui plus est d’une didactique invitant l’École à quelques pas de côté.

Δ Aborder l’art et la culture, par la création et considérer la création comme une question enseignable : une transformation inachevée de l’éducation artistique ?

 Comprendre/faire comprendre dans l’École des changements de paradigmes dans l’éducation artistique (pour elle-même, dans et pour l’École afin de transformer ses modèles traditionnels).

Remarques : 

Les modèles pédagogiques évoqués supra pour l’éducation artistique témoignent d’un véritable retournement. Il a été initié par des précurseurs, diffusé par des programmes et des directives (prescriptions pour l’enseignement comme pour l’EAC), encouragé par des professionnels éclairés et informés, porté par une politique publique et son cadre législatif comme réglementaire. Enseignements artistiques d’une part, action culturelle en milieu scolaire d’autre part, sont progressivement devenus l’ambition d’une éducation artistique et culturelle plus globale, si possible plus complète.

La mise en œuvre d’une approche structurée et variée de la dimension artistique et culturelle devait travailler à rompre, inégalement et de manière asynchrone, avec deux modèles historiques : celui de la formation technique des spécialistes (les artistes) appliquée aux élèves/enfants, celui de la sortie éducative, non systématique et plus ou moins dépendante des ressources comme des volontés disponibles.

L’éducation artistique s’est massivement placée au service de la formation sensible des citoyens, même si son modèle idéal reste inachevé.

Des constats :

  • Cette transformation devait pédagogiquement et didactiquement s’appuyer en priorité sur la pluralité des questions soulevées par les œuvres issues de la modernité et des courants de l’art contemporain. Mais pas seulement.
  • Si le champ contemporain est volontiers mobilisé, c’est qu’il était apparu comme une nécessité dans « l’École contemporaine » (tous les enfants doivent aussi découvrir l’art de leur temps) et comme un « réservoir » riche de pratiques et de débats (porteurs des continuités, des ruptures et des renouvellements de l’art et de l’idée de culture). C’est un témoin et un vecteur non exclusif des formes et des conceptions inscrites dans des périodes antérieures, y compris les plus lointaines.
  • Les dimensions liées à l’exploration/manipulation des langages artistiques et au projet personnel ont été progressivement placées au cœur du processus d’apprentissage.
  • Dans certains domaines artistiques, plus naturellement disponibles, elles suscitent — après différents paliers — la possibilité d’une divergence de la pensée et du faire, de la diversité de conception entre les élèves (au niveau des intentions, à celui des moyens, dans la nature des pratiques et des productions, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un art d’interprétation collective qui mobilise d’ordre ressorts).

Des paradigmes (progressivement et profondément) renouvelés :

  • De la reproduction du lieu commun à l’encouragement de la singularité :
    • en matière d’éducation artistique « moderne », les professeurs/médiateurs doivent travailler avec et sur de la singularité. La diversité est une qualité (dans certains cas un « crédo » ou un slogan, plus rarement un paravent) ;
    • ils produisent ou rencontrent de l’interférence fructueuse entre de l’altérité (le développement de la sensibilité et de la singularité de l’élève/enfant) et des normes en éducation (attitudes, connaissances, etc.).
  • De transmissions passives et commentées à des apprentissages actifs et dialogués :
    • conscients de ces interférences, les professeurs/médiateurs doivent veiller à construire un dialogue entre les élèves, entre les élèves et leurs apprentissages ;
    • plus largement, entre les apprentissages scolaires et les savoirs artistiques et culturels, entre les résultats des activités d’apprentissage et des acquis de compétences, etc.
  • Du respect d’une norme à l’explicitation de processus :
    • ce dialogue doit être ouvert et structurant pour faire reconnaître la pluralité en matière de création et lui donner de la valeur en éducation ;
    • ce qui suppose que l’enseignant/médiateur veille à favoriser le retour critique sur des conditions matérielles, cognitives et notionnelles de cette diversité, et principalement à partir des productions réalisées qui l’expriment.
  • De l’édification des consciences à la prise de recul critique :
    •  les apprentissages se doivent d’accueillir aussi les interrogations légitimes (manifestations d’étonnements, de refus, d’enthousiasme, de stéréotypes, etc.) auxquelles ils ouvrent ou qu’ils suscitent ;
    • en conséquence, l’argumentation — ce qui la sous-tend ou la soutient — est visée tout autant que l’activité dans ses dimensions les plus concrètes.

Hypothèse :

Dans cette éducation à l’art et par l’art, il y a une part d’imprévu : on n’enseigne pas strictement des définitions à restituer, mais aussi des compétences pour accueillir et travailler des questions parfois imprévues (une sérendipité), souvent nées des pratiques des élèves/enfants, et qu’il faut savoir prendre en compte/en charge.

Ceci pourrait-il supposer d’intégrer une part nécessaire d’inachevé dans les modalités de la transmission (dans les différents ordres éducatifs — dans et autour de l’École —, en maturation didactique, en maîtrise professionnelle) ?

Dès lors, il faut soutenir avec délicatesse les complémentarités et les nuances dans l’éducation artistique entre des savoirs/des pratiques explicités, des apprentissages/expériences explicites et une sérendipité intrinsèque aux processus de la création (celle que l’on développe par soi ou pour soi, celle qui est repérable dans les œuvres d’un patrimoine commun).

  • De l’exigence pour les professionnels

La mise en œuvre de ces conceptions requiert plusieurs principes qui, bien évidemment adhèrent à la notion d’enseignement scolaire : la récurrence des activités, la mise en œuvre d’une évaluation fine et en grande partie à visée formative (ou diagnostique), de solides connaissances académiques. D’autres sont communs aux formes scolaires et non scolaires : la verbalisation de l’expérience, un référencement des acquisitions notionnelles, techniques et théoriques.

À l’École, elle suppose un cadre horaire et, au collège, confirme la présence de professeurs spécialistes. Tout cela nécessite un travail sérieux d’appropriation professionnelle des opérations de la didactique. C’est une éducation exigeante vis-à-vis des acteurs.

Christian Vieaux, mars 2022, d’après une première version rédigée en janvier 2009.

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Fiche 4 – Sur les modèles constructivistes et socioconstructivistes en éducation artistique

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[1] Cette phase est nommée, pour la première fois, « verbalisation » dans les programmes d’arts plastiques du collège de 1996. Elle s’apparente à la verbalisation de l’activité ou de l’action vécue. Voir notamment, au-delà des enseignements artistiques, Pierre VERMERSCH, L’entretien d’explicitation. (1994, 2003). Paris, ESF.), puis situés au regard de problématiques ancrées dans le champ artistique (œuvres et pratiques de référence dans une perspective d’ouverture sur les univers artistiques.

[2] Sur la modalité du cours dit en proposition nous renvoyons aux développements présentés par Marie Jeanne BRONDEAU FOUR et Martine COLBOC TERVILLE, in Du dessin aux arts plastiques – Repères historiques et évolution dans l’enseignement secondaire jusqu’en 2000, en 2018, pages 57 à 62.

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