Au siège de l’ONU à Vienne

A la découverte de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique.

L’ONU, on l’imagine surtout à New York, où l’organisation internationale a son siège et tient ses assemblées générales. Mais il existe à Vienne un siège européen de l’ONU. Celui-ci abrite en particulier l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) que j’ai pu visiter. Je vous propose de rappeler le rôle de l’ONU et d’aborder les missions et l’actualité de cette agence avec Monsieur Jean-Louis Falconi, ambassadeur et gouverneur pour la France auprès de l’AIEA.

Comme le disait Henry Cabot Lodge, qui fut ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’ONU, « l’organisation des Nations Unies n’a pas été créée pour nous emmener au paradis, mais pour nous sauver de l’enfer». Lors de la ratification de la Charte des Nations Unies le 26 juin 1945 à San Francisco, l’Organisation des Nations Unies est créée sur les cendres de la Société des nations (SDN), sa prédécesseure qui avait échoué à préserver la paix. Depuis sa création, l’ONU a toujours tenté de résoudre les nombreuses crises qui ont secoué la planète comme par exemple la guerre de Corée et la crise de Suez dans les années 1950. Plus proche de nous, elle s’est souvent retrouvée au premier plan du maintien de la paix (guerres dans l’ex Yougoslavie, devenir du Timor oriental) ou sur des sujets sensibles comme la lutte contre la prolifération nucléaire (Iran, Corée du Nord).  Mais la sécurité internationale n’est qu’une de ses missions parmi bien d’autres : le développement économique, la santé, les droits de l’homme ou la protection de l’environnement et la culture figurent aussi parmi ses nombreux objectifs.

Cette organisation rassemble aujourd’hui 193 Etats. Afin de faire respecter le droit international, elle peut compter sur les 6 institutions qui la composent : l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité (dont la France est membre permanent), le Conseil économique et social, le conseil de tutelle, la Cour internationale de justice et le Secrétariat général (avec à sa tête le Portugais Antonio Guterres). L’ONU dispose d’institutions plus spécialisées comme le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), le programme alimentaire mondial (PAM) ou encore l’UNICEF pour la protection et l’éducation des enfants dans le monde.

Chaque institution a un rôle clé dans le fonctionnement de l’ONU et sert des objectifs bien définis tels que le maintien de la paix et la sécurité internationale, la promotion des droits de l’homme, le développement durable, la coopération internationale et la mise en place d’aide humanitaire. Ainsi le Conseil de sécurité des Nations Unies se charge du maintien de la paix et de la sécurité internationale, en votant si nécessaire des sanctions contre des États. Il peut aller jusqu’à autoriser des interventions militaires pour restaurer la paix (comme le décrit le film La chute du faucon noir sur l’opération de maintien de la paix en Somalie dans les années 90).

© Maxence – Le siège de l’ONU à Vienne.

A Vienne, le siège de l’ONU en Europe continentale est impressionnant avec ses grands bâtiments où sont installés les experts de plusieurs organisations spécialisées et où se croisent et se réunissent les délégations de diplomates venus du monde entier. Les nombreux drapeaux visibles témoignent de tous les pays membres. La visite des lieux est possible pour le public et elle est l’occasion de découvrir notamment les grandes salles où se tiennent des négociations internationales. Le choix de Vienne n’est pas anodin : lorsque ce siège a été décidé, c’était la guerre froide et la capitale autrichienne n’était pas très loin du « rideau de fer » : la frontière entre l’Est et l’Ouest.

Depuis 1957, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) basée ici cherche à promouvoir l’utilisation pacifique de l’énergie atomique et à limiter son utilisation militaire. Elle veille donc aussi à la sécurité et à la sûreté des centrales nucléaires dans le monde. Récemment, elle est intervenue pour inspecter la centrale nucléaire de Zaporijia qui se trouve proche de la ligne de front de la guerre en Ukraine et aujourd’hui en territoire ukrainien occupé par les militaires russes.

Jean-Louis Falconi est diplomate (Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères). Ambassadeur, il travaille actuellement au CEA et exerce la fonction de « gouverneur pour la France auprès de l’AIEA ».

Il a accepté de répondre à des questions sur le rôle de cette agence de l’ONU, et de parler de son métier de diplomate.

© Maxence – Jean-Louis Falconi

Comment l’AIEA promeut-elle l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire ?

Depuis la découverte de l’énergie atomique au début du XXème siècle et de son potentiel, la communauté internationale a eu le souci de promouvoir l’utilisation pacifique de l’atome d’une part et, d’autre part, de limiter au contraire son utilisation militaire. Cet équilibre est incarné par le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, dit « TNP », entré en vigueur en 1970 et qui compte 191 Etats. L’AIEA est l’outil international de promotion des utilisations pacifiques : elle aide les pays dans la recherche et le développement de réacteurs nucléaires pour produire de l’énergie ; elle élabore des standards internationaux auxquels les utilisateurs doivent se conformer pour s’assurer que cette énergie est sûre et sans danger pour les populations ; elle contribue au développement d’applications où le nucléaire aide dans le domaine de la santé (radiographie, traitement des cancers…) ou de l’alimentation.

L’AIEA a-t-elle réellement le pouvoir de limiter la prolifération nucléaire et l’utilisation militaire du nucléaire ?

L’AIEA est dotée d’équipements, de personnels et de pouvoirs d’inspection qui lui permettent de contrôler que les installations dédiées à l’usage pacifique du nucléaire dans presque tous les pays du monde ne peuvent pas être détournées à des fins militaires. Ainsi, le combustible des réacteurs nucléaires, qui, une fois enrichi, pourrait servir à fabriquer des bombes atomiques est comptabilisé et suivi gramme par gramme à travers le monde pour s’assurer qu’aucune matière n’a été détournée. Les inspecteurs de l’AIEA peuvent contrôler sur place, dans les installations, où se trouvent cette matière et, pour les pays qui ont ratifié le « protocole additionnel », ils ont le droit d’inspecter tout lieu ou installation qu’ils suspectent de détenir des matières nucléaires non déclarées. Un pays qui cacherait des pratiques ou des matières liées à une activité militaire pourrait faire l’objet de sanctions décidées par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Quels sont les programmes de surveillance en cours ?

Par définition, tous les pays du monde qui hébergent une activité nucléaire, aussi infime soit-elle, et qui sont membres de l’AIEA font l’objet d’une comptabilité, d’une surveillance et d’inspections. Dans l’essentiel des cas, ces contrôles concluent heureusement qu’il n’existe pas d’activité nucléaire militaire cachée. Un important programme de surveillance est en cours en Iran, qui enrichit de l’uranium alors qu’il n’existe pas de justification pour son utilisation à des fins civiles. Ce pays est particulièrement suivi par les services de l’AIEA et par le conseil des gouverneurs. La Corée du Nord a décidé de se retirer du TNP, elle développe un programme nucléaire militaire non autorisé par la communauté internationale. Elle a fermé ses frontières aux inspecteurs de l’AIEA qui ne peuvent plus y aller ni observer ce qui s’y déroule. C’est une situation très inquiétante.

Pouvez-vous nous dire quel est votre rôle auprès de l’AIEA et nous expliquer le métier de diplomate qui est le vôtre ?

La partie émergée de ma fonction aujourd’hui est de siéger au conseil des gouverneurs, qui comporte 35 membres et constitue l’organe de décision et de pilotage de l’AIEA et d’y représenter la France. Les décisions du conseil sont prises le plus souvent à l’unanimité ce qui nécessite de négocier pied à pied avec vos 34 autres collègues : mon but est de faire prévaloir les objectifs de la France tout en tenant compte des remarques faites par les autres collègues pour atteindre le consensus. C’est ce qu’on appelle « trouver un compromis ». En amont de ces réunions, mon travail consiste à préparer les positions de la France avec les experts du CEA et avec les autres ministères qui ont aussi leur point de vue sur les objectifs d’une négociation (ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ministère de la transition écologique…). Plus généralement, le métier de diplomate est un métier de contact, entre différentes administrations en France et avec des partenaires étrangers. Il faut des qualités relationnelles, de la patience (car avec 191 pays, il faut du temps pour parvenir à un consensus…) mais aussi de la fermeté afin d’essayer de faire triompher les intérêts essentiels de la France et ne pas perdre de vue votre objectif, même si les rapports restent très polis, courtois et aimables dans la forme.

Maxence