Neuf mois en Afrique du Sud : entre splendeur naturelle et défi socio-économique

Je m’appelle Kim, et j’ai eu la chance de vivre 9 mois en Afrique du sud, dans la ville du Cap, au sein d’une famille d’accueil. Dès mon arrivée, j’ai été captivée par des paysages époustouflants : les magnifiques montagnes (Table Mountain et Lion’s Head), et ses spots de surf (comme Long Beach ou encore Muizenberg.) Cependant, au fil du temps je me suis rendue compte de la réalité complexe de cette ville et de son pays. 

Le quartier Dunoon à Cap Town

Malgré les avancées démocratiques des dernières décennies, les inégalités sociales persistent en Afrique du Sud. En tant qu’ancienne résidente du Cap, j’ai pu observer de près les défis auxquels sont confrontés les habitants, en particulier dans les townships surpeuplées. Je me rappelle la fois où j’étais partie avec ma famille d’accueil pour rejoindre Canal Walk, un grand centre commercial. Chaque fois que nous prenions la route, nous passions devant Dunoon : cette township est située dans la banlieue nord de la ville du Cap;  il s’étend sur une superficie d’environ 6,5 kilomètres carrés. Ces quartiers défavorisés, hérités de l’apartheid (dont nous reparlerons plus tard) luttent toujours contre la pauvreté, le chômage et le manque d’accès aux services de base. À chaque passage en voiture à travers Dunoon, il était primordial de fermer les fenêtres en raison de la dangerosité de ce quartier. Les taux de criminalité y sont élevés en raison de la frustration socio-économique, du chômage, de la consommation de drogue ou encore du manque d’infrastructures de soutien. Un ami m’avait raconté qu’il y était passé en voiture avec sa famille et qu’il a été victime d’un « carjacking » (piraterie autoroutière ou vol de voiture). Un individu l’avait menacé avec une arme pour voler ses affaires. Cela s’était produit lorsque le feu était rouge et que le véhicule était à l’arrêt. Cette forme de vol est fréquente dans les townships.

Le « load Shedding »

La crise énergétique de 2007 a engendré une diminution du PIB (de 1 à 1,3 % depuis 2007) et la mise en place des premiers loads shedding.

Le load shedding, ou délestage, est un terme désignant une interruption volontaire et momentanée de la fourniture d’électricité sur une partie du réseau électrique. Il se produit lorsqu’il existe une demande énorme sur le réseau national, ce système se produit uniquement dans les pays les plus pauvres, faibles en apprivoisement d’électricité. Le « load shedding » est devenu une réalité quotidienne pour les habitants. Ces coupures fréquentes perturbent les entreprises, les écoles, les hôpitaux et les commerces, entraînant des pertes d’emploi et une stagnation économique. Les hôpitaux doivent faire face à des pannes d’équipements, ce qui met en danger la vie des patients. Certaines écoles sont contraintes de s’adapter et travaillent dans de mauvaises conditions. Dans mon lycée, quand les pannes se produisaient, nous étions contraints de travailler sans internet et cela rendait la tâche beaucoup plus compliquée pour les professeurs. 

Comment sont organisées ces coupures ? 

Ces coupures sont organisées en 8 différents niveaux en fonction du degré de pression sur le réseau électrique, par exemple, au niveau 1, il y a  trois coupures de deux heures sur une période quatre jours, le niveau 4 correspond à une coupure de 24h sur une période de 4 jours. Enfin, le dernier niveau restreint l’usage de l’électricité pendant 2 jours, sur une période de quatre jours. Chaque niveau est conçu pour réduire la charge sur le réseau électrique de manière progressive en commençant par des coupures minimales et en augmentant progressivement l’ampleur des coupures si nécessaire pour éviter une surcharge du réseau.

Cependant, il existe des applications qui peuvent aider à connaître à l’avance les horaires prévus du « load-shedding ». Sur mon téléphone, j’utilisais la Load Shedding App qui permettait de savoir les horaires par zone géographique et de recevoir des notifications en temps réel sur les coupures.

Qui est à l’origine de cela ? 

À l’origine de ces coupures se trouve ESKOM, l’entreprise publique d’électricité d’Afrique du Sud. Fondé en 1923, ESKOM est l’un des plus grands producteurs d’électricité au monde, l’entreprise fournit environ 95% de l’électricité utilisée en Afrique du Sud et une part importante consommée dans toute l’Afrique australe. 

Eskom coupe l’électricité dans certaines zones et a des périodes programmées. Cela peut arriver en raison de problèmes avec les centrales électriques, de pannes d’équipement ou d’une demande trop élevée d’électricité, comme pendant les périodes de grandes chaleurs.

A présent, je laisse Maxence nous parler de son expérience et nous en dire un peu plus sur le contexte assez complexe de ce pays.

Je m’appelle Maxence et j’ai eu la chance de voyager en Afrique du Sud en 2017. Mon voyage m’a ouvert à la culture sud-africaine que j’ai trouvé très intéressante. En voulant me renseigner davantage sur ce pays méconnu, j’ai pris conscience des défis auquel il est confronté de par son histoire tumultueuse.

En effet, la région est tout d’abord explorée par les Portugais puis colonisée par les Hollandais à partir du XVIIe siècle. Cependant, au XVIIIe siècle, ce sont les Anglais qui imposent leur domination sur les populations locales Zoulous et les Boers (populations issues de l’immigration néerlandaise, française et allemande). Dès lors, la couronne britannique engage une politique colonialiste qui aura toujours des répercussions au XXe siècle. 

Ainsi, en 1948 est instaurée l’apartheid, une politique raciale héritée de la colonisation et similaire à la ségrégation aux États Unis. Les populations locales et même les Afrikaners (descendants des Boers) sont discriminées et leurs libertés restreintes. Les années 80 dans le pays sont caractérisées par l’émergence de l’ANC dirigée par Nelson Mandela qui lutte contre l’apartheid. Celui-ci triomphe en 1992 lorsque l’apartheid est enfin aboli par referendum.

Cependant, de nombreuses inégalités persistent et le pays doit faire face à de nombreux défis. L’héritage raciste de l’apartheid se fait encore sentir 28 ans après la chute du régime ségrégationniste. En effet, les tensions raciales semblent resurgir notamment dans le domaine de l’éducation où de nombreuses altercations et incidents graves entre étudiants blancs et noirs ont été recensés vers Johannesburg. Aussi, la question migratoire pose des questions. Le pays est confronté au phénomène de « Brain Drain », c’est-à-dire que la plupart des classes moyennes et supérieures partent dans un autre pays, souvent au Royaume-Uni, aux États-Unis ou au Canada . A cela s’ajoute le racisme dont souffrent les immigrés arrivés dans le pays car tenus responsables de la situation socio-économique dégradée du pays.

De plus, le pays est gangrené par la corruption. Celle-ci touche toutes les strates de la société africaine et est étroitement liée à un taux d’assassinats politiques très fort. En effet, de nombreux policiers sont impliqués dans des affaires d’assassinats politiques. Et cela atteint les plus hautes sphères du pays puisque le président actuel, Cyril Ramaphosa a fait lui même l’objet d’une enquête pour corruption. 

Enfin, les inégalités sociales demeurent le plus gros défi. Selon un rapport de la banque mondiale, 10 % de la population détiendrait 80 % des richesses, la « race » y joue un facteur déterminant classant ainsi l’Afrique du Sud sur le podium des pays les plus inégalitaires.

Afin de soutenir nos propos, j’ai eu la chance d’interviewer M. Étienne Chapon, consul général de France à Johannesburg. Nous lui avons posé la question ci-dessous à laquelle il a répondu :

Quel est le poids du passé sur la société sud-africaine actuelle ? Que reste-t-il aujourd’hui de l’héritage de Nelson Mandela ?

30 ans après les premières élections démocratiques, l’échiquier politique sud-africain demeure marqué par le passé. Depuis 1994, le parti de Nelson Mandela, l’African National Congress (ANC) domine la scène politique sud-africaine. Le Parti au pouvoir a conservé sa majorité absolue : ce n’est qu’en 2019 qu’il a fait un score inférieur à 60%. Par contraste, le meilleur score d’un des partis d’opposition, celui de la Democratic Alliance (DA) était de 22,2% en 2014. Contrairement aux autres partis, l’ANC reste dominée par des membres qui ont participé à la lutte contre l’apartheid. Même la « nouvelle génération » de cadres de l’ANC se réclame de cet héritage qui résonne au sein de la population presque autant que ses préoccupations quotidiennes.

Les acquis démocratiques des 30 dernières années sont solides : élections crédibles, contre-pouvoirs fonctionnels (justice, média, société civile). Les résultats du recensement de 2022 témoignent de progrès réels dans l’accès aux services essentiels, ce qui n’est pas un mince résultat si l’on tient compte de la croissance de la population, de 50%, depuis le recensement de 1996 et de l’héritage de l’apartheid et ses décennies de politiques publiques visant à couper la population noire de l’accès aux services public.

Cependant, il reste de nombreux défis. Les inégalités ont augmenté, l’Afrique du Sud étant devenu le pays le plus inégalitaire du monde, malgré quelques avancées. Le nombre de cadres noirs a augmenté de 176% entre 2001 et 2017 et la moitié de la classe moyenne est désormais noire (3,4 millions de personnes). Cependant, le salaire moyen d’une personne blanche demeure plus du triple du salaire moyen d’une personne noire et, dans le secteur privé, les Blancs occupent toujours 67% des positions de cadre supérieur, 58% des positions de cadre intermédiaire et 43% des postes de personnel qualifié. Les inégalités territoriales demeurent criantes en dépit de la croissance des zones urbaines. A la suite de l’apartheid qui a achevé d’organiser, après le règne colonial des Britanniques, la ségrégation spatiale de la population sud-africaine, le territoire demeure fragmenté entre les immenses townships accolées à chaque métropole, les complexes sécurisés des populations aisées, les centres urbains peu sûrs ou encore les grandes propriétés agricoles (du Nord-Ouest) et viticole (du Cap occidental).

Kim et Maxence