Les différents sens du mot ” progrès “
 L’histoire des historiens ne sera donc pas ” engloutie ” dans l’histoire philosophique, et Kant prend bien soin de préciser qu’une telle lecture de l’histoire est soutenue par un ” fil conducteur ” qui n’est toutefois que postulé. Il y a cependant ici un nouvel écueil, entretenu une fois encore par les équivoques de notre langage. Le sens commun confond aisément les différentes acceptions du mot ” progrès “. Soutenir que l’humanité ” progresse ” toujours, cela peut signifier tout simplement que la réalité historique est constituée d’un ensemble de processus, qu’elle est une réalité en devenir . Mais on donnera volontiers au mot ” progrès ” son autre sens, celui d’amélioration, d’évolution vers quelque chose de préférable, de plus accompli.  La philosophie s’est parfois complu, elle aussi, dans de telles équivoques. Croire au progrès, pour Kant ou Condorcet, c’est postuler que l’homme est perfectible et que, du fait de l’éducation, tous les acquis culturels sont cumulables. ” L’humanité, écrivait Pascal, dans la Préface de son Traité du vide (NOTE 1), doit être considérée comme un seul homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement “. Or un tel présupposé est contestable, car l’unité de l’humanité est problématique , et ses ” progrès ” sont pour le moins hasardeux et chaotiques.
Le ” patient travail du négatif “
Contrairement à ses prédécesseurs, Hegel ne conçoit pas le ” progrès ” de la raison comme une extension continue des Lumières, ni comme un approfondissement du savoir. Pour lui, le ” progrès ” relève d’une nécessité interne de l’Esprit . Or l’Esprit est la réalité elle-même qui se déploie dans l’ordre du temps. ” Progresser ” signifie tendre nécessairement vers un accomplissement, un achèvement. Ce développement s’effectue en suivant une logique heurtée (” dialectique “), qui opère par déchirements, mutations et crises. Ainsi donc le ” progrès ” ne sera pas apprécié par le ” trou de serrure de la moralité ” (NOTE 2) : autant dire que la satisfaction et les intérêts des hommes ne seront pas pris en compte. Pour Hegel, ni les individus ni les peuples ne savent le sens de ce qu’ils font.  Ils sont néanmoins les instruments inconscients de l ‘” Esprit du monde ” qui doit atteindre son but (sa ” fin “) envers et contre tout. Le parcours de l’Esprit n’est pas décelable à l’œil nu : car la raison emprunte des détours, des voies souterraines, comme une taupe qui ne travaille pas à l’air libre( c’est la ” ruse de la raison “). En d’autres termes, les conflits inextricables, les violences que nous jugeons absurdes, sont aussi les moyens du ” progrès “, c’est-à-dire de la ” marche graduelle par laquelle l’Esprit connaît et réalise sa liberté “.

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