Compte rendu de discussion post-simulation:

Mot clefs: reproduction, féminisme.

Ce texte fait partie d’une série d’étude de cas en philosophie de terrain fictionnelle qui vise à explorer les imaginaires technocapitalistes et leur impact sur la formation existentielle. Cette enquête repose sur la conception de « mondes possibles » en philosophie.

Mots clefs: philosophie de terrain fictionnelle, éducation au futur, philosophie de l’éducation, formation existentielle, éducation au politique.

Cette série repose sur des dialogues philosophiques fictionnels entre plusieurs protagonnistes : AP : apprenti philosophe qui mène un travail de recherche. TC : concepteur des simulations technocapitalistes A-O : opposante à l’innovation présentée dans la simulation.

L’opposante est choisi parmi un panel de citoyennes qui ont été sélectionnés pour effectuer un test de vie dans une simulation de monde pratiquant l’ectogénèse. Ces simulations comprennent un dispositif de distorsion temporel qui fait que le temps s’écoule beaucoup plus rapidement au sein de la simulation. Ce qui fait que les participants peuvent vivre plusieurs années d’expérimentation au sein de la simulation, alors qu’il ne s’est écoulé qu’une semaine dans la réalité.

AP : – L’éctogénèse consiste à faire se développer un fœtus dans un uterus artificiel en dehors d’un organisme humain. Pourquoi avoir développé une simulation d’une telle technologie ?

TC : Nous savons que l’idée de ces technologies a suscité beaucoup de paniques morales, durant le passé en bioéthique, comme avec le clonage reproducteur humain par exemple. En développant cette simulation, nous avons un projet féministe que l’on pourrait qualifier de féministe libéral. Nous pensons que la technique peut remettre en question les inégalités naturelles entre hommes et femmes. Or les femmes sont entravées par la maternité. Il y a des féministes qui l’ont mis en lumière. On peut prendre le cas de Shulamith Firestone ou encore Marcela Iacub. Il s’agit pour nous d’aider à la libération des femmes.

A-O : Alors, là, c’est vraiment trop fort. Déjà, vous savez bien que le problème avec ce type de technologies est toujours le même : elles contribuent aux inégalités sociales de classes. Il y a celles qui peuvent se les payer, et celles qui ne le peuvent pas.

TC : Vous savez que le coût des technologies tend à baisser avec le temps. Cette technologie sera facilement accessible à toutes les femmes, d’autant plus que cela évite les pertes économiques liées à la grossesse. Il y aura même des entreprises qui financeront ce genre de technologies à leurs employées.

A-O : Vous imaginez bien qu’il y aura des versions pour clientes fortunées et des versions hard discount pour les clientes les moins riches.

TC : Au risque de paraître cynique, il en va déjà ainsi avec les inégalités sociales de classe. Certaines femmes sont mieux suivies durant leurs grossesses que d’autres. Elles ont accès à une nourriture de meilleure qualité par exemple ou encore à un environnement plus sain.

A-O : C’est certain que ce n’est pas avec ce genre de raisonnement que l’on va remettre en cause les inégalités massives de richesses… Cela dit, vous prétendez être féministe, alors que vous réduisez le fait d’être une femme à une condition naturelle : la maternité. Ce n’est pas cela qui fait que vous êtes une femme : ce sont les inégalités sociales qui découlent de la maternité et cela vous n’êtes pas prêt à les modifier. Etre femme n’est pas un état de nature, c’est un apprentissage social : « on ne naît pas femme, on le devient » écrivait Simone de Beauvoir.

TC : Mais je ne suis pas moins constructiviste que vous… Je pense que ce que la nature a fait, nous pouvons le modifier grâce à la technique.

A-O : Vous jouez sur les mots. Vous faites référence à un constructivisme technique, alors que je vous parle de constructivisme social.

TC : Peu importe que cette contrainte soit sociale ou naturelle, nous en libérons les femmes grâce à une innovation technique. La technique est bien un fait social.

A-O : Vous naturalisez en réalité cette question car vous refusez d’agir sur les rapports sociaux, sur les inégalités sociales ou les discriminations qui découlent de la maternité.

TC : Attendez, à un moment, vous pouvez bien faire preuve de tout le constructivisme social que vous voulez, il n’en reste pas moins que la maternité n’est pas le fait de personnes assignées hommes à la naissance. Elle est le fait uniquement de certaines personnes dotées d’un uterus.

A-O : Peut-être d’ailleurs que votre prochaine innovation sera d’implanter un utérus artificiel à des personnes assignées hommes à la naissance.

TC : Pourquoi pas, c’est effectivement une idée intéressante. Nous remettrions ainsi en cause une inégalité à savoir que seules les personnes qui ont été assignées femmes à la naissance peuvent porter des enfants.

Remarques : Une idée intéressante qui ressort de cet échange, c’est que pour les tenants de l’éco-technocapitalisme, l’innovation technique rend possible un constructivisme de la matière. La matière inerte ou vivante apparaît comme un ensemble de réalités que l’être humain peut manipuler et reconstruire grâce à la connaissance qu’il a acquise de la réalité naturelle et à la création de technologies.