AP (doctorante) : Je voulais vous poser des questions relativement à vos expérimentations néo-chamaniques. Expliquez-moi en quoi cela consiste ? Pourquoi développer ces expérimentations ?

EF (membre d’une communauté éco-féministe autonome) : Nous souhaitons sortir de l’ontologie naturaliste occidentale. Nous n’appelons pas à proprement parler nos expérimentation de néo-chamaniques. Il nous semble qu’il s’agirait de réappropriation culturelle ou d’extractivisme cognitif relativement à nos communautés sœurs du Sud. Nous préférons parler comme Gilles Deleuze de « Devenir animal ». Nous expérimentons des « devenir animaux » pour essayer de sortir de l’ontologie dualiste naturaliste qui réifie les autres êtres vivants, ainsi que les éco-systèmes.

AP : Mais en quoi le type d’expériences que vous vivez se distingue sur le plan philosophique des expérimentations des hakeurses pour s’hybrider avec des animaux ?

EF : Notre approche n’est pas la même. Les hakeurses se situent dans la lignée de Bruno Latour ou de Donna Haraway. Iels considèrent qu’il y a une continuité ontologique entre la machine, l’humain et l’animal. Il s’agit donc pour iels de remettre en question ces frontières ontologiques en s’appuyant sur des biotechnologies.

En ce qui nous concernent nous refusons tout recours à ces biotechnologies. Nous considérons que le mode de production technocapitaliste fait partie du problème et qu’il est donc nécessaire de rompre à ce système. Il n’est pas possible pour nous de réutiliser ces technologies, même pour les subvertir.

AP : Mais, il y a des technologies produites par les hackeurses qui sont des technologies autonomes, qui ne proviennent pas des industries technocapitalistes ?

EF : Bien souvent ces technologies ne sont pas entièrement indépendantes. Tel ou tel composant a nécessite le mode de production technocapitaliste. Mais en outre, ces innovations technologies indépendantes sont aussi réutilisées par le technocapitalisme et réutilisées à leurs profits.

AP : Mais est-ce que le fait que ces technologies soient réutilisées par le technocapitalisme ne les invalident pas en soi. La roue n’a pas été inventée par le technocapitalisme, mais elle est utilisée aussi dans ce cadre.

EF : Il me semble que notre démarche est totalement différente. Lorsque les hakeureses s’hybrident avec d’autres êtres vivants, iels utilisent des technologies pour cela. Iels peuvent même utiliser des cellules vivantes de synthèse.

Notre démarche consiste dans une expérience symbolique de remise en question de la frontière entre l’humain et l’animal. Nous voulons exprimer que nous partageons la même expérience d’être des êtres vivants. Nous cherchons à produire des nouvelles formes de communautés symboliques entre l’humain et les autres espèces vivantes. Notre objectif est de produire des communautés politiques, de développer des diplomaties quant à la manière d’habiter ensemble un même territoire.

Il nous semble que c’est ce rapport aux êtres vivants que la modernité technocapitaliste a brisé.