Dans L’existentialisme est un humanisme, Sartre énonce quelques éléments intéressants pour penser l’éthique. Le choix dans l’existentialisme de Sartre peut être considéré comme relevant de l’éthique plutôt que de la morale.

En effet, pour Sartre, l’impératif moral catégorique semble être insuffisant pour pouvoir effectuer un choix en situation. Car le sujet se trouve confronté à des conflits de valeurs :

« Ce jeune homme avait le choix, à ce moment-là, entre partir pour l’Angleterre et s’engager dans les Forces Françaises Libres – c’est-à-dire, abandonner sa mère – ou demeurer auprès de sa mère, et l’aider à vivre. Il se rendait bien compte que cette femme ne vivait que par lui et que sa disparition et peut-être sa mort – la plongerait dans le désespoir. Il se rendait aussi compte qu’au fond, concrètement, chaque acte qu’il faisait à l’égard de sa mère avait son répondant, dans ce sens qu’il l’aidait à vivre, au lieu que chaque acte qu’il ferait pour partir et combattre était un acte ambigu qui pouvait se perdre dans les sables, ne servir à rien: par exemple, partant pour l’Angleterre, il pouvait rester indéfiniment dans un camp espagnol, en passant par l’Espagne; il pouvait arriver en Angleterre ou à Alger et être mis dans un bureau pour faire des écritures. Par conséquent, il se trouvait en face de deux types d’action très différents – une concrète, immédiate, mais ne s’adressant qu’à un individu; ou bien une action qui s’adressait à un ensemble infiniment plus vaste, une collectivité nationale, mais qui était par là même ambiguë, et qui pouvait être interrompue en route. Et, en même temps, il hésitait entre deux types de morale. D’une part, une morale de la sympathie, du dévouement individuel; et d’autre part, une morale plus large, mais d’une efficacité plus contestable. Il fallait choisir entre les deux. Qui pouvait l’aider à choisir? La doctrine chrétienne? Non. La doctrine chrétienne dit: soyez charitable, aimez votre prochain, sacrifiez-vous à autrui, choisissez la voie la plus rude etc., etc… Mais quelle est la voie la plus rude? Qui doit-on aimer comme son frère, le combattant ou la mère? Quelle est l’utilité la plus grande, celle, vague, de combattre dans un ensemble, ou celle, précise, d’aider un être précis à vivre? Qui peut en décider a priori? Personne. Aucune morale inscrite ne peut le dire. La morale kantienne dit: ne traitez jamais les autres comme moyen mais comme fin. Très bien; si je demeure auprès de ma mère, je la traiterai comme fin et non comme moyen, mais de ce fait même, je risque de traiter comme moyen ceux qui combattent autour de moi; et réciproquement si je vais rejoindre ceux qui combattent je les traiterai comme fin, et de ce fait je risque de traiter ma mère comme moyen. »

Néanmoins, Sartre admet le principe d’universalité comme test de validité éthique :

« Quand nous disons que l’homme se choisit, nous entendons que chacun d’entre nous se choisit, mais par là nous voulons dire aussi qu’en se choisissant il choisit tous les hommes. En effet, il n’est pas un de nos actes qui, en créant l’homme que nous voulons être, ne crée en même temps une image de l’homme tel que nous estimons qu’il doit être (…) Ainsi, notre responsabilité est beaucoup plus grande que nous ne pourrions le supposer, car elle engage l’humanité entière. Si je suis ouvrier, et si je choisis d’adhérer à un syndicat chrétien plutôt que d’être communiste, si, par cette adhésion, je veux indiquer que la résignation est au fond la solution qui convient à l’homme, que le royaume de l’homme n’est pas sur la terre, je n’engage pas seulement mon cas: je veux être résigné pour tous, par conséquent ma démarche a engagé l’humanité tout entière. Et si je veux, fait plus individuel, me marier, avoir des enfants, même si ce mariage dépend uniquement de ma situation, ou de ma passion, ou de mon désir, par là j’engage non seulement moi-même, mais l’humanité tout entière sur la voie de la monogamie. Ainsi je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l’homme que je choisis; en me choisissant, je choisis l’homme. »