La faiseuse d’anges

Annie Ernaux
Source : https://reseaubibliotheques.rlv.eu/a-decouvrir/dossiers/1153-annie-ernaux-une-ecriture-des-lieux

L’événement est un roman ou plutôt un récit de vie abordant les avortements clandestins. C’est l’histoire d’Annie Ernaux, jeune femme de 24 ans au moment des faits.

Annie nous décrit ce moment dans une clinique. Elle décrit les gens autour d’elle, elle reste figée sur un homme et une femme. Elle est enceinte. Ce qui lui rappelle une étonnante histoire. La sienne.

Lorsqu’elle tombe accidentellement enceinte d’un garçon avec qui elle ne pensait qu’avoir un simple rapport sexuel, elle se sent liée à cet homme et redevable. Elle se retrouve alors prise au piège car dans les années 1960 les femmes n’ont pas le droit d’avorter. Pourtant, elle sait exactement ce qu’elle veut. Elle cherche donc des moyens d’avorter illégalement, et dans le plus grand des silences. Elle est aussi à la recherche de L.B, une autre femme qui a avorté clandestinement. Malheureusement elle n’a aucune réponse. Elle passe dans beaucoup de cabinets, elle y rencontre des médecins qui ont peur de la loi, des médecins qui ne pensent qu’avec leur cerveau d’hommes misogynes : « Instantanément, il lui est venu un air de curiosité et de jouissance, comme s’il me voyait les jambes écartées, le sexe offert« . L’un d’entre eux lui pose beaucoup de questions, puis il l’invite à venir chez lui. Faisant partie d’une association semi-clandestine, elle pense qu’il peut l’aider. Or une fois seuls, il ne veut que lui faire l’amour, comme si cela exaltait ses envies sexuelles qu’elle ne soit plus vierge et qu’elle soit, d’après lui, en position de faiblesse à cause de cette grossesse.

« Il était impossible de déterminer si l’avortement était interdit parce que c’était mal, ou si c’était mal parce que c’était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas LA loi. »

Je trouve cette citation plutôt véridique ! Dans la majorité des cas les femmes ont peur d’avorter car cela est mal vu, car elles n’avaient a priori pas le droit, mais d’un côté pourquoi elles n’auraient pas le droit de se délivrer ? Pourquoi ce sont les femmes qu’on cherche à remettre en question, plutôt que cette loi !?

De par son expérience, Annie Ernaux a dû faire face à des médecins qui avaient peur d’aller à l’encontre de cette loi, par peur de perdre leur droit d’exercer. Elle a aussi fait face à un médecin qui lui a prescrit un traitement pour stopper la grossesse, mais il était contre cela et lui a donné des cachets pour éviter une fausse couche. Elle s’est donc demandé pourquoi cette loi existait et pourquoi elle ne pouvait pas avorter ! ¨Pourquoi c’était à elle de devoir trouver un moyen jusqu’à presque mettre sa propre vie en danger !?

On suit ici un récit avec beaucoup d’événements, des rencontres qui ne mènent à rien car aucune personne ne veut l’aider, un secret à cacher à ses parents et aux gens autour d’elles. Elle passe tout un trimestre à voir des médecins pour trouver des solutions. Elle essaie aussi un peu tous les moyens, pour décrocher « ça », cet embryon. Elle fait des efforts physiques toujours plus forts, puis finalement elle réussit à rencontrer une vieille dame… faiseuse d’anges. Celle qu’elle recherchait depuis quelques mois. Le moment était venu !

Pourquoi elle l’appelle ainsi ? Car souvent  quand quelqu’un perd un bébé, on dit qu’il devient un ange. Et même si elle n’a pas voulu ce bébé, il deviendra un ange. Cette vieille femme finira par l’aider, elle la verra une première fois pour comprendre, une seconde fois pour lui poser une sonde qui va la libérer. Mais comme elle ne ressent ni douleur, ni perte d’embryon, Annie retourne voir la faiseuse d’anges qui lui pose une autre sonde, rouge et rare. Cela va-t-il fonctionner ? Va-t-elle garder l’objet d’un dénouement tant attendu pour affirmer : « Oui, j’ai avorté », ou va t-elle le rendre pour dissimuler l’arme ? Finalement des douleurs atroces surviennent. Sont-elles signes de la délivrance ou d’une agonie, d’un dernier souffle ?

Mais après tout, pourquoi lire un livre sur un drame qui s’est passé il y a presque 60 ans ?

J’ai des raisons assez fondamentales pour que vous ayiez envie de lire cette bouleversante histoire.

Ce récit tourne autour d’une grossesse qui n’est pas désirée. Annie Ernaux et le jeune homme n’ont pas utilisé de contraception. Ce récit fait œuvre de prévention sur le fait d’utiliser des moyens de contraception et d’éviter des grossesses non désirées. C’est  aussi un témoignage pour la légalisation de l’avortement et ce que devaient subir les femmes avant son acceptation.

L’histoire d’Annie Ernaux nous permet aussi de comprendre l’envers du décors : l’ignorance de cet embryon en elle, cette nouvelle désastreuse et la délivrance. Elle vivait simplement sa vie jusqu’à un retard de règles et l’annonce qu’elle est enceinte. C’est le moment précis où elle part vite à la recherche d’une aide, de cette faiseuse d’anges pour être délivrée de cet embryon qu’elle dit être un fardeau. On peut voir les conditions, les jugements, la difficulté, les complications et les peurs liés à cette situation pour une jeune femme des années 1960.

C’est un sujet encore d’actualité même si l’avortement est désormais légal en France, grâce à Simone Veil (sa loi pour l’interruption volontaire de grossesse ( IVG ) est adoptée en 1975). Les femmes en France n’ont plus besoin de faire cela clandestinement, cachées. Mais il existe toujours des gens contre et qui veulent empêcher les femmes de laisser partir cet embryon non voulu, ou qui pourrait naître dans des conditions très peu favorables à son bon développement. L’avortement est quelque chose que l’on peut comprendre.

Pourquoi est-ce toujours la femme qui porte ce fardeau, avec les critiques et les jugements, et pas son partenaire, l’autre auteur de cet évènement ? Finalement, la condition de la femme n’est pas juste, on nous sous-estime ou même on décide toujours tout pour nous… On pense que les femmes venant d’un milieu précaire ne sont pas censées faire de grandes études, ou que si elles tombent enceintes, qu’elles le veuillent ou non, elles doivent mener à terme cette grossesse. On ne cherche pas à connaître les circonstances, leurs envies, leurs problèmes. Si elles sont enceintes, c’est soit disant leur problème et elles doivent assumer en gardant le bébé. Mais malheureusement souvent la femme n’a pas les moyens de payer l’avortement alors elles sont contraintes de garder ce bébé.

J’ai vraiment aimé ce récit, il permet une plus grande ouverture d’esprit. On y découvre les complications et la délivrance d’un avortement tant voulu mais illégal, et donc dangereux. C’est un sujet bien actuel, ces jugements, ces critiques faites aux femmes car elles avortent. Ces critiques portent toujours sur l’accusation selon laquelle une femme est égoïste en faisant ce geste, qu’elle aurait dû se protéger. Je pense qu’elles sont injustes, une femme n’est pas égoïste car elle ne veut pas de bébé. C’est un choix qu’il faut respecter, et non une obligation. Dans certains cas un couple ne pourrait pas subvenir aux besoins de cet enfant. Mais une femme n’avorte jamais par plaisir !

Vous n’avez plus qu’à lire ce roman pour en découvrir davantage, pour découvrir l’histoire et la personne d’Annie Ernaux, le fait qu’elle ne nous donne jamais l’identité des gens auprès d’elle, de son agenda qu’elle tient, de ses descriptions du monde et des évènements qui feront de ce roman, une lutte attractive et émouvante. J’espère sincèrement que vous lirez ce roman, il est vraiment intriguant, prenant, émouvant. Le livre nous donne une nouvelle fois une image de la femme où elle n’est pas maître de ses choix, où en fonction de sa catégorie sociale elle doit suivre les injonctions de la société. C’est un livre engagé dans la lutte pour les droits de la femme puisqu’il aborde les conditions atroces dans lesquelles une femme a dû avorter dans un passé pas si lointain. C’est donc un récit pour lutter pour l’avortement légal, la liberté des femmes, le respect de leurs paroles. 

Ernaux, Annie. L’événement. Gallimard, 2001. 129 p. Folio, 3556. ISBN 978-2-07-041923-4

 

Erin MAISON, 1STS2S1

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