Le nombre d’enfants, une question à l’affiche au Sénégal

En  juillet 2011, le Planning Familial du Sénégal a lancé une campagne d’affichage autour d’un slogan évocateur.

Quelques précisions s’imposent avant l’analyse de l’image.

On trouvera une enquête démographique récente (octobre 2011) sur le site de lagence statistique du Sénégal. Les pages consacrées à la fécondité donnent les informations suivantes :

– l’Indice de Fécondité  est estimé à 5,0 enfants par femme pour l’ensemble du Sénégal ; 

– la fécondité des femmes sénégalaises a connu une baisse très modérée : elle est passée de 6.6 enfants en 1986, à 6 enfants en 1992 et à 5 enfants en 2010-2011.

– elle est beaucoup plus élevé en milieu rural (6,0 enfants par femme) qu’en milieu urbain (3,9).

 

Ces données éclairent les enjeux d’une telle campagne publicitaire.

A l’instar des PMA  sahéliens, le Sénégal demeure dans une phase initiale de transition démographique. La fécondité ne baisse que légèrement et la maîtrise démographique tendant à ralentir, la croissance de la population est loin d’être assurée. Il faut donc inciter à réduire la natalité, objectif à atteindre par un espacement des naissances.

Or celui-ci se heurte à une faible utilisation des méthodes contraceptives (1 femme sur 10 au Sénégal, voir lien) et à des traditions culturelles natalistes très tenaces.

A cet égard, l’opposition ville-campagne est particulièrement significative (un écart de 2pts dans l’indice de fécondité). Elle éclaire le contexte du message publicitaire : placardé vers la fin du mois de juin (tout comme l’année précédente), il adresse dans Dakar un message aux nombreux migrants qui s’apprêtent à retourner au village à l’occasion de la saison des pluies. C’est donc une relation ville-campagne et pas seulement une opposition- qu’il faut ici discerner sur cette question démographique.Les mouvements migratoires saisonniers de la (grande) ville au village sont ici envisagés comme un vecteur de diffusion de changement des mentalités et pratiques natalistes.

Analyse de l’image.

a) Du logo à la photo : le triangle deux parents-un enfant. Attention de ne pas confondre avec le modèle familial de l’enfant unique (Chine). Il faut davantage
porter l’attention sur le lien que l’enfant crée entre ses deux parents comme le suggère cette cellule familiale en forme de triangle.  Le 1er d’une fratrie apparaît ici comme une étape de la vie familiale qui mérite une escale.

b) Le costume traditionnel.  Le boubou est revêtu par les deux parents : on veut éviter la méfiance à l’encontre de la modernité. L’espacement des naissances ne doit
pas être perçu comme une menace venue de la ville avec son cortège de changements de comportements. On s’assure d’une connivence culturelle pour mieux faire passer le message en milieu rural en particulier.

c)  La femme est un élément du triangle mais elle est aussi au centre de l’affiche comme elle est au coeur des préoccupations du Planning familial.
D’après la ministre de la santé, 800.000 femmes sénégalaises (sur une population totale de 12 millions d’habitants)  veulent différer ou éviter une grossesse mais n’utilisent pas de moyens de contraception efficaces.

Par ailleurs, le visage souriant de la maman n’est pas sans laisser une impression d’âge : celle-ci fait davantage figure de jeune adulte que de jeune fille. Ce choix n’a sans doutes rien d’innocent pour un Planning familial qui entend lutter contre les mariages précoces (et non consentis) et la maternité adolescente, phénomènes encore bien présents dans les milieux ruraux. L’enjeu est culturel, il est aussi démographique : c’est en retardant la première naissance que l’on contribuera à ralentir la natalité.

 

d) L’homme est relégué sur la marge mais de par sa taille conserve un ascendant que l’on montre bienveillant et protecteur. Il s’agit encore une fois de ne pas
se heurter aux codes culturels qui prévalent dans la société sénégalaise.

 

e) Le slogan : on note bien sûr la dualité espacer/rapprocher qui donne au message sa force publicitaire. Remarquons qu’il ne s’agit pas de réduire le nombre
d’enfants même si c’est l’effet indirect escompté. Le mot espacer ne heurte pas directement l’attachement à une famille (très) nombreuse.

Enfin, le terme de bonheur s’affirme comme le point d’orgue du message, la finalité revendiquée. Il fait écho à une véritable vogue publicitaire (voir lien) et souligne l’importance nouvelle de l’individu que véhiculent les affiches, leurs images et leurs mots. Bonheur de l’enfant, unique non en nombre mais en tant que personne ; bonheur de la femme  actrice et décideuse de sa maternité.

Certains débattront de savoir si ce bonheur là est une valeur importée ou universelle.

Si l’affiche observée traduit une incitation au ralentissement démographique, d’autres à caractère commercial reflètent davantage un changement de mentalité et de modèle familial largement diffusé au sein des classes moyennes et aisées. (voir par ailleurs « Leuk », un emblème de classe moyenne )

Qu’il s’agisse de consommer de la margarine ou de souscrire à une assurance habitation, on est face à des mises en scène similaires  :

– deux parents-deux enfants, telle est la cellule familiale

– si la différence d’âge entre les deux enfants n’est pas très marquée, on constatera qu’il n’est pas question d’enfants en bas âge. Rien ne laisse augurer d’un élargissement de la fratrie.

– que le mot soit ou non écrit, le bonheur semble bien être la récurrence du message publicitaire. Vivre à 4, c’est vivre heureux.

– Allez chercher l’africanité du décor : on est dans un petit jardin privatif d’un rez de chaussée d’immeuble moderne ou dans un cadre champêtre qui évoque davantage des contrées européennes qu’un paysage de savane. Quant à la tenue vestimentaire, cette fois-ci, nulle trace d’habits traditionnels.

Tout ceci s’incrit dans un concept de modernité qui s’accompagne d’un modèle familial.

Certains objecteront que ces affiches ne s’adressent qu’à une catégorie minoritaire de la société.

Il n’empêche, il suffit de discuter avec de jeunes adultes y compris de milieu modeste pour comprendre que l’idée fait son chemin.

« Nous n’aurons pas de 3ème  » témoignait dernièrement un chauffeur de taxi d’une trentaine d’années, père de deux jeunes enfants. Comptant lui-même une dizaine de frères et soeurs, il disait « ne pas vouloir faire comme son père« .

La ville s’impose ici comme lieu et vecteur de changements de mentalités, un moteur essentiel de la transition démographique. (cf R Pourtier, « Le préservatif ou la Kalachnikov », conférence au FIG de Saint Dié en octobre 2011).

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