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Bienvenue chez nous

La recherche de mon âme

Il s’est passé cent ans, un mois, seize heures, quinze minutes et trente-six secondes depuis la dernière fois que je suis venue à Rabat. Vous me demanderez surement pourquoi je me suis absentée si longtemps mais surtout pourquoi je suis encore vivante. Eh bien, figurez-vous que les « progrès scientifiques » et mes « performances professionnelles » m’ont permis d’alimenter le sablier de mon cœur, repoussant ainsi chaque jour un peu plus mon dernier soupir, pour me « récompenser ». À l’âge de dix-huit ans, j’ai eu des envies d’ailleurs, je ne savais pas qui j’étais, ce que j’aimais, ce qui me faisait fleurir tout comme ce qui me faisait flétrir. M’interrogeant constamment, je suis partie à la recherche de mon âme. Je me suis alors retrouvée à réaliser mes rêves, gravir le Kilimandjaro, me laisser transporter au pays du Soleil levant, voir des aurores boréales, traverser la Mongolie à cheval, ou encore admirer la Mer de Corail.

J’ai pris ma retraite hier, me laissant donc un jour de vie. Fatal, me direz-vous. Oui, hélas mais vivre dans un monde où l’on m’apprécie seulement pour ce que je suis en mesure de donner et au-dessus de mes forces. Je n’ai plus rien à faire ici, certainement encore des merveilles à voir mais la barbarie de l’Homme m’en dissuade.

Mais avant de tirer ma révérence quoi de mieux de retourner là ou tout a commencé, là où j’ai passé mon adolescence, pour y fermer ma paupière. Me voilà donc à Rabat aujourd’hui, après cent ans, un mois, seize heures, quinze minutes et quarante-six secondes. Tic-tac, tic-tac, tic-tac…Le temps presse. Retourner sur les traces de mon âme avant qu’elle ne soit perdue par ce monde proactif est ma dernière volonté, partir avec mes souvenirs n’est-il pas plus poétique que partir avec ce que la société attend de moi : mes biens, ma belle voiture, ma grande maison, les photos de familles parfaitement accrochées aux murs, les dessins de mon petit dernier.

En sortant de l’aéroport, je me surprends moi-même à me sentir encore plus vivante qu’avant, malgré le compte à rebours qui ne me laisse pas beaucoup de répit. Je prends un taxi. Une quinzaine de minutes plus tard nous voilà au bord de l’océan. La douce brume marine me dit quelque chose, mais je suis en incapacité d’y poser la moindre image dessus. Je me souviens alors d’une plage, la plage de Skhirat. Je demande au chauffeur de m’y conduire. Là-bas, voir le roulement infini des vagues me rappelle de beaux moments, des éclats rires : j’entends Nicolas, Lilia, Cameron, Félix, Mamoun, M’hammed et moi se pousser de façon incessante dans l’eau. Je revois l’après-midi de surf où Élisa-Lou est repartie la jambe dans l’attelle. La plage ressemble beaucoup à celle dont on jouissait fut un temps. Le niveau de l’eau a augmenté et la couleur est plus foncée, mais le pouvoir qu’elle avait à faire ressortir en nous la tranquillité et l’innocence est retrouvé. Rechargée par la beauté de ce moment, j’ai immédiatement besoin de plus. Je devine que c’est mon côté humain, de ne jamais être suffisamment satisfaite par ce que j’ai. De retour dans la Mercedes des années cinquante qui elle n’a pas changée, je lui demande de m’amener à Mahaj Riad. Je revois notre QG, Blend. J’entre donc à l’intérieur. Il est bientôt l’heure de manger après tout. La déco vintage a pris un petit coup de vieux mais l’ambiance est toujours la même. Je m’assois à une table en face d’un coffre de voiture accroché au mur. Je l’observe attentivement et revois Cameron maintenir qu’une affiche d’un objet quelconque représentait un taureau. Je commande comme à mes habitudes passées un burger César, avec juste le poulet à l’intérieur. Félix sourirait surement à cette référence. Une fois ce mets dégusté, je me promène dans la rue piétonne. Je passe devant Burger King, une des seules chaines de restaurants du XXIème qui ait tenue. Je me demande si Yassine irait chercher sa couronne, et je dois l’admettre, sa vision du monde futur est bien celle à laquelle nous faisons face maintenant. Nous étions tous dans une forme de déni, et refusions d’admettre que les choses allaient changer. Assoiffée de me rappeler de plus de souvenirs, je réclame au conducteur de m’amener aux Oudayas. À la Kasbah, je regarde l’immensité bleue qui s’affiche en face de moi. Le gouvernement avait raison : les matériaux qu’ils ont choisis étaient effectivement durables. La Kasbah est la même qu’en 2023 avec quelques réparations occasionnelles par-ci par-là. Face à la vue, je revois Malak et moi en train de l’admirer lors du MUN, et je l’entends me dire qu’elle adorait marcher à travers la ville pour atteindre cet endroit. On s’était même promis de faire cela toutes les deux un jour. Quittant ce paysage resplendissant, je m’aventure dans les petites ruelles pour aller prendre un thé à la menthe poivrée. En montant dans un petit café, je souris au souvenir de Malak et moi en train de faire les folles avec notre tasse de thé, et je rigole même en me rappelant du fou-rire que Lilia El Gaidi et moi avons pris suite à une réplique de Malak. Mes souvenirs mi-adolescent, mi-enfant me donne un sentiment de satisfaction incomparable. Je demande au taxi de m’emmener dans une résidence diplomatique américaine en particulier. La maison est abandonnée. J’ouvre la porte et me promène dans le jardin dans lequel on se courait après autrefois. Une immense tristesse s’empare de moi, lorsque le trampoline qui nous rapprochait à chaque saut un peu plus des étoiles n’est plus présent. Une chaude larme coule sur mon visage.

Et après cent seize de vie, je compris enfin que mon âme était en fait constituée des éclats de rire, des débats, des sauts dans le trampoline, des couronnes Burger King, des câlins, les rangements de chambre de Nadine à quatre heures du matin, des danses sous la pluie, des larmes, des roulement de la mer, des notes de musique, des voyages, et de l’amour que les plus belles personnes autour de moi m’ont offert et permis.

Ça y est, je suis prête à partir pour des cieux meilleurs. Il ne me reste que trente minutes de vie. Je cours le plus vite possible pour rentrer dans le taxi. Tic-tac, tic-tac, tic-tac…Je n’ai plus une minute à perdre. Je lui demande de me conduire à l’océan, l’endroit où dans la longue recherche de mon âme, je me suis sentie le mieux.

Sur le sable fin, j’avance dans l’eau, jusqu’à me laisser porter par l’azur infini.

Schneider-Reine Eva-Victoria 2ndeB

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