Jon Corzine ou la chute d’un financier sans scrupules

NEW YORK, LONDRES CORRESPONDANTS – A Wall Street comme dans la City, il ne faut jamais juger les gens sur leur mine. Avec ses lunettes cerclées de métal, sa barbe couleur sel, son crâne dégarni et son négligé vestimentaire assorti d’une pointe de fantaisie, Jon Corzine, 64 ans, a une allure de « prof » d’université. Il ne lui manque que l’amidon et l’invisible distance qui vous transforme en cancre. Pourtant, comme l’indique l’expert de la haute finance américaine, William Cohan, à propos du patron déchu de la firme de courtage new-yorkaise MF Global, en dépôt de bilan depuis le 31 octobre, « sous ses dehors relax, Jon Corzine est le prototype du financier hyper-ambitieux à 100 000 volts ».

En effet, le comportement du PDG de la firme, responsable du plus gros accident à Wall Street depuis la faillite de Lehman Brothers en 2008 (Le Monde du 2 novembre), n’a rien à envier à celui des pires spéculateurs des récentes années folles de la bulle subprime. Qu’on en juge : lorsqu’il prend la tête de MF Global, en mars 2010, l’action du fonds vaut 7 dollars. Moins de deux ans plus tard, elle a dégringolé à 1,20 dollar. Pour autant, foin du respect de la rémunération à la performance, le patron s’est octroyé sans lésiner d’exceptionnelles primes. Mieux, pendant qu’il a fait prendre à sa firme d’investissement les plus hauts risques, et finit, dans la panique, par utiliser les montants déposés par ses investisseurs pourcouvrir ses pertes – un délit dont la logique s’apparente aux fameuses « fraudes pyramidales » -, Jon Corzine n’a jamais oublié de protéger ses intérêts personnels. Ainsi, en cas de départ de la société, quel qu’en soit le motif et quelle qu’eût été sa performance, il aurait contractuellement reçu en espèces le montant avant terme de ses stocks options (11 millions de dollars – 8 millions d’euros) auquel s’ajoutait un parachute doré de 12,1 millions.

Son histoire est banale outre-Atlantique, celle d’un petit gars de Willey Station, hameau de l’Illinois, fils d’un d’ouvrier agricole et d’une institutrice, qui a su que seuls l’éducation et le travail le sortiraient de son milieu où la majorité des gens travaillaient aux champs. Après des études d’économie et de commerce, celui qui a fait son service militaire dans le corps des Marines, mais sans servir au Vietnam, est recruté par la Continental Illinois. Il y apprend les arcanes du marché des bons du Trésor américain. En raison des gros volumes en jeu, sur le marché obligataire, seul compte le résultat, pas le temps passé à la tâche.

Cette expertise vaut à ce grand bûcheur d’être recruté par Goldman Sachs (GS) en 1975. A l’époque, l’enseigne prestigieuse est une banque d’affaires moyenne organisée en partenariat. Quatre ans plus tard, Jon Corzine dirige le département obligataire en plein essor et devient associé. Il n’a que 33 ans. Au 85, Broad Street à New York, le Rastignac mène une carrière météorique à l’ombre de son mentor, Robert Rubin, qui copréside la firme. Là, il se lie d’amitié avec une autre étoile montante, Christopher Flowers, un as des fusions-acquisitions dont il se fait un allié. En 1994, deux ans après le départ de Robert Rubin comme secrétaire au Trésor de Bill Clinton, Jon Corzine devient codirecteur général aux côtés d’un banquier d’affaires lui aussi originaire du Middle West, Henry Paulson.

L’inimitié entre les deux hommes est légendaire. Surtout, s’il soutient la mise en Bourse de GS, le duo se déchire sur tout le reste. En particulier, Henry Paulson bloque les tentatives répétées de Jon Corzine, pris par la course au gigantisme, deracheter un concurrent. Avec une habilité redoutable, Henry Paulson se débarrasse peu à peu de tous les membres du clan rival. A commencer par Christopher Flowers qui, tombé en disgrâce, claque la porte pour fonder sa propre firme de capital-investissement, JC Flowers & Co. Progressivement isolé, mégalomane, n’écoutant plus personne, Jon Corzine est « débarqué » par Henry Paulson de la direction de GS en 1999.

Meurtri, l’homme se tourne alors vers l’une des carrières qui, aux Etats-Unis, nécessite le plus de moyens financiers : la politique. Par chance, il a accumulé, durant ses années Goldman et pour salaire de son retrait, une fortune estimée à 400 millions de dollars. De quoi se montrer persuasif auprès des instances de son parti – Jon Corzine s’affiche démocrate – et plus encore auprès des électeurs. En 2000, l’ex-patron de GS remporte l’un des deux sièges de sénateur du New Jersey. Il a dépensé 62 millions de dollars de sa fortune personnelle, ce qui en fait, à ce jour, la campagne la plus chère de l’histoire du Sénat. Le sénateur Corzine sera actif sur des projets de loi touchant aux aides aux étudiants et à l’extension de la couverture-santé et votera, en 2002, contre l’entrée en guerre des Etats-Unis en Irak. Mais l’activité de législateur n’est pas la tasse de thé de cet homme d’action. Avant même la fin de son mandat, il l’abandonne pour se lancer dans la course à la fonction de gouverneur du même Etat.

C’est là, en 2005, qu’il obtient son plus grand succès politique, écrasant son adversaire républicain par 10 points d’écart. Gouverneur, il est de nouveau en contact direct et opérationnel avec les financiers. Ayant dans sa poche aussi bien les milieux d’affaires que les syndicats, il se bâtit une forteresse qui semble inexpugnable. De cette époque date sa notoriété : Jon Corzine n’hésite pas à « arroser » pour se faire élire et acheter des affidés. Las… Ses volumineux moyens ne lui seront d’aucun secours pour se faire réélire, en 2009. Il l’expliquera d’ailleurs lui-même, après sa défaite : auparavant, « être un ancien patron de Goldman Sachs était un énorme plus dans un parcours. Maintenant, les gens ont vu les excès de la finance. Leur attitude est très différente ». De fait, son adversaire républicain a battu le rappel des troupes avec un slogan dévastateur : « Corzine a géré le New Jersey de façon aussi catastrophique que ses amis banquiers à Wall Street. » Impact assuré, tant Goldman Sachs symbolise alors la rapacité des « banquiers-voleurs ».

Après sa défaite, son ami Chris Flowers vient le chercher pour lui confier les commandes de MF Global. Christopher Flowers, qui a pris 10 % dans cette charge de courtage, est mécontent du rendement de son investissement. La firme s’est limitée aux opérations de courtage au profit de ses clients et à la gestion des avoirs en cash de ses investisseurs. Parachuté PDG, Jon Corzine n’a qu’une ambition,créer un mini Goldman Sachs en transformant la société languissante en un supermarché de la finance agissant pour son compte propre. La première année, l’action s’apprécie de 26 % contre 17 % pour l’indice S & P500. Au coeur de sa stratégie gagnante, le pari sur la hausse de la dette souveraine des pays en crise de la zone euro, dont Jon Corzine s’occupe personnellement. Sûr de son flair et de son expertise, il décide seul, sans en référer à ses contrôleurs de risques ou ses analystes. Mais à l’été 2011, la crise souveraine européenne s’aggrave et les pertes s’accumulent.

Aujourd’hui, J C Flowers & Co aurait perdu 48 millions de dollars dans la faillite de MF Global. Pour GS également, la chute de son ancien dirigeant tombe au plus mal. Après les accusations portées par le procureur de New York et la SEC (Securities and Exchange Commission, la tutelle des marchés américains) contre Rajat Gupta, un ex-administrateur de GS soupçonné par la justice de délits d’initié d’envergure, c’est la seconde fois en une semaine que son nom, par ricochet, est traîné dans la boue.

En 2007, Jon Corzine avait été la victime d’un grave accident de voiture alors qu’il était conduit par un chauffeur de l’Etat du New Jersey à 150 km/h sur une autoroute où la vitesse est limitée à 105. Fait aggravant, le gouverneur voyageait sans ceinture de sécurité. Il lui en coûtera des fractures du fémur, de onze côtes, du sternum et d’une vertèbre. Plus une chirurgie plastique faciale. Quand on lui demanda pourquoi le chauffeur n’avait pas exigé de son passager qu’il utilise sa ceinture de sécurité, un collaborateur de Jon Corzine indiqua que celui-ci était « peu ouvert à ce genre de suggestions ». Le jour de sa sortie de l’hôpital, le véhicule qui le transportait fut de nouveau surpris en dépassement de vitesse. Visiblement, le banquier aventurier a toujours été un adepte du défi-frisson.

Sylvain Cypel et Marc Roche

Le Monde

Article paru dans l’édition du 03.11.11

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l’Europe et la crise 10 fiches pour comprendre

o Sebastien Paulo, L’Europe et la crise économique mondiale expliquée en 10 fiches, 4 juillet 2011 

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lien chômage Américain

analyse du chômage américain 

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Protégé : cours de BRISES sur l’Etat

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Protégé : le cours de Brises sur PT CROISSANCE

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Pour les terminales de l’importance de la culture et des institutions dans le processus de l’innovation

Si Steve Jobs avait été italien, il serait devenu garagiste…

Chronique  Le Monde| 12.10.11 |

Si Steve Jobs avait été napolitain, Steve Jobs se serait appelé Stefano Lavori (qui veut dire « travaux », traduction de jobs en italien) et son ami Steve Wozniak, Stefano Vozzini (ce qui ne veut rien dire). Ainsi commence l’histoire édifiante, drôle et triste, postée sur Facebook par Antonio Menna au lendemain de la mort du fondateur d’Apple le 5 octobre. Comme leurs modèles américains, les deux garçons sont passionnés de technologie et s’enferment toute la journée dans un garage pour mettre au point un modèle d’ordinateur révolutionnaire. « Mais, ils se font traiter de tapettes car ils sont toujours ensemble », note Antonio Menna.

A Naples, il n’y a pas Mike Markkula, pour verser sans garantie 250 000 dollars afin de soutenir ce qui n’est encore qu’une idée. Lavori et Vozzini font le tour des banques : « Venez avec vos parents, nous ne faisons pas crédit à qui n’a rien. » Comme Jobs avait vendu son combi Volkswagen, les deux Stefano vendent leur scooter pour acheter les premières pièces afin d’assembler leur invention. Mais voilà qu’un voisin soupçonneux les dénonce aux policiers municipaux.

Ceux-ci déboulent dans le garage : « Votre activité est elle en règle ? Vos papiers. » Lavori et Vozzini ont beau expliquer qu’il s’agit d’un laboratoire, rien n’y fait. Pire, le garage n’est pas aux normes. Le lendemain ce sont les carabiniers qui débarquent. Puis les services financiers et, enfin, le comité d’hygiène et de sécurité : « Avec un pot-de-vin, on peut s’arranger. » Dociles, Stefano et Stefano vendent leur second scooter et leurs collections de bandes dessinées.

Mais les premières commandes arrivent. Il faut fonder une entreprise. Où trouver les capitaux ? Rendez-vous est pris avec un conseiller fiscal. « Votre idée est formidable, ragazzi ! On peut faire jouer les fonds de la région. Il va falloir aussi un peu d’argent pour « huiler » le système. J’ai un ami qui pourra nous aider en échange d’un petit cadeau. Quoi ? Vous n’avez même pas de quoi payer mes honoraires ? Mais vous vous croyez où ? »

Un « pizzo » pour la Camorra

Ils s’accrochent jusqu’à ce que, un matin, on sonne à la porte. C’est un représentant de la Camorra, la Mafia napolitaine : « On sait que vous êtes en train de faire  des sous. Alors il faudrait songer à donner  un petit quelque chose. » Tempêtes sous les crânes : s’ils payent le pizzo qu’on leur réclame, ils n’auront plus d’argent pour leur activité. S’ils ne donnent pas, le garage sera plastiqué. S’ils dénoncent la Mafia à la police, ils devront quitter la région pour toujours. Et s’ils ne le font pas, ils risquent la prison.

Le découragement les gagne. Les fonds régionaux ne sont jamais arrivés. Les taxes les ont ruinés. Un jour, le père de Stefano Lavori prend son fils à part : « Vide le garage et louons des box pour les voitures, ce sera mieux. » Depuis les deux Stefano sont gardiens de parking. « Le Apple de Naples ne verra jamais le jour, écrit Antonio Menna, car si tu nais dans au mauvais endroit, même en étant « affamé et fou » tu restes avec ta faim et ta folie. Rien de plus. »

Philippe Ridet (Rome, correspondant)

à retrouver là 

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pour les terminales un peu de sociologie « qui avait fait disparaître les classes sociales des modes de lecture du monde social « 

Qui a fait disparaître les classes sociales ?

par PIERRE MERCKLÉ

 

Entre une observation ethnographique au stade de France mardi soir et un comité de rédaction de la revue Sociologie jeudi matin, j’ai profité d’un séjour parisien pour écouter les interventions rassemblées dans une journée d’études passionnantes, organisée donc ce mercredi 12 octobre 2011 sur le Campus Jourdan de l’ENS Ulm par Alexnadra Bidet et le « GDR Economie & Sociologie » du CNRS. Cette journée portait un titre un peu long : « Les classes sociales ont-elles été dissoutes par les socio-économistes dans les réseaux, les générations et la hiérarchie des revenus ? » (voir le programme ici), mais en gros, comme l’a expliqué Florence Jany-Catrice en préambule des interventions de la matinée,  il s’agissait de se demander qui avait fait disparaître les classes sociales des modes de lecture du monde social traditionnellement mobilisés, en sociologie et ailleurs. Pour elle, la réflexion part d’un constat, celui de la marginalisation de la notion de « classes sociales » dans le vaste champ de la sociologie économique, au profit d’autres opérateurs, comme les réseaux, les générations, les centiles de revenu… Les intervenants ont donc eu pour consigne d’essayer d’interroger les fondements de cette marginalisation et ses enjeux, et le rôle d’une part des classements et des nomenclatures alternatives, et d’autres part des approches en termes de réseaux sociaux, dans cet effacement.

Comme Florence Jany-Catrice l’explique ensuite pour introduire les interventions de la matinée, en France on a longtemps disposé d’une nomenclature, d’un outil commode pour penser la stratification sociale, celui des PCS : un outil pensé pour le fordisme, mais multidimensionnel, dont l’efficacité tenait aussi sans doute à cela que les PCS était à la fois des catégories savantes et des catégories profanes, dont tout le monde pouvait s’emparer. Et c’est au recul du recours à cette nomenclature pour penser le monde social qu’on assiste aujourd’hui, dans un contexte où pourtant on assiste à la montée des inégalités sociales et à la baisse de la mobilité sociale. Comment expliquer ce paradoxe ? Ce recul est-il dû à une transformation ontologique du monde social, comme en particulier la montée de l’individualisme ? Ou bien à l’émergence de nomenclatures concurrentes, par exemple au niveau européen (ISCO, ESEC…) ? Ce serait alors tout autant la réalité qui se transformerait, que les outils à disposition pour en rendre compte… Mais cela ne dit rien de la capacité des sociétés à s’emparer de ces nouvelles nomenclatures, des représentations du monde social qu’elles véhiculent, et même des enquêtes qui pourraient les mobiliser… Pour préciser les contours et les enjeux de ces questions, la matinée se poursuit avec les interventions d’Alain Desrosières, d’Alain Chenu, de Thomas Amossé, de Cécile Brousse, d’Etienne Pénissat et de Luc Boltanski, que j’essaie de vous résumer assez succinctement ci-dessous…

la suite là par P MERCKLE

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pour les terminales J.Stiglitz L’austérité ne marchera pas …

L’économiste américain, prix Nobel d’économie en 2001, livre son analyse sur la crise et sur les moyens d’y faire face.

Youphil: Les banques refont des profits et les bonus augmentent, mais nous sommes toujours dans un marasme économique. Pourquoi?

Joseph Stiglitz: C’est parce que le problème fondamental n’était pas seulement un problème qui vient du secteur financier. En 2007, l’économie avait une maladie qui a été masquée par la bulle immobilière qui a permis aux gens de consommer au-delà de leurs moyens. Si on n’avait pas eu cette bulle, on aurait eu un déficit en demande agrégée et l’économie aurait été faible.

Revenir à un système bancaire réparé nous laisse donc quand même avec les problèmes d’une économie faible. Renflouer les banques était nécessaire, mais pas suffisant. Et c’est là que le gouvernement d’Obama et ceux qui étaient proches du système bancaire se sont trompés. Les banques se sont très mal comportées et elles ont agravé la crise. En passant beaucoup de temps à s’occuper des banques, on en a oublié les problèmes de fonds.

Youphil: Quels sont ces problèmes de fond?

J.S.: Ceux qui ont causé la bulle. Il faut comprendre pourquoi nous avons eu besoin de diminuer les taux d’intérêts à ce point. C’est dû, entre autres, à la compétition avec les marchés émergents, la productivité croissante dans l’industrie qui se serait traduite par plus de chômage, le système monétaire international qui a amené les pays à épargner de plus en plus, les prix élevés de l’énergie qui transfèrent l’argent aux pays producteurs de pétrole. Voici certaines de ces causes auxquelles nous n’avons pas fait face.

Youphil: Vous parlez souvent de fétichisme du déficit. Qu’est-ce donc?

J.S.: C’est cette idée que la plus importante chose que nous devons faire est de se débarasser du déficit et que, si nous ne faisons que cela, l’économie sera saine. C’est évidemment incorrect. En ce moment, diminuer le déficit affaiblira l’économie. L’austérité n’est pas la solution ; cela aggravera nos problèmes.

Vraiment, ce que nous devons faire est trouver comment remettre les Etats-Unis au travail. Or cela requerra plus de dépenses et une augmentation du déficit.

Youphil: Quelles sont les solutions concrètes qu’il faudrait appliquer maintenant?

J.S.: Au niveau mondial, nous avons besoin d’une stratégie de croissance orientée. Ce qui implique de répondre à cette question : comment peut-on stimuler l’économie pour qu’elle crée des emplois?

Le second problème de l’Europe est la résolution de la crise de l’euro. Comment soutient-on les pays qui ont des difficultés en préservant l’euro? Voilà pour le court terme.

Sur le moyen terme, il y a deux défis qui ne seront pas résolus vite mais dont il faut se soucier: d’abord, les inégalités croissantes dans la plupart des pays et, ensuite, la réforme du système monétaire et de réserve international.

Youphil: Comment stimuler l’emploi?

J.S.: Cela demandera des dépenses publiques. Pour le moment, nous sommes en train de couper les dépenses publiques aux Etats-Unis. Ce faisant, le gouvernement est en fait en train de contribuer au problème du chômage plutôt que de compenser les faiblesses du secteur privé.

Nous avons besoin d’énormes efforts d’investissements en infrastructure, en technologie et en éducation. Il faut donc un programme d’investissement créateur d’emplois, qui aide l’économie à restructurer sa dépendance par rapport aux secteurs qui doivent être affaiblis (l’immobilier, l’industrie, la finance) et à aller vers des secteurs qui doivent être intensifiés (les services, la santé, l’éducation)

Youphil: Que peut-on faire par rapport à la crise de l’euro?

J.S.: Une partie de la réponse repose sur la solidarité européenne et l’engagement à aider les pays en difficulté. Cela peut prendre différentes formes: une euro-obligation, un cadre physique commun avec des taxes communes pour soutenir l’activité économique européenne, une stratégie de croissance, reconnaître que la Grèce ne résoudra pas ses problèmes par l’austérité et qu’elle doit se concentrer sur la croissance. Il y a beaucoup de possibilités, mais ce qui ne marchera pas c’est l’austérité.

Youphil: Avez-vous un conseil à donner à Christine Lagarde?

J.S.: Il faut créer un nouveau système de réserve globale. Sur le court terme, il faut étendre les droits de tirages spéciaux. Cela avait été fait en 2009, et ça a aidé, mais il faut maintenant le faire sur une base régulière. Les trois autres défis sont: améliorer le système de recouvrement de la dette souveraine, réguler les flux entre les pays et réguler les institutions financières globales.

Youphil: Qu’en est-il du problème de l’inégalité croissante?

J.S: Sur le court terme, il faut renforcer la taxation progressive, les filets de sécurité et la protection sociale. Sur le long terme, le plus important est de s’assurer que tout le monde ait accès à l’éducation qu’il mérite. Penser aussi à la manière dont les politiques industrielles peuvent augmenter la demande de main d’oeuvre au bas de l’échelle.

Jusqu’à présent, le secteur privé a mis l’accent sur des innovations qui créent du chômage, au lieu d’innovations qui protègent notre environnement par exemple. Si on réquilibre ces innovations, notre économie sera plus saine.

Une de mes inquiétudes est que les taux d’intérêts de plus en plus bas encouragent les entreprises à choisir des robots qui remplaceront la main d’œuvre. Nous sommes en fait en train de créer les fondements d’une économie sans emploi.

Youphil: Comment imposer cela au secteur privé qui cherche à diminuer les coûts?

J.S.: Nous devons les encourager à penser à des coûts qui peuvent être subventionnés, comme les coûts environnementaux.

Youphil: Vous étiez à Occupy Wall Street le 2 octobre. Qu’en pensez-vous?

J.S.: J’étais un peu surpris que ça ait mis autant de temps à se faire! C’est tout à fait compréhensible que les Américains soient furieux. On leur a dit: “si on donne 800 millions de dollars aux banques, elle recouvreront leur santé. Ne mettons pas de contraintes et les prêts seront restaurés et l’économie se rétablira.” Et c’était faux.

A la place, on a vu le gouvernement donner de l’argent aux banques, les banques donner de l’argent à leurs cadres, payer les dividendes et les gros bonus. Les banques se sont rétablies mais les prêts aux petites et moyennes entreprises n’ont pas été rétablis. L’Américain moyen souffre, les banques continuent de l’expulser de chez lui, les saisies continuent avec la même violence, les abus des banques sous la forme de prêts prédateurs ou de cartes de crédits aussi, alors même que ce sont les contribuables américains qui ont renfloué les banques.

Quand on donne autant d’argent aux banques et qu’elles retournent la faveur en maltraitant le citoyen moyen, c’est compréhensible qu’ils soient énervés. Et en plus, il n’y a toujours pas de travail.

Youphil: Toutes ces propositions impliquent un plus grand investissement de la part de l’Etat.  Les Etats-Unis sont-ils prêts à faire cela?

J.S.: Cela va être difficile, mais de plus en plus d’Américains voient que le marché n’est pas la solution. Il ne s’agit pas d’abandonner le marché mais c’est l’équilibre qui n’est pas bon. C’est aussi ce qu’a réalisé le mouvement du Tea Party qui, d’une certaine manière a eu le même genre de genèse.

Ils ont raison dans une certaine mesure sur le diagnostic, mais leur réponse est incorrecte car ils déséquilibrent encore plus le système en se débarrassant du rôle du gouvernement.

La question n’est pas celle de la taille du gouvernement mais de ce que le gouvernement a fait. Donc il ne s’agit pas juste d’occuper Wall Street, mais d’empêcher Wall Street de faire ce qu’il fait et de lui faire faire ce qu’il doit faire. De la même manière, il s’agit donc de faire en sorte que le gouvernement fasse ce qu’il doit faire.

Youphil: Cela requiert une volonté politique forte…

J.S.: Ce qui est intéressant est que ce mouvement est parti de New York et s’est répandu dans tout le pays. Mais évidemment, l’argent et les lobbyistes parlent plus fort donc je ne pense pas que ce soit un problème qui soit résolu du jour au lendemain.

Youphil: Et avec les prochaines élections?

J.S.: A vrai dire, je ne suis pas très optimiste. Je pense que cela prendra encore cinq ans.

Youphil: D’autant plus qu’il y a un risque de récession en double-creux aux Etats-Unis et en Europe…

J.S.: Je pense que ce risque est élevé. Peut-être qu’il y aura une croissance très lente, mais que ce soit ça ou une récession en double-creux, la croissance sera trop molle pour avoir un impact sur les 25 millions d’Américains au chômage qui veulent trouver un emploi.

Crédit photo: Joseph Stiglitz à l’opéra de Sidney – Daniel Baud.

 

 

 

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Protégé : pour les TES la QSTP sur la question en cours

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les liens avec la crise de 29…Avec la crise, les théories keynésiennes sont remises au goût du jour

là un article de la Dépeche 

Avec la crise, les théories keynésiennes sont remises au goût du jour

Réguler le capitalisme sans porter atteinte à l’autonomie de l’entreprise privée et refuser l’idée que les marchés s’autorégulent, tel est le credo de Keynes, l’un des penseurs économiques les plus influents du XXe siècle, auteur de la « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie ».

« Keynes a bâti sa théorie en partant de l’hypothèse que les marchés dysfonctionnaient et que le dysfonctionnement des marchés impliquait, pour que l’économie capitaliste puisse tenir debout, une intervention publique », selon Jean-Paul Fitoussi, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

« Or, ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’on a un dysfonctionnement majeur des marchés » et que cela « a amené naturellement à une intervention publique qui a été massive », constate l’économiste.

Pour Keynes, dans un contexte de crise, l’Etat doit adopter une politique monétaire avec injection de liquidités et baisse des taux d’intérêt.

Il doit aussi relancer la demande grâce en particulier à un accroissement des investissements publics et la redistribution des revenus au profit des classes aux ressources les moins élevées.

Des recettes qui reviennent en vogue dans les cabinets ministériels: le ministre des Finances britannique Alistair Darling a indiqué dimanche que la Grande-Bretagne allait augmenter ses dépenses publiques, suggérant le choix d’une approche keynésienne, en engageant des projets de grande envergure notamment dans le logement, l’énergie et les petites et moyennes entreprises.

Toutefois, pour Edwin Le Héron, président de l’Association pour le développement des études keynésiennes, toute relance conjoncturelle « part dans le vide ».

« Il faut séparer deux choses, souligne-t-il. Il y a d’une part un certain nombre de personnes qui disent qu’il faut re-réguler le capitalisme, qu’il faut changer la structure du capitalisme (…Smilie: ;). Il y en a d’autres qui disent qu’il y a une politique de relance de l’économie réelle, avec des plans de relance conjoncturelle ».

« Les deux peuvent apparaître comme des idées keynésiennes », mais « j’ai tendance à penser que ce qui me semble keynésien, c’est une refonte structurelle du capitalisme », estime-t-il.

L’annonce de la réunion d’une série de sommets pour élaborer et appliquer les réformes du système financier international va dans ce sens. Mais « la fenêtre est très étroite » selon M. Le Héron, qui souligne les réticences des Américains à réformer un système issu des accords de Bretton Woods de 1944 et qui étaient centrés sur le modèle américain.

Plus optimiste, M. Fitoussi juge que « tous les pays actuellement sont à la recherche de bonne régulation, parce que la crise n’a épargné » personne. Si tout le monde a ressenti l’urgence de la régulation, tous ne sont pas d’accord sur ses modalités, note-t-il, faisant notamment allusion aux pays européens.

« In fine l’Europe a été capable de s’accorder sur un plan, la zone euro, et l’UE ensuite a été capable de s’accorder sur un plan global de sauvetage du système financier », rappelle M. Fitoussi. »Cela implique que peut-être les pays européens pourraient s’accorder sur un plan global de régulation des marchés », estime-t-il.

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