En attendant le train… par Vincent

Gare Matabiau, 19h08. Photo VD, 2015

 

« Avec l’essor urbain du XIXe siècle, la gare est devenue un lieu multifonctionnel. Elle assure le passage de la ville à la campagne, du fermé à l’ouvert. Son statut de « porte de la ville » lui confère, encore au XXIe siècle, un rôle central dans l’organisation de l’espace tant d’un point de vue matériel que symbolique. Lieu public le plus récent de l’espace urbain, elle est riche d’enjeux architecturaux, industriels et historiques. »1

La gare ferroviaire n’est plus la seule à assurer ce passage « de la ville à la campagne » ainsi que ce rôle de « porte de la ville », des espaces comme cela, il en existe plusieurs de nos jours, des aéroports aux gares routières de bus en essor depuis 20152. Ces espaces, qui ont pour rôle de connecter la ville au reste du territoire dans un sens, et d’assurer la liaison aux différentes mobilités dans l’autre, sont symptomatiques de notre rapport à la vitesse et au déplacement.

Néanmoins, la gare, elle, était là depuis le début. Depuis l’avènement de la rapidité différenciée au milieu du XIXe siècle3, ce lieu a vu nombre de voyageurs, de plus en plus divers et venant de plus en plus loin. Il a vu évoluer nos modes de déplacement, leurs vitesses ainsi que leurs destinations et s’est adapté au fil du temps. De plus, les transports ferrés représentant les réseaux de transports en commun les plus utilisés en France4, la gare semble être un lieu idéal pour prendre le pouls de notre société.

Intrigué par notre rapport au temps, à la vitesse et de son impact sur les hommes et sur le territoire, je me dirige donc vers la gare de Toulouse Matabiau en quête d’indices.

Question territoire, une photo du Capitole imprimée sur les marches du souterrain de la gare, accompagnée d’un « Bienvenue à la gare de Toulouse Matabiau » en guise d’accueil, nous donne déjà un élément de réponse. Il ne manquerait presque que le vent d’autan pour se croire sur la place du Capitole.

Mais passons, dirigeons-nous vers le cœur du bâtiment de la gare. Celui-ci est constitué de deux halls comportant des espaces d’attente aménagés, des services de restauration et de Relay, de panneaux d’affichage d’horaires ainsi que d’accès aux quais, halls séparés par un couloir comportant divers services dont une grande salle de guichets SNCF, sorte de salle des doléances du XXIe siècle.

Ce bâtiment forme un espace de transition entre l’intérieur et l’extérieur, entre le territoire et la ville, entre le train et les autres transports, un espace ou l’homme peut « choisir entre le mouvement et la halte »5. Mais il est également lieu de vie, de travail, d’attente, de passage et d’information. Entre usagers transitoires, fixes, de passage ou même « en marge », comment cet espace est-il adapté à tous ces usages ?

Hall principal de la gare. Photo VD, 2017

 

Les halls, totalement libres de cloisons, sont à la fois espacés d’attente et de passage, une interaction entre flux constant et pause s’y opère. Pour autant, il est possible de rejoindre aisément le flux perpétuel comme il est possible d’effectuer une halte sans franchir aucun seuil. Les individus en halte, attendant leur correspondance ou l’annonce de leur quai de départ, ne prêtent pas attention au passage de ceux qui n’ont pas le temps d’attendre. Ce qui est compréhensible, tout est là pour vous aider à passer le temps ! Restaurants, Relay, tables de travail avec prises électriques, fauteuils avec accoudoirs permettant d’être « à la fois face à face et isolés »6, la SNCF est même là pour vous lire une petite histoire ! Grâce à une borne qui imprime un texte aléatoirement en fonction de temps que vous souhaitez prendre à lire : 1, 3 ou 5 minutes. Pour moi, ça sera Le crépuscule du soir de Charles Baudelaire, « La Gare de Toulouse Matabiau vous offre des histoires à lire… sans attendre. ».

Le crépuscule du soir, Ch. Baudelaire & la SNCF

Tous ces éléments font de la gare un lieu de passage et de halte avérés, en est-il pour autant un lieu de vie et d’interaction ? Cela reste difficile à définir. Lieu en constant changement, la gare est fondamentalement liée au mouvement et à la vitesse. Cette « rapidité des relations modifie le rapport aux autres »7, les usagers hésitent à nouer une conversation avec quelqu’un qui risque de partir à la minute qui suit.

Toutefois, un endroit particulier brise la temporalité de ce lieu et réunit quelques individus, celui d’un espace de piano en libre utilisation. Libre à chacun de partager sa musique et de chanter en chœur, après tout, si un art à toujours réussi à réunir les hommes et traverser le temps c’est bien celui de la musique.

 

« Le jour tombe. Un grand apaisement se fait dans les pauvres esprits fatigués du labeur de la journée ; et leurs pensées prennent maintenant les couleurs tendres et indécises du crépuscule. »8 Mais la gare, elle, ne se couche jamais, je la laisse à son rythme effréné, et garde dans mes pensées, sous le crépuscule du soir, ces quelques mots de Baudelaire.

« Crépuscule, comme vous êtes doux et tendre ! Les lueurs roses qui traînent encore à l’horizon comme l’agonie du jour sous l’oppression victorieuse de sa nuit, les feux des candélabres qui font des taches d’un rouge opaque sur les dernières gloires du couchant, les lourdes draperies qu’une main invisible attire des profondeurs de l’Orient, imitent tous les sentiments compliqués qui luttent dans le cœur de l’homme aux heures solennelles de la vie. »9

 

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  1. David Bàn, « Les sciences sociales françaises face à la gare. Bilan et lecture critique », Revue d’histoire des chemins de fer (En ligne), 38, 2008.
  2. « Loi Macron : 70 villes desservies par le nouveau service de transport par autocars », Article, Le Monde.fr avec AFP, 21.09.2015. http://www.lemonde.fr/economie-francaise/article/2015/09/21/autocars-les-premiers-effets-de-la-loi-macron-se-font-sentir_4765743_1656968.html
  3. Jean Ollivro, « L’Homme à toutes vitesses. De la lenteur homogène à la rapidité différenciée », Presses universitaires de Rennes, 2000.
  4. En 2016, ce sont 103,2 milliards de voyageurs/km sur les réseaux de trains, RER et métros, contre 82 milliards/km pour les bus, cars et tramways et 14,8 milliards/km pour les transports aériens. La voiture individuelle, représente à elle seule 756,4 milliards de voyageurs/km, plus de trois quarts des déplacements dans l’année. « Transports intérieurs de voyageurs par mode », données de l’INSEE et du SDES, 2016
  5. Jean Ollivro, « L’Homme à toutes vitesses. De la lenteur homogène à la rapidité différenciées », Presses universitaires de Rennes, 2000.
  6. Ibid.
  7. Ibid.
  8. Charles Baudelaire, « Le crépuscule du soir », Petits Poèmes en prose, 1869.
  9. Ibid.

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