Retour sur le festival Indélébile

Festival Indélébile, 7 avril 2018, photo NJ

Pour ses dix ans, ce festival m’a semblé contrarié. Moins d’éditeurs alternatifs, et disparition des ateliers de fabrication de fanzine par exemple. Cela ne nous a pas empêché de constater que le public n’était pas le même qu’ailleurs dans Toulouse. « Ce sont des gens que l’on ne voit jamais ailleurs !  » s’est exclamée ma femme. A partir de cette sociologie spontanée, qu’est-il possible de dire ?

Nous touchons ici à une particularité des villes, celle du cloisonnement et de l’étanchéité. Chaque groupe humain se cantonne à vivre dans un ou plusieurs quartiers, mais pas dans tous. Les gens se croisent mais ne se parlent pas. Entre les activités professionnelles et les activités de loisir, les secteurs physiques de la ville sont appropriés ou délaissés, suivant des logiques complexes ou de bon sens. Mais tous ces espaces ne sont pas mis en commun. D’où cette étrange impression de voir là des gens que l’on ne voit pas d’habitude, qui n’ont pas prises dans nos habitudes. Mais tous semblent se connaître…

Festival Indélébile, 7 avril 2018, photo NJ

Tenue vestimentaire, coupe de cheveux, percings, tatouages, et manières d’être forment les quelques critères de base perçus à travers une sociologie spontanée. L’âge également est un critère qui globalement regroupe ces gens dans la classe des 25-35 ans. Il y règne une forte mixité de genre. Eh oui, le festival fête ses dix ans, donc cela correspond à une sorte de « fidélité » d’une classe d’âge.

Festival Indélébile, 7 avril 2018, photo NJ

Le festival a lieu dans une ancienne entreprise reconvertie en ateliers d’arts graphiques, derrière Matabiau, appartenant à l’association Lieux communs. Pour l’occasion, l’espace a été dédié aux exposants. Cet espace urbain offre des porosités qui nous permettent de nous croiser le temps de l’événement. Ces porosités sont justement ce que nous cherchons dans ce séminaire.

Théorie de la porosité

Ces instants figurés par ces zones vertes, c’est ce que propose cet événement : mettre ensemble des gens qui d’habitude ne sont pas ensemble (nous et eux), se croisent peut-être mais ne se disent rien. Il y a aussi ceux qui se croisent tout le temps à la manière d’un entre-soi permanent. Ici, ce lieu offre la possibilité d’un échange. Les événements [du latin evenire « avoir une issue »] de ce genre en ville sont des moments d’articulation entre un dedans et un dehors, des moments d’échange entre plusieurs champs sociétaux. Vouloir les observer, c’est s’obliger à le faire. Cette porosité est offerte, à condition de s’y rendre. C’est vrai que nous avons fait le constat qu’il y avait plutôt une forme d’entre-soi propre au milieu alternatif des arts graphiques.

Là encore, je ne parle pas des extensions du festival dans les galeries de la ville qui vont accueillir des expositions durant tout le mois d’avril, et jusqu’en mai. D’autres « lieux-moments » d’échange existent à travers la ville. A nous de les découvrir… Cela pourrait se rapprocher de l’analyse que fait Georg Simmel des groupes sociaux.

Dans son article intitulé « Comment les formes sociales se maintiennent » (Sociologie & Épistémologie, trad. L. Gasparini, PUF, 1981) Georg Simmel aborde la question des groupes sociaux qui forment la société. Tout groupe humain appartient à la société dans cette apposition de « combinaisons variées » de formes sociales. Les individus qui la composent appartiennent ou peuvent appartenir à d’autres formes sociales, et peuvent tour à tour disparaître sans que l’unité sociale soit atteinte. « La conservation de l’unité collective pendant un temps théoriquement infini donne à l’être social une valeur qui, ceteris paribus, est infiniment supérieure à celle de chaque individu » (p. 177). Toutes choses étant égales par ailleurs, ceci fonctionne lorsque le groupe n’est pas initié ni animé par un leader, dirions-nous en d’autres termes.

Ce groupe, plus proche de ce qu’on appelle aujourd’hui un collectif, est formé « d’une pluralité de personnes. Dans ce cas,  l’unité du groupe s’objective elle-même dans un groupe » (p. 183). Le sentiment d’unité et de solidarité nécessaire au maintient d’un groupe doit être présent à travers des valeurs communes. Celles-ci sont énoncées dans l’édito de la présentation du festival : indépendance face au marché dominant, croisement des courants alternatifs dit « sous-marins », liberté de création… Ce qui, à la longue, devient problématique puisque la professionnalisation n’est pas collective, mais individuelle, et nécessite des prises de position personnelles entre notoriété-richesse et pureté-pauvreté, par exemple. La trajectoire sociale de chacun s’en vient bouleverser l’unité même du collectif. Ce que Pierre Bourdieu à longuement discuté à propos de l’écrivain.

« Qui peut dire que je suis écrivain ? Qui peut dire que je suis le meilleur écrivain ? Suis-je le mieux placé pour dire que je suis le meilleur écrivain ? Plus largement, dans la vie quotidienne, qui a le droit de dire qui je suis ? Qui a le droit de dire des autres qu’ils sont vraiment ce qu’ils sont ? » (Pierre Bourdieu, Sociologie générale, volume 2, Paris: Seuil, p. 189).

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