Débordement et prise de parole

Sur le Pont Neuf, La Machine, Toulouse, © NJ

L’événement de cette semaine a été l’installation officielle de la compagnie La Machine à Toulouse. La performance sur quatre jours a perturbé la ville dans ses orientations et ses règles. Nous tenterons, à partir des articles de presse et de nos observations, de dresser un bilan sur la question de savoir que venaient faire les gens ?

Pierre Bourdieu disait que les faits divers font diversion, mais concernant cet « événement », ne pourrait-on pas en dire autant ? Nous présentons qu’il va y avoir beaucoup de questions dans ce billet.

Petit rappel : L’association loi 1901 La Machine possède initialement son siège social à Tournefeuille, qui est transféré  à Nantes en juillet 2017 (J.O. n°799). Son installation sur le site de Montaudran (20 avril 2018, J.O. n°455), au sud de Toulouse, relève d’une longue histoire politique. Les déclarations au J.O. nous permettent de suivre cette évolution mouvementée.

« Déclaration à la préfecture de la Haute-Garonne. LA MACHINE. Objet : promouvoir les métiers du spectacle vivant, plus particulièrement au travers de créations ; réalisations de décors et d’objets de spectacles. Siège social : l’Usine, 18, chemin du Canal, 31170 Tournefeuille. Date de la déclaration : 19 janvier 1999. »

« Déclaration à la préfecture de la Haute-Garonne. LA MACHINE. Nouvel objet : promouvoir les métiers et savoir-faire du spectacle, plus particulièrement au travers de la création, la réalisation et la cession de décors, machines et objets de spectacles ; la création, la réalisation et la cession de tous biens, mobiliers ou immobiliers, en rapport avec le spectacle ou mettant en œuvre, directement ou indirectement, les métiers et savoir-faire du spectacle ; la création, la production et la diffusion de spectacles ; et, accessoirement pour faciliter l’exécution des objectifs précédents, toute opération industrielle, commerciale, financière, mobilière ou immobilière, se rapportant directement ou indirectement à l’objet de l’association. Siège social : l’Usine, 18, chemin du Canal, 31170 Tournefeuille. Courriel : machine@club-internet.fr. Date de la déclaration : 7 juin 2005. »

« Déclaration à la préfecture de la Haute-Garonne. LA MACHINE. Siège social : 18, chemin du canal, 31170 Tournefeuille. Transféré ; nouvelle adresse : A l’usine, 6, impasse Marcel Paul ZI Pahin, 31170 Tournefeuille. Date de la déclaration : 9 février 2009. »

« Déclaration à la préfecture de la Loire-Atlantique. LA MACHINE. Ancien siège : A l’usine, 6, impasse Marcel Paul ZI Pahin, 31170 Tournefeuille. Transféré, nouvelle adresse : 2, boulevard Léon Bureau, 44000 Nantes. Site internet : http://www.lamachine.fr. Date de la déclaration : 26 juillet 2017.  »

« Déclaration à la préfecture de la Haute-Garonne. LA MACHINE TOULOUSE. Ancien siège : 1, chemin Carrosse, 31400 Toulouse. Transféré, nouvelle adresse : 3, avenue de l’Aerodrome de Montaudran, 31400 Toulouse. Date de la déclaration : 20 avril 2018.  »

François Delarozière en est le principal personnage. Il fait ses classes dans la compagnie Royal de Luxe qui s’installe également à Nantes en 2003. A l’époque, il n’est qu’un des rouages de ce théâtre de rue, basé sur l’efficacité du peu, ou la mise en abîme par le décalage. Les pièces sont profondément humaine, l’homme est au centre de l’univers théâtral. Les machines sont peu nombreuses dans les années 1990, et beaucoup moins spectaculaires qu’aujourd’hui. On peut trouver une voiture découpée, où ce grand livre de l’histoire de France, dans lequel des acteurs évoluent. Aujourd’hui, les manipulateurs de ces machines ne sont plus acteurs, mais « techniciens ». Le rôle a été inversé.

Cependant, les histoires racontées ne reposent pas sur la seule démonstration du déplacement de machines. Là, je me garderai de parler de la trame du spectacle toulousain. Hormis la convocation de la mythologie revisitée, la scène tourne autour du déplacement très lent des monstres et de leur rencontre (ou affrontement) inévitable. S’agit-il d’une scène de bataille ou de guerre ? Qui sont les symboles en jeu ? Y a-t-il un alibi artistique ?

Ce que les gens regardent, La Machine, Toulouse, © NJ

Une foule immense, évaluée à 200 mille personnes le premier jour, puis 450 mille personnes (cumulées). Les chiffres annoncés pour cet événement planétaire vont jusqu’à 600 mille personnes (cumulées en double voire triple compte). Le nombre semble avoir une importance. La quantité, comme s’il s’agissait de faire masse. La « populace », elle, est indifférenciée, plutôt de milieu populaire. Lorsque je me promenais à vélo, je surpris un vieil homme dire « les prolétaires prennent le soleil ». Avait-il identifier une couche particulière de la population ? Tout du moins, les jeunes d’Empalot sont absents de la manifestation. A-t-on une idée de qui vient à ce genre d’événement ? Et qui n’y vient pas ?

Le Minotaure photographié, Toulouse, © NJ

La réinterprétation du mythe d’Ariane est ici un prétexte au déploiement de deux « machines » de formes monstrueuses. Une araignée géante, sensée représenter la gardienne du Temple où vit le Minotaure qu’elle doit guider. Durant les trois derniers jours, de vendredi à dimanche, le centre-ville a véritablement été paralysé, ce qui est une des implications du spectacle, et peut-être certainement voulu. La ville est ainsi plongée dans une rupture totale de ses habitudes. Des barrières physiques et policières bloques certains accès. Le déploiement de la sécurité est à son comble. La presse ne révèle pas le nombre d’agents mobilisés pour l’occasion, mais indique que trois dispositifs sont convoqués (police privée, police municipale et police nationale).

Témoigner en direct, La Machine, Toulouse, © NJ

De nombreuses personnes prennent en photographie l’événement, via leur téléphone cellulaire. On peut imaginer qu’elles envoient ces témoignages à d’autres personnes absentes, membres de leur famille, amis éloignés, ou réseaux sociaux type Facebook. Contempler le spectacle n’est pas suffisant, il faut partager ce moment à distance, quitte à rater quelque chose. Dans les long moments d’attentes,  les gens ne savent pas quoi faire. Ils observent le Minotaure, reste à proximité dès fois qu’il se réveille, pendant que d’autres décident de partir voir l’araignée.

Mais la route est coupée, il faut rebrousser chemin, prévoir un autre itinéraire, et ainsi passer le temps jusqu’au soir. Les longs moments d’attente font partie du spectacle. Mais quoi faire ? Aller discuter avec des inconnus, aller contrarier l’anonymat des grandes villes, ou commencer à entretenir une discussion avec ses voisins (de fortune) ?

Quelqu’un m’interpelle en disant que mon vélo est vraiment le haut de gamme des vélos pliants. J’acquiesce en commençant à rédiger le tableau de cette merveille tel un dépliant publicitaire. L’interaction ne dure que quelques minutes, mais le courant est passé, et je me dis qu’il en faut peu pour que l’échange ait lieu. Voici donc des conditions de partage réunies, mais peu s’en emparent, faute d’alibi ou de prétexte à la parole.

Le spectacle de La Machine offre la possibilité de délier la parole, d’échanger entre « amis » d’un jour. Certains s’en emparent, alors que d’autres s’ennuient entre deux événements. Ils prennent une photographie pour avoir l’air de faire quelque chose. François Delarozière ne nous donne pas toutes les clefs. A nous de les découvrir…

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