L’habitus est un individuel collectif

Etudiant attentif, Dortmund 2019

 

Pour bien démarrer l’année 2020, voyons un peu ce que Pierre Bourdieu pense et exprime à travers cette formule : « l’habitus est un individuel collectif ».

La notion d’habitus n’est pas réductible à une seule et simple définition. C’est un ensemble de « dispositions durables, permanentes et relativement systématiques » qui structure chaque agent social de sorte que son comportement va être plus ou moins prévisible, toute chose égale par ailleurs. L’idée que « nous sommes en quelque sorte des individus collectivisés » renvoie au fait que chaque agent social agit à l’intérieur d’un espace social propre. De là, Pierre Bourdieu nous donne l’exemple des goûts qui « ne sont pas distribués de manière aléatoire dans l’espace social ». Mais dans cet espace il est aussi question de proximité et de limite.

Tous les agents sociaux n’occupent pas la même position dans un espace social donné. Certains sont plus à la marge que d’autres, et certains sont plus au centre que d’autres. Par exemple, Pierre Bourdieu donne l’exemple de l’homogamie sociale qui est le fait que les gens se  marient préférentiellement dans un même groupe social, dans une même profession, etc. Cela est mis en évidence par les statistiques.

Bourdieu résume cette tendance en disant que « les gens proches dans cet espace ont des goûts proches ». Les goûts sont le fait de « conditionnements sociaux » dans chaque classe, qui fait aussi qu’il existe des classes différentes pouvant se résumer à des tendances particulières en matière de goûts. « L’habitus est donc un individuel collectif et la notion fait disparaître l’alternative entre individu et société ». Chaque individu porte en lui une grosse part du social, une part de la société dans laquelle il évolue. Parce que « les individus sont socialisés, c’est-à-dire soumis à des conditionnements propres à les transformer durablement, conformément aux contraintes caractéristiques d’une condition sociale. L’individuel, le subjectif est donc social, collectif ».

A l’époque de cette séance de cours au Collège de France, Pierre Bourdieu vient de sortir La misère du monde, un ouvrage collectif vendu à des dizaines de milliers d’exemplaires. A travers les entretiens singuliers, l’équipe de Bourdieu montre à quel point « le plus singulier est social », et que les subjectivités sont toujours le produit du social et que « l’idée même de subjectivité est le produit du social ». Partant de là, il est tout à fait pertinent et légitime d’utiliser sa propre personne comme informateur de première main, pour peu qu’un travail réflexif soit mis en œuvre. On utilisera les textes réunis par Christian Ghaziarian à ce propos.

Pour revenir à l’image du pull chargé de bicyclettes que ce doctorant porte, et qui orne ce billet, je ferais remarquer que ces dernières années, une vague déferlante investit la scène vestimentaire ayant pour but de véhiculer l’image du vélo à toutes les sauces.  Cet intérêt pour la bicyclette n’a de sens que dans un mouvement idéologique prônant le retour de la bicyclette comme véhicule individuel écologique et durable. Le bon goût étant de porter ce symbole, le conditionnement social qui a pour but de faire admettre comme bien ou bon le fait de porter ce genre de pull est tout à fait moralisateur et par conséquent soumis à des pressions idéologiques qui font passer le porteur de pull comme moderne, dans le vent, ou encore progressiste. Ce genre de pull en dit tout autant sur l’agent social qui le porte que sur le climat social dans lequel il évolue. Mais un costume cravate en dit tout autant.

En sautant du coq à l’âne, j’aimerai également pointer cette phrase qui intéressera les étudiants en passe de valider leur mémoire de Master pour la session de janvier : « communiquer les acquis d’une recherche suppose malheureusement de créer les conditions de croyance propres à favoriser la réception de ces acquis ». Parce que les étudiants ont été amenés à créer ces conditions, notamment à travers le suivi, et la régularité du suivi qui a permis en mettre en place un dialogue, et donc un cadre de pensées commun qui, le jour de la soutenance permettra d’éviter le désappointement, ils sont préparés à communiquer les résultats de leur recherche dans les meilleures conditions. Ce qui n’est pas le cas lorsque l’on publie un livre. Cela sera peut-être l’objet d’un billet à venir…

 

=> Bourdieu, Pierre. Anthropologie économique, cours au collège de France 1992-1993, Raison d’agir, Paris: Seuil, 2017, pp. 240-245

=> Ghazarian, Christian, sous la direction. De l’ethnographie à l’anthropologie réflexive. Nouveaux terrains, nouvelles pratiques, nouveaux enjeux, Paris : Armand Colin, 2002

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