L’enquête par questionnaire (2)

L’espace public occupé aux 198os, décembre 2019 © NJ

 

« oui », « non », « peut-être » ou « ne sait pas »

Dire que la ville bouge est, en partie, un abus de langage. Même si les bâtiments changent, qu’ils se transforment ou que les places changent au fil du temps, les plus grands changements sont dus aux agents sociaux qui en composent la matière. Une parenthèse s’impose dans notre contexte très particulier de confinement, car à bien réfléchir, serait-il encore pertinent de mener des enquêtes dans l’espace public alors que celui-ci s’est rétréci au point que l’image montrée ci-dessus appartient au déjà passé. Pour le moment, elle ne serait plus reproductible, ou alors, dans un contexte de transgression.

Ces changements témoignent des époques qui nous traversent. Mais comme l’homme n’est pas éternel, ils servent aussi à mesurer les écarts entre les générations, par exemple dans les tenues vestimentaires, et plus généralement ce qu’on appelle la mode.

Mais à l’échelle individuelle, les changements affectent nos vies tout au long de notre trajectoire sociale, culturelle et territoriale. Il est donc important de relier les trajectoires des agents de manière à mieux comprendre les logiques et les mécanismes à l’œuvre, et, en définitives, ce que les gens font ensemble.

Ainsi, les sociologues se servent des catégories socio-professionnelles pour regarder les changements. Par exemple, en demandant quelle est la profession des parents d’un agent social, et en mettant en relation celle de l’agent social, on peut voir comment celui-ci s’est déplacé dans le champ social.

• Quel est la profession de votre père ?

• Quelle est la profession de votre mère ?

• Quel est votre profession ?

• Quelle est la profession de votre conjoint.e.x ?

Evidemment, ce type de question concerne davantage l’étude des trajectoires sociales ou de ce qu’on nomme la mobilité sociale. Mais rien ne dit que vous n’aurez pas besoin de ces informations, notamment sur tout ce qui touche à la gentrification et au changement de style d’un quartier.

 

L’espace public occupé, décembre 2019 © NJ

 

Encore une image irréalisable aujourd’hui, ce qui soulève de nouvelles questions car ici les liens entre les hommes sont patents, mais ils n’ont pas disparus pour autant. Où sont-ils donc aujourd’hui ?

 

On peut regrouper les individus par grandes catégories socioprofessionnelles (PCS), selon les nomenclatures établies par l’Insee. Mais un simple tableau à cinq entrées pourrait faire l’affaire :

1) Commerçant, artisan, chef d’entreprise

2) Cadre, profession intellectuelle

3) Employé

4) Ouvrier

5) Inactif, retraité

Si l’on veut maintenant faire ressortir le groupe des étudiants, généralement classés dans les inactifs (ce n’est pas moi qui classe), on ajoute une nouvelle rubrique. Si en plus les étudiants sont salariés à mi-temps, cela complique encore un peu les choses, et rend vraiment cette notion d’inactivité peu opératoire.

L’idée derrière ces questions est de connaître la position d’un agent social, et sa trajectoire. Cela est graphiquement très sympathique à représenter, et pour l’architecte, très efficace. Un exemple avec ce travail de cartographie mentale réalisé dans le cadre pédagogique avec le travail de Sarah Mekdjian et Marie Moreau. Ici, les chercheurs ont utilisé des données qualitatives, ce qui est beaucoup plus original qu’un simple camembert (même en couleur).

 

Re-dessiner l’expérience. Cartographie heuristique. Marie Moreau, Sarah Mekdjian, 2015

D’autres informations du même ordre sont importantes à demander, si l’on s’intéresse au niveau scolaire, au capital santé, etc. Le degré de précision dépend des raisons qui poussent à faire ces demandes. Par exemple, savoir si l’agent social est étudiant, savoir s’il est étudiant en école d’architecture, savoir s’il est étudiant en école d’architecture en quatrième année, etc.

On a plusieurs moyens à notre disposition :

a) Demander par une question ouverte qui nécessitera un encodage : Quelle est votre niveau scolaire exacte ? (L’encodage est la phase qui précède l’analyse dans laquelle nous allons regrouper les informations.)

b) Dresser une liste : parmi cette liste, trouvez-vous votre établissement universitaire ? (ENSA, INSA, IEP, ENAC, etc., Autre). Il ne faut pas oublier « autre » pour le cas où vous n’auriez pas pensé à tout. De même lorsque vous posez une question fermée, la réponse ne doit pas être oui/non, mais « oui », « non », « peut-être » ou « ne sait pas ».

Souvenez-vous que le plus important est de faire répondre les agents sociaux à des questions que vous vous posez. Inutile de poser des questions dont vous n’avez rien à faire. Cela dit, il faut encore insister sur le comment vous posez la question.

 

L’espace public comme lieu de confrontation des points de vue, décembre 2019, © NJ

 

Howard Becker, dans une interview que l’on trouve sur le net, dit d’une manière un peu définitive qu’il ne faut jamais poser de question commençant par « Pourquoi », mais qu’il faut poser les questions en demandant « Comment ». C’est un point de vue qui ne fonctionne pas toujours, mais j’ai beaucoup réfléchi à cette proposition — venant de lui, ça paraît sérieux — et j’ai le plus souvent possible essayé de commencer mes questions par « Comment… »

Cela renvoie au fait qu‘il faut attacher beaucoup d’importance à la formulation de la question car un biais est toujours possible. Et cela a été montré par Jeannine Richard-Zappella dans les années 1990. Plusieurs études ont permis de mettre à jour le rapport étroit entre la formulation posée et la réponse. Mais le plus surprenant, c’est qu’en posant les deux questions : « Pensez-vous que Dieu existe ? » ou « Est-ce que Dieu existe ? », les résultats  affichent un écart de 15 points entre les réponses. Alors qu’ils étaient 81% à répondre « oui » à la question « Croyez-vous en Dieu ? », ils n’étaient plus que 66% à répondre « oui » à la question « Est-ce que vous croyez en Dieu ? ».  « Le « Est-ce que » diminue l’évidence de la croyance en Dieu, le fait de croire apparaissant moins comme la norme de référence » commente De Singly.

Armé de ces recommandations, vous voici plein de bonnes dispositions pour affronter l’enquête par questionnaire. A vous de jouer !

 

=> De Singly, François, Le questionnaire, Coll. L’enquête et ses méthodes, 2ème édition refondue, Armand Colin, 2007 (4ème édition 2016)

=> Richard-Zapella Jeannine, « Mobilisation de l’opinion publique par les sondages », in Mots, les langages du politique, 1990, 23, pp. 60-75

 

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