Ceteris paribus sic stantibus

Ariane ?, La Halle de la Machine, Montaudran, mai 2021, © NJ

La littérature scientifique est parfois jonchée de formules latines qui, ceteris paribus, servent à maintenir une distance entre les arguments énoncés et une réalité trop vaste pour être englobée à l’intérieur de ces arguments. La formule ceteris paribus sic stantibus signie « toutes choses égales par ailleurs ». Il est de bon ton de l’utiliser dans sa version courte ceteris paribus. On l’aura compris, ce n’est pas la formule dans son ensemble qui compte mais l’idée qu’elle véhicule.  « Toutes choses égales par ailleurs » est à employer lorsque l’on tient à développer un argument, mais qu’on ne peut toutefois pas généraliser.

En fait, on emploiera souvent cette locution afin de se préserver d’éventuelles critiques, notamment face à la critique récurrente de la représentativité. Lorsque l’on travaille sur un petit échantillon, la représentativité est faible. Les statistiques et la loi normale montrent que la représentativité augmente légèrement à mesure que la population grimpe de façon exponentielle. La loi de Ficher  dresse un tableau de probabilités qui permet d’évaluer le pourcentage d’incertitude en rapport avec l’échantillon. Plus l’échantillon est grand, et plus sera grande la certitude d’avoir obtenue une information fiable et représentative. Mais jamais à 100%. Les calculs de probabilités permettent d’éviter d’avoir à questionner la population entière, compte tenu d’une certaine marge d’incertitude.

En ethnologie, nous n’avons pas toujours recours aux statistiques et aux questionnaires quantitatifs. Certains chercheurs rejettent même cette idée. Cependant, la question de la représentativité est souvent posée, et si le singulier prime sur la grande quantité, il faut toujours prévoir cette marge d’incertitude que l’on peut résumer par la locution « ceteris paribus« .

Cependant, les locutions latines sont souvent utilisées dans les textes scientifiques. Colette Pétonnet nous en donne la preuve :

« Les société modernes doivent continuellement trouver leurs réajustements. Plutôt que de regarder en arrière pour constater les pertes avec une nostalgie parfois légitime, mieux vaut mobiliser un peu d’imagination ou assez de curiosité pour contempler les phénomènes in statu nascendi qui conservent aux villes leur pouvoir enchanteur. »

Extrait tiré de Colette Pétonnet, « L’anonymat ou la pellicule protectrice », in Variations sur la ville, Paris, CNRS, 2018, p. 205

In statu nascendi signifie « en état de naître », mais l’utilisation de la locution latine renforce cette situation à la manière d’un concept. Alors que la littérature scientifique anglo-saxonne privilégie l’utilisation des locutions latines, nous pouvons tout à fait écrire leur traduction en français, à plus forte raison, (a fortiori) lorsqu’il s’agit d’affirmer une position par rapport à l’écriture.

La ville est en mouvement

Le Pont Neuf, Toulouse, décembre 2016, © NJ

 

Un exercice simple en début de semaine : que suis-je en mesure de dire à propos de la ville en mouvement sur une page ?

 

La ville est en mouvement

La ville est en mouvement depuis sa création même, voilà 15.000 ans (Valla, 2008). Du point de vue de sa forme, de sa morphologie physique, elle évolue dans la manière d’habiter et par la forme de ses institutions. Les commerçants, les services, les habitats, les entreprises et les usines changent de lieu à l’échelle d’une décennie. Les fonctions de la ville qui reprennent les besoins de l’être humain (Malinowski, 1968) évoluent, changent et se diversifient. L’arrivée des secteurs de l’économie marchande à distance a modifié le rapport à la ville et dans la ville. De la ville industrielle et industrieuse du XIXe siècle, elle est passée à la ville des loisirs pour la petite bourgeoisie, à la ville médicalisée pour les générations les plus âgées, à la ville du spectacle permanent et de la mise en scène pour son image. Le mouvement imposé dans la ville par l’obligation de circuler s’adapte aux crises perpétuelles (Revault d’Allonnes, 2012) et se transforme par l’adoption de moyens individuels de transports, au détriment de moyens collectifs. L’ère de la transition écologique néolibérale incite à réduire les émissions de CO2 sans pour autant réduire les distances ni mettre des moyens de transport collectif à disposition des populations captives, entre le périurbain et la ville centre.

D’un point de vue politique et idéologique, elle se recompose à mesure des prises de conscience de la finitude de l’espèce humaine, à l’ère de l’anthropocène (Malaurie, 2008). Les places publiques deviennent plus vastes et mieux contrôlables (Garnier, 1997). L’espace public comme idéologie (Delgado, 2016) transforme la ville en un lieu privilégié pour les classes dominantes. Parce qu’elle est réservée aux hommes, la ville est le fruit d’enjeux de lutte entre les genres et sources des émergences d’identités nouvelles (Ribaud, 2015). L’écologie, récupérée par l’idéologie néolibérale, est perçue comme une alternative à l’extinction de l’espèce. Les luttes pour un droit à la ville ­— Reclaim The Street — appartiennent en propre à la ville (Klein, 2000).

Du point de vue de sa morphologie sociale (Mauss, 1968), la ville évolue à travers des systèmes de parentés et d’alliance matrimoniale (Ghasarian, 1996). De nos jours, les formes sociales de la famille (Segalen, 1981) ont éclaté le modèle traditionnel et se développent dans une multitude d’aspects : famille monoparentale, polyandrie, polygynie, famille homosexuelle, communauté taisible et communitas (Turner, 1990), et s’accompagnent de formes d’habiter particulières (tiny house, nomadisme, squat). Mais c’est aussi l’aternance des espaces domestiques qui modulent la ville dans un mouvement pendulaire plus ou moins régulier. Du point de vue de la ville réputée appartenir au monde, la culture reste la boussole (Warnier, 1999) qui guide et conduit sa population et ses institutions dans et hors du temps économique (Galbraith, 1998). Du point de vue religieux (Mauss & Hubert), la cristallisation du monothéisme accapare l’essentiel des luttes et des guerres à travers le monde. Cependant, les évangélistes et le pentecôtisme d’un côté, l’animisme de l’autre, conservent une place importante et croissante grâce à l’avènement des nouveaux médias (Gutwirth, 1998), aux côtés des religions asiatiques, shintoïsme, taoïsme, bouddhisme, etc. Dans ses rythmes, la ville change sur le cycle circadien et offre une facette jour/nuit toujours plus complexe (Gwiazdzinski, 2016). A l’image de La Moquette, lieu convivial ouvert la nuit dans les années 1990 à Paris, se créent aujourd’hui des lieux capables d’accueillir une vie nocturne, des « maires de nuit » cherchant à réguler cet espace mental.

Depuis la crise sanitaire et l’état de guerre déclaré au virus (Selim, 2020), la ville a vécu plusieurs confinements, sans jamais être revenue à son état de départ. C’est dans cette ville, dans sa globalité et dans ses multiples facettes, que nous allons nous rendre.

=>

Delgado, 2016, L’espace pubic comme idéologie, Les réveilleurs de la nuit

Galbraith, 1998, Voyage dans le temps économique, Seuil

Garnier, 2010, Une violence éminament comptenporaine : essais sur la ville, la petite bougeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires, Agone

Ghasarian, 1996, Introduction à l’étude de la parenté, Seuil

Gutwirth, 1998, L’église électronique. La saga des télévangélistes, Bayard

Gwiazdzinski, 2016, La nuit, dernière frontière de la ville, Rhutmos

Klein, 2000, No Logo, la tyrannie des marques, Acte Sud

Malaurie, 2008, Terre Mère, CNRS

Malinowski, 1968, Une théorie scientifique de la cutlure, Seuil

Mauss, 1968, Sociologie et anthropologie, PUF

Mauss & Hubert, 1904, Esquisse d’une théorie générale de la magie, Gallimard

Revault d’Allonnes, 2012, La crise sans fin. Essai sur l’expérience modenre du temps, Seuil

Ribaud, 2015, La ville faite par et pour les hommes, Belin

Selim, 2020, Anthropologie d’une pandémie, L’Harmattan

Turner, 1990, Le phénomène rituel, PUF

Valla, 2008, L’homme et l’habitat, l’invention de la maison durant la préhistoire, CNRS

Warnier, 1999, La mondialisation de la cutlure, La Découverte

P.S. Mon père aurait eu 88 ans aujourd’hui.

La plaquette du séminaire en avant première

En avant première voici la plaquette du séminaire La ville en mouvement.

 

Extrait du programme du séminaire La ville en mouvement 2021-2022

Comme nous pouvons le lire, l’intensif se ferait à Esch/Alzette dans le contexte du programme Esch, capitale européenne de la culture 2022. Selon toutes vraisemblances, nous pourrons nous transporter dans cette région et participer au projet de Pierre de Mecquenem autour des arts du feu.

L’orientation du séminaire serait alors tournée sur le feu dans sa dimension symbolique, sociale, culturelle, religieuse, et politique. Une année qui s’annonce riche et plurielle.

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L’oeil de Vivian Maier

Photographie de Vivian Maier, Fonds Vivian Maier, John Maloof, 2021

En juin 2018, j’avais parlé de la photographe américaine Vivian Maier (1926-2009). C’est à l’occasion de la consultation d’un livre lui étant consacré que je vais relater son parcours assez exceptionnel, et commenter son travail. Vivian Dorothy Maier est née à New-York le 1er février 1926 d’une mère française, Maria Jaussaud, née à Saint Julien en Champsaur (Alpes) le 11 mai 1897. Sa mère, Eugénie n’a que 16 ans lorsqu’elle enfante de Maria, d’un père inconnu ? Maria sera reconnue par légitimation lors du mariage de ses parents, Nicolas Baille et Eugénie Jaussaud, le 12 août 1932. Rétrospectivement, Maria portera le nom de Jaussaud-Baille.

Le parcours de Vivian Maier est parsemé d’aller-retour France-Etats-Unis, et le village d’origine de sa mère, Saint-Julien-de-Champsaur, où la vente d’une propriété au lendemain de la Seconde Guerre la fera revenir. Peut-être parce qu’elle a hérité d’une somme conséquente, elle voyage dans plusieurs pays jusqu’en 1956 où elle s’installe à Chicago dans une famille pour s’occuper des deux enfants. 

Où a-t-elle appris la photographie, la composition, la technique de prise de vue ? Quoi qu’il en soit, elle ne quitte jamais son Roleiflex, ou rarement un Leica IIIc. Visiblement, elle était plus à l’aise avec son Roleiflex, car on la voit toujours prendre ses photos à hauteur de poitrine ou au niveau du ventre. Cette technique de prise de vue permet de rester concentré sur le sujet photographié et d’être plus discret. 

Plus de 100.000 clichés lui sont attribués, et le plus curieux est que la plupart des photographies n’ont jamais été tirées du vivant de Vivian Maier. Etait-ce un accent de folie douce ou compulsive de ne jamais sortir sans son appareil photographique et de prendre des centaines de clichés par semaine. Elle sort beaucoup dans la rue et capture le moindre détail de la vie contemporaine. Elle réalise des portraits de gens singuliers, souvent des portraits de gens que la vie a malmenés,  ou des femmes en fourrure, des enfants qui jouent dans la rue ou qui montent sur une échelle improvisée pour regarder à l’intérieur d’un grand carton. Ses photographies sont d’une grande esthétique, très bien composées, et sont des témoignages sur le vif de ce qu’elle a vu. Un géant regardant à travers une vitrine, un homme usé par le temps ou l’alcool, un home handicapé qui se sert d’une canne pour avancer, un homme assoupi assis devant un magasin, une jupe qui se soulève, des mains qui s’étreignent, des femmes qui attendent. Elle photographie aussi la mort et la misère, un homme allongé dans le sable une jambe repliée, sa tête reposant sur son chapeau. Un cheval mort, allongé dans le rue. Un homme hirsute et crasseux qui semble regarder dans le vague. Un fauteuil calciné encore fumant sur le trottoir. La dépouille d’un chat. Trois hommes assoupis dont un semble surpris par le flash. Telles sont les images de la vie quotidienne que Vivian Maier a surprises tout au long de sa longue vie. Elle meurt à 83 ans, dans le dénuement, seule, et si John Maloof, un agent immobilier amateur de photographies n’avait pas acheté aux enchères une partie du fonds Vivian Maier, tout aurait été détruit, annihilé, et personne n’aurait vu ce travail phénoménal. Vivian Maier aimait se photographier dans les reflets des vitres et des miroirs qu’elle trouvait dans la rue. Toujours sérieuse, à la limite de la froideur, que cherche-t-elle à montrer ?  Elle regarde par le viseur « sport » de son Roleiflex, impassible et imperturbable. Cherche-t-elle à laisser une trace de son passage, ou bien à témoigner d’une réalité objective qu’elle saisit. Rien n’est moins sûr, car elle n’a jamais cherché à montrer ou à publier son travail de son vivant. Elle n’a visiblement pas laissé de texte ou d’explications. C’est donc un mystère qui va encore rester longtemps avant d’être résolu. 

 

Photographie de Vivian Maier, Fonds Vivian Maier, John Maloof, 2021

 

Il semble qu’à partir de 1973, elle utilisera une pellicule couleur Ektachrome et un appareil Leica IIIc, ce qui est assez anachronique puisqu’il s’agit d’un vieil appareil photographique, le Leica à l’époque étant un M4. C’est par conséquent un appareil qu’elle achète d’occasion. Elle possède aussi d’autres appareils photographiques, comme un réflex.

En attendant, John Maloof, qui s’est improvisé « conservateur » a créé une fondation Vivian Maier, et travaille à la numérisation de l’ensemble de l’oeuvre. Mais qu’a-t-on vu depuis 2009 ? Quelques photographies, une série d’images choisies pour leurs compositions. Faute d’un véritable travail d’inventaire et de recoupements, notamment ethnographiques ou l’historiques, l’exploitation de ce fonds, s’il fait gagner beaucoup d’argent à un homme qui malgré tout a le mérite de faire découvrir cette oeuvre, n’en est pas moins réduite à quelques tirages. Personnellement, je pense que cette oeuvre devrait appartenir au patrimoine mondial, et qu’il ne peut être la propriété d’une seule personne, qui plus est, sans lien familial. Ce n’est pas du tout la même chose que de trouver un puit de pétrole et un fonds photographique de cette importance. John Maloof restera à mes yeux un génial profiteur. 

Pour argumenter dans ce sens, et ne laisser aucune place à la rancoeur ou à la jalousie, je parlerais du photographe anglais Michael Kenna, avec qui j’ai eu la chance de travailler. Il a fait don de 301 tirages à la France, qu’il a réalisés sur le thème des camps de concentration. Un travail qui lui a pris des années. Il ne pouvait pas décemment s’approprier ce travail photographique et en tirer profit. 

Comment saisir la ville ?

=> Michael Kenna, L’impossible oubli. Les camps nazis cinquante ans après, Paris : Marval, 2001

=> John Maloof, Vivian Maier, Street photographer, Brooklyn, NY: PowerHouse Books, 2011

Un fanzine au service de l’urbanisme tactique

Fanzine Contre-écrou #3, avril 2021

 

Quelle est la réelle définition de l’urbanisme tactique ? C’est celle d’un urbanisme spontané mu par un activisme citoyen et critique qui tente par ses actions d’ouvrir les yeux des citoyens au dialogue social, politique, écologique. Par exemple, récupérer une place de parking et la transformer en jardin potager.

Pour cela la parole a besoin de s’exprimer, et c’est ce que ce fanzine briochin a choisi de faire. Le fanzine trouve son origine dans le courant du DIY (Do It Yourself) de la fin des années 1970. Assez proche du courant de musique punk qui consistait à tout faire soi-même, et court-circuiter les circuits traditionnels des grandes maisons de disques. La musique punk se propageait grâce aux cassettes audio qui étaient copiées à la main. Autour de ce mouvement naissaient des fanzines, magazines souvent spécialisés dans un domaine qui étaient entièrement fabriqués à la main, à partir d’une machine à écrire, de ciseaux et de colle. On y trouvait des illustrations originales, des textes, de la poésie, etc.

C’est cette formule qu’ont choisi nos briochins, des activistes du cyclisme, pour s’exprimer autour du vélo. Ils expriment des idées, ils font des constats, ils inventent des possibilités, et témoignent de leur énergie par des dessins, des mots croisés, des textes et beaucoup d’humour. Il s’agit du collectif « Presse Cuvettes » dont nous ignorons tout.

Le numéro #3 vient de paraître, et comme je soutiens cette initiative, je profite de ce blog pour en parler.

 

Contre-écrou #3, pages intérieures, avril 2021, DR

Ce fanzine de 52 pages aborde l’histoire du vélocipède avec Ernest Michaux, né à Saint-Brieux, fils de Pierre Michaux, les inventeurs de la pédale. J’ai une autre théorie, mais j’en parlerais plus tard. Donc, une partie historique sur les courses de vélocipède, dans laquelle  on voit bien le tournant des années 1880 avec l’arrivée des « bicyclettes de sécurité », celles qui empêchaient de faire un soleil. Un conte de Noël écrit par un véritable écrivain, Jean-Huges Oppel, Des blagues, des récits, etc. La plupart des auteurs sont anonymes et utilisent un sobriquet comme « martine-fait-du-vélo », et un papier sur l’expansion urbaine, d’où l’image sur le rêve pavillonnaire.

Le fanzine lance même un concours de photographie argentique sur le thème du vélo. Cette initiative née à l’occasion du premier confinement (mars 2020) pourrait faire naître d’autres initiatives dans d’autres villes. Il suffit d’un peu d’imagination, de beaucoup d’humour, d’un savoir cycliste, et de beaucoup d’huile de coude.

Le fanzine est vendu à prix libre, coût de fabrication 1 euro.

=> contre-ecrou@mailo.com

 

Une journée à la radio

 

Américo a proposé une animation à la radio CanalSud 92.2 Mhz ce mercredi. Les étudiants seront interviewés autour de leur recherche comme s’ils étaient à la radio. En fait, l’émission est enregistrée. En respectant les règles de distanciation (1m, 6 par salle, tousser dans son coude) ajouté avec le port du masque obligatoire, nous voilà paré pour une journée à la radio.

 

Page d’accueil de Canal Sud 92.2 Mhz

 

Comme je ne connais pas la radio je me connecte via mon ordinateur pour tomber sur un quart d’heure de punk hardcore du groupe Black Flag avec le  morceau NothingLeft Inside. On enchaîne avec la groupe Sarcasm et le titre Empathologic al Necroticism. Là je dirais que c’est plutôt du death metal. Ça met dans l’ambiance !

Il est vrai que les émissions se succèdent sans vraiment de rapports entre elles. Cela me rappelle inévitablement les radios libres des années 1980 en région parisienne. C’est dans ce contexte que nos étudiants vont apprendre à verbaliser devant un micro : attention aux mots, aux censures, aux lapsus, sauf lorsque la verbalisation est lue comme chez France Culture. Nous aurons la synthèse de cette journée un peu plus tard.

 

Plan d’accès à Canal Sud 92.2 Mhz

 

Si nous récapitulons un peu, Elodie nous parlera du quartier Bayard, Alexandre se penchera sur une cartographie de Blagnac/Toulouse, Mélanie abordera la question de la dévitallisation de sa ville, Saint-Gaudens, Thomas fera une carte sensible du Mirail, Telida se penchera sur l’habitat informel sur l’île du Ramier. Emmanuel travaille sur Conakry et nous parlera de la Guinée, Chaime travaille sur le grand ensemble de Negreneys, et Carlotta observe la gentrification place des Carmes. Bien évidemment, les sujets évoluent à mesure de la progression dans la collecte des données.

La salle de débriefing, Les étudiants et les enseignants se préparent pour l’après-midi, CanalSud, 7 avril 2021, © NJ

La matin, les étudiants sont allés faire des micro-trottoirs pour s’essayer à l’interview. Ils ont ensuite répété les entretiens qu’ils feront l’après-midi « pour de vrai ». Comment se comporter devant un micro, comment choisir ses mots, autant d’interrogations qui confronte l’étudiant à l’effet testing, à l’action et à l’apprentissage entre pairs. Un dispositif de pédagogie active que les étudiants semblent avoir appréciés. Les résultats seront d’abord validés avec le groupe avant d’être diffusés sur les ondes.

Une expérience à reproduire !

=> Ecoutez l’émission 

L’espace public en ville et les nouvelles mobilités

Montage photo pour illustrer l’augmentation de la part des vélos d’appartement durant la pandémie

 

Une tribune du Monde (le journal) du 27 avril évoque les difficultés qu’a le vélo à se faire une place parmi les autres modes de déplacement, à commencer par la voiture. Le géographe Matthieu Adam propose une lecture et une interprétation des données statistiques concernant les parts modales des moyens de transports.

 

Graphiques issus d’une étude statistiques du ministère de l’Environnement

 

L’auteur commente notamment le graphique ci-dessus issu des études statistiques du ministère de l’Environnement. La voiture représente la part la plus importante des modes de déplacement, avec deux-tiers pour les hommes comme pour les femmes, avec toutefois une nuance de 1,6 points de moins pour les femmes. Elles sont par contre plus nombreuses à marcher, avec 25,7 % de la part modale, et 4,5 points de plus que pour les hommes. Idem pour l’utilisation des transports en commun, avec 10,1 % de la part modale et 2,1 points de plus par rapport aux hommes. Par contre, l’utilisation du vélo dans les déplacements représente 4% des cinq modes pour les hommes, et seulement 1,5% pour les femmes. Ce décalage s’explique par une différence dans les raisons des déplacements : accompagnement des enfants, course de proximité, peur de la circulation.

Des différences qui sont à la fois liées au genre, mais aussi à la taille de la ville, et au rapport ville/campagne. Le modèle type du jeune cadre dynamique vivant et travaillant en centre-ville domine. Aux Etats-Unis, des chercheurs montrent que ce phénomène accompagne le processus de gentrification de sorte qu’à côté des populations pauvres qui se rabattent sur le vélo comme seul moyen de déplacement, nous retrouvons les classes moyennes supérieures dont les valeurs se rapprochent d’une écologie et d’une « bonne pratique ». Qui plus est, les aménagements sont plutôt orientés sur la ville et son centre, ce qui favorise les classes dominantes. « Les cadres, qui sont nombreux à vivre et à travailler en centre-ville, sont ainsi de facto la catégorie de la population la plus susceptible de pédaler dans de bonnes conditions et sur de courtes distances. »

Le géographe lyonnais montre à travers ses études que la ville de Lyon (mais elle n’est pas la seule) cherche à favoriser une population attirée par les « modes doux » qui généralement est aussi une population diplômée et au pouvoir d’achat élevé. Au demeurant, « l’image du vélo en ville reste dans cette perspective marquée par son histoire populaire, qui conduit de nombreuses personnes à le considérer encore comme le mode de déplacement du pauvre ou du ringard. »

Stationnement des vélos comme marqueurs d’une bonne conduite, La Halle des Machines, © NJ 2018

J’ai pu montrer dans un travail encore inédits que les pays qui ont su développer la pratique du vélo ont pu le faire au moment de crises (pénurie de carburant), notamment à la Havane dans les années 1990. La logique française du tout voiture n’a pas été favorable à la mise en place d’une culture vélo, et il serait prétentieux de prédire un retour de la bicyclette alors que la culture française n’est pas prête à en accepter les inconvénients.

Cette forme de remoralisation du capitalisme et de la bonne conscience est à contrecarrer si l’on veut harmoniser le partage de la Terre. Il ne suffira pas de transformer la ville du quart d’heure en une ville accessible aux plus riches pour rééquilibrer les usages entre la ville et la campagne. La fuite des pauvres vers le périurbain et des plus pauvres vers les déserts urbains ont donné lieu à une prise de conscience  lors des manifestations spontanées des Gilets Jaunes à l’automne 2018. Ce mouvement a été stoppé par les confinements successifs, mais je pense que les consciences sont toujours présentes, prêtes à resurgir lorsque la crise sanitaire sera passée.

Il y a beaucoup de travaux de recherche sur ce qu’on pourrait appeler une « esthétique sociale », où comment le capitalisme articule « bonnes conduites » et écologie.  Je me propose dans un avenir proche d’en faire l’écho.

 

La nuit dans l’espace urbain

Orange la nuit, la couleur inversée,  juillet 2020 © NJ

En 2018, j’avais posté une note à propos de la nuit sur ce blog. Parce que la nuit fait partie de la ville et que nous ne pouvons découper, tronçonner le jour et la nuit. Pour prolonger l’intervention de Luc qui a fait un exposé sur la nuit (valorisation de son travail de thèse en 2002), j’indique la revue Emulations a publié en 2020 un numéro consacré à la nuit urbaine. Sorte de contrepoint destiné à faire découvrir sous un autre angle l’approche de la nuit en ville.

Numéro coordonné par Hélène Jeanmougin et Emanuele Giordano.

« L’appropriation de la nuit urbaine par des activités économiques, sociales et culturelles a connu au XXesiècle une accélération sans précédent. L’intérêt croissant des sciences sociales pour cet objet de recherche a permis de mieux connaître les dynamiques caractérisant l’évolution de l’espace-temps nocturne dans les différentes parties du globe. Ce numéro souligne la nécessité de poursuivre l’exploration de cet espace-temps complexe. En réunissant des contributions de différentes disciplines et sur des régions géographiques variées, il propose de lier tendances globales et spécificités locales qui (re)configurent la nuit urbaine dans la ville contemporaine. Les apports de ces contributions sont présentés et articulés autour de quatre axes : lieux et usages différenciés des pratiques nocturnes, attractivité et conflits, inégalités nocturnes, méthodologies des enquêtes sur la nuit. »

 

Cinéma en plein air, caserne Niel, Empalot, juillet 2020, © NJ

L’article introductif nous emmène à visiter l’histoire des études sur la nuit urbaine dans le champ européen.

« L’une des principales conséquences de la transformation progressive des grands rythmes urbain traditionnel par le processus de néolibéralisation a en effet conduit à la nocturnalisation (sic) d’un nombre croissant de pratique de production et de consommation (ouverture prolongée de certains commerces, fonctionnement nocturne de transports publics, etc.). »

L’article fait état des premiers travaux portant sur la nuit, dans le registre de l’économie nocturne, en anglais, Night-Time-Economy ou NTE. Issue de Think Tank néolibéraux, l’idée que les ressources économiques pouvaient être mobilisées la nuit a permis de développer de nombreux axes dans les villes désoeuvrées. Nous pensons en particulier aux bars, aux boîtes de nuit, et aux épiceries de nuit. Nous voyons également se dessiner des activités festives de nuit, comme ne témoigne la photographie en légende.

Reconnaissons la valeur du travail de notre collègue Luc à travers cette volonté de sortir des sentiers battus des premières études sur la nuit. Ainsi, à propos de son travail, les auteurs écrivent qu’ « une série de nouvelles études propose une approche plus holistique de la nuit urbaine, en explorant la multiplicité des pratiques culturelles, sociales et économiques qui caractérisent la ville nocturne ».

Aujourd’hui de nouveaux objets d’étude diversifient le champ de recherche tout en se spécialisant sur des thématiques spécifiques comme la gentrification, la pollution lumineuse ou encore les rythmes temporels.

« L’ensemble de ces travaux de recherche permet d’appréhender la croissante complexité de la temporalité nocturne et de dépasser une vision stéréotypée de la nuit comme un temps homogène, en produisant une connaissance plus nuancée et critique des dynamiques qui caractérisent l’évolution de l’espace-temps nocturne dans les différentes parties du globe. »

 

Cela me rappelle que dans les années 1990, le frère dominicain Pedro Meca (1935-2015) avait créé un lieu ouvert seulement la nuit, La Moquette. Ce lieu était au départ destiné à accueillir les sans-domicile-fixe, mais en réalité, beaucoup de gens venaient, des noctambules, des riverains, ce qui montrait que beaucoup de gens ne dormaient pas la nuit. Il a fait beaucoup plus pour les SDF que beaucoup d’entre nous. Cela me rappelle l’ouvrage d’Elsie, Viens chez moi, j’habite dehors, éditions Jalan, qui est un recueil de croquis réalisé à La Moquette.

(J’ai atteint la limite de stockage des images sur ce blog, je vais devoir faire du ménage.)

 

Et si les extra-terrestres c’était nous ?

L’image du monde, Yona Friedman, L’humain expliqué aux extra-terrestres, 2016, p. 1007

 

Lorsque l’architecte Yona Friedman est mort, le 14 décembre 2019, aux Etats-Unis, il a fallu attendre le 21 février 2020 pour que la presse internationale en parle.

Première vérité simple : « nous ne pouvons pas comprendre l’univers », Yona Friedman

Yona Friedman est né à Budapest en 1923. Il commence ses études d’architecture à Budapest, puis à Haïfa, en Palestine. Il débute sa carrière en Israël à partir de 1940. C’est à l’occasion de 10ème congrès du CIAM de Dubrovnik, en 1956, qu’il rencontre Jean Prouvé. Sur invitation de ce dernier, il arrive à Paris à l’âge de 34 ans avec des idées plein la tête.

Première vérité noble : « Personne ne devrait dépendre d’un autre pour sa survie », Yona Friedman

Marc nous apporte deux images du livre L’humain expliqué aux extra-terrestres, (1976),  éditions L’éclat, 2016 qui vont illustrer le dépliant de notre séminaire.

Troisième vérité triviale : « Vous-même vous êtes unique », Yona Friedman

Ce livre est rédigé en bande dessinée. 1264 pages de dessins pour exprimer le monde et sa philosophie. Maintenant je n’ai plus honte de mes dessins.

 

=> AMC

=> Biographie de Yona Friedman

=> Yona Friedman’s biography

Les mots, toujours les mots

Carrière de marbre antique, Moulis, © NJ 2018

 

On revient toujours sur les mots car c’est à partir d’eux et grâce ou à cause d’eux que l’on pense ce que l’on pense. Ces dernières années, les concepts les plus opérationnels (opératoires) pour penser la ville et ses espaces sont triturés, discutés, argumentés. Ce n’est pas nouveau, les concepts sont discutés comme celui d’espace public, forgé par Jürgen Habermas en 1961 (à proprement parlé, il faudrait plutôt parler de sphère publique). Mais de manière récurrente, il est bon de revenir et de rediscuter les notions que l’on utilise car insidieusement, des traces idéologiques peuvent s’y installer.

Par exemple l’idée d’espace public que Manuel Delgado triture pour en faire sortir la part idéologique.

« L’espace public devient un espace démocratique où le citoyen est acteur d’une médiation tendant à assouplir les rapports de domination ou même à les effacer. « Les stratégies de médiation hégéliennes servent en réalité, selon Marx, à camoufler toute relation d’exploitation, tout dispositif d’exclusion, ainsi que le rôle des gouvernements dans la dissimulation et le maintien de toutes sortes d’asymétries sociales » (p. 33), pour un but inavoué qui serait de « faire respecter les intérêts d’une classe dominante » (p. 34). »

« Ainsi posé, l’espace public serait la « matérialisation concrète de l’illusion citoyenne » par laquelle les classes dominantes cherchent à « obtenir l’approbation des classes dominées en se prévalant d’un instrument – le système politique – capable de convaincre les dominés de sa neutralité. Elle consiste également à produire le mirage de la réalisation de l’unité souhaitée entre la société et l’Etat (p. 34). »

 

Et puis celle de morale qui récemment fait écho avec une idéologie néo-libérale qui émerge depuis une trentaine d’années. Bernard Hours & Monique Selim se penchent sur cette notion.

« Bernard Hours y aborde la question des inégalités entre les hommes, et notamment des inégalités liées à l’absence de la répartition des richesses qui découlent des principes du capitalisme. L’auteur convoque la notion d’immoralité, puis de moralité et nous entraîne dans une spirale qui conduit les entreprises capitalistes à redorer leur blason par des processus de remoralisation. Les ONG en sont un des éléments, qualifiées « d’entreprises de moralité » [45]. « Parce que la richesse des uns s’accumule nécessairement sur le dos d’autres moins gâtés, loin de l’escroquerie du slogan « gagnant-gagnant », elle produit une injustice qui porte atteinte à la dignité des plus modestes et à leurs droits » [ibid.]. L’auteur distingue d’ailleurs les « droits de » des « droits à » qui, pour ces derniers, sont plutôt du domaine de l’horizon à atteindre. Entre l’État et le marché, dont il sera question dans les chapitres suivants, la société civile apparaît comme le troisième élément de la triade. »

« Ce livre ouvre vers des perspectives intéressantes en termes de réflexion sur le capitalisme et ses prolongements. La pandémie du Covid-19 semble avoir porté un coup sévère aux mécanismes du néolibéralisme. Cet événement globalisé met à l’épreuve le capitalisme et son éthique douteuse (comme par exemple l’absence de régulation des biens sanitaires de première nécessité), voire immorale. »

Ngram « mobilité », google Ngram

 

Et puis la notion de mobilité, qui est discutée dans un ouvrage récent par une main à six voix. Comme nous le voyons sur le graphique ci-dessus cette motion (comme les autres d’ailleurs) augmente considérablement dans sa fréquence d’utilisation. A propos de cette somme d’ouvrages, nos auteurs écrivent :

« Les occurrences citées ci-dessus conçoivent en réalité la MOBILITE comme un déplacement effectif, dont on suppose qu’il modifie positivement la manière dont l’individu actualise les relations avec son environnement social ».

Cependant, « l’hypothèse d’une relation entre MOBILITE spatiale et symbolique rend la couverture référentielle de la notion de MOBILITE floue. » Les auteurs cheminent autour de cette notion et en découvrent beaucoup d’aspects. Parmi ceux-ci, « l’idéologie mobilitaire joue sur le paradoxe qui consiste à projeter une représentation du monde conçue par les élites pour les élites — l’individu mobile — mais donnant l’impression, voire l’illusion d’un phénomène total, normalisé et égalitaire, alors que la majorité de la population vit sans cette représentation ou hors d’elle ».

Nous trouvons encore d’autres perspectives qui confirment ce rapport à l’idéologie.

« Positivement survalorisée dans les sociétés dominées par la perspective néo-libérale, la MOBILITE est une figure amplement promue dans la publicité. » Etc. Etc.

« Toute la conception de l’espace semble désormais dominée par la MOBILITE. »

 

Toutes ces notions font apparaître l’existence d’une idéologie que les non avertis laissent passer pour s’emparer d’elles et diffuser à leur tour cette idéologie. Ils se font surprendre par la beauté de la chose, et n’ont pas ce réflexe méthodologique de réfléchir à leur utilisation. Pourquoi tels mots sont plus couramment pratiqués que tels autres ? Pourquoi certains mots sont à la mode ?

Il y a le langage courant, le lange diffusé par les Think thank et repris par le politique et les médias, et puis ceux que les chercheurs utilisent. Parfois, il s’agit des mêmes mots, mais leur sens est plus nuancé. Hier encore, la garante de HDR me déconseillait d’utiliser la notion de résilience car elle est aujourd’hui galvaudée, et sert à définir la moindre forme de résistance.

Il faut donc se méfier des concepts utilisés et les discuter avant de s’en servir. Il faut cerner leur définition et l’histoire de leur utilisation. Il faut parcourir les textes et pointer les auteurs, ou les inventeurs. Pourquoi la notion de territoire est-elle si fréquemment employée pour parler de ce qu’on nommait auparavant les banlieues, les quartiers sensibles, la province ? La province est un terme qui a été évincé du discours politique, mais le chercheur peut-il encore s’en saisir ? La notion de territoire sert à tout (et donc à rien). Peu précise, elle englobe des situations très différentes, très amalgamées pour évacuer certainement une sorte de malaise dans la civilisation (Freud). Elle est multi-échelles. Elle sous-entend beaucoup de choses, et c’est précisément ces sous-entendus que le chercheur doit comprendre.

« Le choix des termes n’est donc pas neutre » écrit Marc Lits à propos de la notion d’espace public.

=> Manuel DELGADO, L’espace public comme idéologie, trad.. Chloé Brendlé, Toulouse : Les réveilleurs de la nuit, CMDE, 2016

=> Bernard HOURS & Monique SELIM, L’empire de la morale, Paris: L’Harmattan, 2020

=> Katja PLOOG, Anne-Sophie CALINON, Nathalie THAMIN, Mobilité. Histoire et émergence d’un concept en sociolinguistique, Paris : L’Harmattan, 2020

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