C’est la nuit

Maison de l’emploi, Saint-Etienne, archi. Rudy Ricciotti, avril 2015, photo NJ

Notes à propos de la nuit

Le mot nuit est issu du latin noctem, noctis, nuit, qui a donné nocturne, et prend le sens de « repos de la nuit », « obscurité », ténèbres », et par la base grecque nux, qui donne en Allemand Nacht et en Anglais Night. Le latin noctua, chouette, hibou, a donné noctuabundus, celui qui voyage pendant la nuit, le noctambule. Nocturnus est le dieu de la nuit.
On retrouve des racines indoeuropéenne dans les langues slaves et baltique.
La nuit prend le sens dès son origine du temps qui s’écoule entre le coucher du soleil jusqu’à son lever dans cette opposition jour et nuit.
Le sens commun utilise également cette opposition pour rendre concret une situation ou un comportement : « c’est le jour et la nuit ».
C’est une période durant laquelle l’ordre des choses se trouve en position de marge ou d’incertitude : « Il ne passera pas la nuit ».
La nuit est noire, on peut le constater dans l’expression « passer une nuit blanche », cet oxymore qui signifie ne pas dormir. Mais il y a des nuits plus noires que d’autres : pleine lune.

La nuit berlinoise, avril 2018, photo NJ

La nuit est destinée au repos. C’est la période durant laquelle les choses se reposent. C’est donc une période où l’être humain est le plus fragile, le plus vulnérable. L’homme va donc chercher à apprivoiser la nuit et à s’en protéger.
Le bonnet de nuit, forme de protection contre les agressions symboliques.
La nuit est aussi, de par l’obscurité, le moment des ébats amoureux, mais aussi des agressions et des violences. Aussi, l’obscurité est artificiellement combattu, dans les parking par exemple ou le sentiment d’insécurité est amoindri par un éclairage adapté et parfois un fond sonore.
La nuit est la période du silence, où le moindre bruit est amplifié.

L’obscurité renvoie à la méconnaissance, à l’ignorance, aux ténèbres, à la mort. L’expression « la nuit des temps » renvoie à un passé très lointain, à l’origine inconnue du monde, où l’on imagine la naissance de l’univers dans l’obscurité. La lumière est une matière, l’absence de lumière est l’absence de matière.
La nuit signifie rien, le néant.

La perception qu’ont les individus de la nuit dépend de la culture dans laquelle ils vivent.

Le dictionnaire des symboles, pour les Grecs, la nuit (nyx) était la fille du Chaos et la mère du Ciel (Ouranos), et de la Terre (Gaïa). Elle engendre le sommeil et la mort, les rêves et les angoisses, la tendresse et la tromperie.

La nuit dans les sociétés Eskimo

La lecture de Marcel Mauss montre qu’il y a le temps de l’été et le temps de l’hiver. La religion de l’été et la religion de l’hiver, ou plutôt l’été laïque et l’hiver religieux, l’été individualiste/jour, l’hiver en groupe/nuit. Les enfants de l’été et les enfants de l’hiver. La vie religieuse apparaît en hiver pendant la période de la nuit. Peut-on penser que la religion apparaît avec la nuit ou avec la volonté de maîtriser la nuit ? de trouver une réponse ?

On trouve encore les éclipses chez les Inca et le sacrifice d’une jeune personne vierge (événement dramatique universel).

La nuit chez les Dowayo, et la représentation pendant la nuit. (Nigel Barley, Un anthropologue en déroute, Payot, lecture p.77 et suivantes.)

La nuit berlinoise, avril 2018, photo NJ

Edward T. Hall et le temps culturel

La notion de temps recouvre une très large réalité : en termes de phénomène, de rythme, de concept. Dans les différentes catégories du temps qu’il définit, E.T. Hall pose la question du temps culturel, c’est-à-dire du rapport culturel que les hommes entretiennent avec le temps. La nuit dans tout cela n’est qu’une « tranche » de temps. Mauss montre qu’il existe un temps profane et un temps sacré. Nous retrouvons ces mêmes notions à l’intérieur de nos sociétés, mais appliquées suivant un autre axe.

Temps profane/jour/été temps sacré/nuit/hiver (4 mois)

Temps profane quotidien/temps sacré ritualisé selon un cycle annuel, cycle de vie

1/ temps biologique : ce temps nous est donné par le donné physique des éléments naturel, le rythme entre le jour et la nuit, les saisons, etc. sont données. Si les périodes dans l’histoire de la terre ne sont pas toutes identiques, et se succèdent, par contre le jour et la nuit sont depuis l’origine les mêmes. Avec cette alternance jour/nuit, il y a une alternance chaud/froid, humidité/sécheresse, qui ont permis à la vie de se développer. Sans ces alternances, la vie n’est pas possible.

L’harmonie du corps avec l’environnement est aujourd’hui bousculé par les artifices. Pourtant chaque fonctions biologique ou sociale dépend du moment à l’intérieur d’une journée, se lever, manger, boire, jouer, apprendre, sortir en boîte, s’accoupler, naître, mourir, toutes ses fonctions ne sont pas faites par hasard et n’importe quand. (ex 1 : étude dans des grottes, rythme hors du temps). (ex 2 : L’horloge interne, voyage en avion et décalage horaire).

2/ temps individuel : porte sur la perception du temps par chaque individu. Trouver le temps long, ou très court, ex : prof/élève. À l’hôpital, le soignant ou le soigné ne perçoivent pas le temps de la même manière. La souffrance allonge la perception du temps. L’attente d’un remède ou d’une opération, allonge la perception du temps.
La nuit le temps paraît long, interminable. « Pourquoi l’infirmière ne vient-elle pas ? »

3/ temps physique : Les astrologues ont cherché très tôt à mesurer le temps. Calculer le rythme des saisons, les périodes culminantes de l’année (21 juin 22 décembre). La relativité du temps d’Einstein, l’échelle humaine du temps, la vitesse de la lumière. Dans le métier de l’infirmière le temps physique joue à fond : le temps entre le début du traitement et l’action d’efficacité du remède. Le temps entre deux prises de température. Le rythme cardiaque, etc. La maîtrise du temps est un vieux rêve.
La nuit, l’horloge permet de mesurer et de prendre conscience du défilement du temps. Elle étalonne le temps individuel.

4/ temps métaphysique : le temps est affaire de perception. L’impression de vivre une scène déjà vue fait appel à ce temps métaphysique, on sait aujourd’hui que ce phénomène arrive suite à un défaut entre émission et perception du cerveau. Il fait appel aux croyances des individus, et doit être pris en considération car il sert à rassurer. La méditation permet de s’extraire du temps physique. Relaxation.

Barcelone, février 2011, photo NJ

5/ micro-temps : le micro-temps est un des fondements essentiel de chaque culture. Entre les peuples du Nord et les peuples du Sud, les micro-temps sont présents dans chaque culture. L rapport au travail, le temps c’est de l’argent, l’importance du temps dans nos société qui fait que l’automobiliste cherche à aller le plus vite possible pour se rendre d’un point à un autre, sans pour autant que cette rapidité soit justifiée. On a des exemples à foison, comme celui du rendez-vous des peuples africains, on trouve aussi ça chez les SDF. La notion du temps est incorporée dans chacun d’entre nous, en fonction de son statut socio-pro, de sa place dans la société. Culture monochrone et polychrone (faire plusieurs choses à la fois). Certains sont capables de faire plusieurs choses à la fois, d’autres non.
Au niveau du genre la monochronie est masculine, la polychronie est féminine.

6/ synchronie : dans un groupe les individus synchronisent leurs gestes et leurs mouvements les uns avec les autres. « les individus qui ne sont pas synchrones avec un groupe dérangent et ne s’adaptent pas ». L’exemple des danseurs, musiciens, « on ne va pas plus vite que la musique », mais surtout de l’équipe chirurgien/anesthésiste/infirmiers. La mauvaise synchronisation des gestes engendre l’erreur.

7/ temps sacré : rite initiatique, fête religieuse, passage d’un diplôme, ritualisation et donc sanction en cas de transgression. Rite de passage.

8/ temps profane : le temps quotidien qui rythme la vie quotidienne de chacun d’entre nous. Les horaires de travail, les jours de la semaine, les vacances, le feuilleton télé.

9/ méta-temps : temps philosophique ou anthropologique issu de discussion entre les différentes conceptions du temps. Que sommes-nous dans l’univers ?

Le temps est une donnée culturelle qui appartient à chaque société. La perception du temps est incorporée à travers la socialisation des individus. « dépêche toi ! », « n’arrive pas en retard », « prend ton temps », « perdre son temps », fait naître une pression sociale à l’égard de celui qui « perd son temps ». Faire attendre est une marque de pouvoir, de domination.

=> Hall, E.T., La danse de la vie, temps culturel, temps vécu, Seuil, 1992

Barcelone, décembre 2010, photo NJ

Le rapport de la nuit aux croyances

Les croyances nous sont inculquées par la socialisation dès l’enfance, à travers la famille, les amis, l’école, etc. La peur du loup ou de la nuit, de l’ogre, sont des éléments culturels destinés à maintenir l’enfant dans un carcan social. « Ne sort pas la nuit, tu vas te faire attraper par un loup ! ». Cela est renforcé par les rituels dont nous disposons chaque soir, fermer la porte à clef, vérifier si la porte est bien fermée, fermer les volets, se protéger en somme. La pleine lune fait plus peur que la nuit noire.

Que perçoit l’enfant de ces rituels profanes ? Cela conforte et renforce l’idée d’une insécurité. Ces croyances vont habiter l’enfant, puis l’adulte dans son inconscient. Aux périodes les plus angoissantes (être à l’hôpital) ces croyances vont ressortir sous forme de peurs, d’appréhension, d’angoisse, d’anxiété. L’hôpital est anxiogène, de part les odeurs, l’inconnu de son fonctionnement, la peur d’être isolé et seul (temps individuel différent).

Cela est lié à l’incertitude de son rétablissement, à sa fin proche. Souvent les gens meurent la nuit, est-ce que cela est lié au rythme biologique ? La nuit est pour le malade un espace liminaire où l’aube serait ce moment d’agrégation « ça passe ou ça ne passe pas ».

Il peut être important de bien connaître le patient (celui qui patiente). « la patience a des limites », bien mesurer les limites du patient. La religion est un indicateur, l’origine géographique en est un autre, le cadre familial également.  Ces notes m’ont servi à introduire cette notion auprès des élèves des écoles de soins infirmiers.

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