Le Covid s’affiche au Sénégal

Affiches publicitaires apparues dans Dakar durant la dernière semaine de mars 2020

A lire en lien avec ces affiches un article du Monde.fr publié le 30/3/2020 

« Pour le docteur Ousmane Faye, de l’Institut Pasteur de Dakar, la sensibilisation des communautés doit être « la clé de la lutte » contre le Covid-19″

Extrait : L’enseignement que l’on a tiré d’Ebola est que cette épidémie n’était pas uniquement médicale. Il y a tout un volet socio-anthropologique et de communication. La riposte doit être communautaire. Le monde médical donne des directives, mais c’est la communauté qui est au centre de la lutte. Au début de l’épidémie d’Ebola, la réponse reposait sur le tout-médical et nous nous sommes rendu compte que cela ne marchait pas. Il est toujours extrêmement important de savoir à quelle communauté on s’adresse et comment nous lui adressons le message. 

 

L’affiche pédagogique : les gestes barrières.

En version française

En wolof

Traduction : « Protège-toi, protège tes proches »

 

L’affiche présidentielle

Version française

En version arabe

Notons que l’arabe n’est pratiqué au Sénégal dans la grande majorité des cas que pour la récitation du Coran ; le texte affiché ne sera donc certainement pas décrypté mais l’écriture sera identifiée telle un signe de caution culturelle et religieuse

Sur la dualité de campagnes publicitaire en français et en arabe, voir un autre exemple daté de 2010

La même affiche avec l’image de Macky Sall maculée

L’interdiction de rassemblements y compris religieux et de fréquentation des mosquées a pu provoquer des mécontentements au sein des communautés

 

L’affiche commerciale

La vente en ligne

Jumia : l’une des principales sociétés de vente en ligne au Sénégal   Kirène : entreprise sénégalaise d’eau minérale et de jus de fruit

Le produit désinfectant 

Affiche aux accents patriotiques (ajoutons au contexte covid l’approche des 60 ans d’indépendance du Sénégal , 4 avril 1960)

2019, une année d’affiches publicitaires à Dakar : images d’un monde pluriel en mutation

Sélection thématique d’affiches publiées à Dakar en 2019

Cliquer sur les images pour les agrandir

A) Promouvoir le développement 

A.1) Le front de la santé

a) Un enjeu tropical : la lutte contre le paludisme

b) « Grippe », « diabète », « cancer » : les nouveaux fronts de santé publique

A.2) Changer les mentalités, briser les tabous

« La violence faite aux femmes et aux filles, parlons-en » (voir lien)

« Dressons-nous contre le viol »

Contre les mutilations génitales et les mariages d’enfants

« Ensemble, brisons les tabous! La santé reproductive, parlons-en »

« Je veux planifier mes grossesses, comment faire? » (voir lien)

 

B) Dakar, une métropole en mutation

B.1 Diamniadio, une ville nouvelle sort de terre (Voir lien)

B.2) Le défi de la mobilité urbaine

  • Le TER

Train express régional inauguré en 2019 mais pas encore en service au début de l’année 2020. Mise en place d’une liaison ferroviaire à double sens entre Dakar, sa banlieue et la Ville Nouvelle de Diamniadio . L’inauguration a été un argument de campagne présidentielle.

  • Le Bus Rapid Transit

Voie dédiée au transport en commun pour relier Dakar et sa banlieue (les travaux ont été inaugurés et risquent de prendre beaucoup de temps)

 

C) Le Sénégal dans la mondialisation : des territoires multiples

C.1) Formation et études supérieures : un enjeu concurrentiel

a) Le label français : le campus franco sénégalais

b) Le label américain : le « Dakar american university »

c) Le label chinois : le concours Huawei

d) Le label panafricain : Sciences Po Dakar

2) La mondialisation culturelle

a) Les événements sportifs : marathon de Dakar et coupe du monde de surf

b) Les événements culturels : Dakar Fashion Week, journée du yoga, festival de jazz et planète Manga

C.3) L’affirmation de l’identité des cultures et des territoires

a) L’immense succès des séries TV locales en langue locale

b) Le foot

  • Des couleurs, un héros, une nation. La CAN 2019

  • Les « Africains » de la 1ère League : « Yaye jambar » (« C’est vous les guerriers! ») Pub Coca Cola.

c) Fêtes religieuses et produits de consommation

C.4) Le Sénégal dans l’espace géopolitique

a) Les forums internationaux sur l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique

b) Le Sénégal au sein du monde musulman : « Jérusalem, capitale de la Palestine »

 

 

Nouveautés

Du plus récent au plus ancien (années 2019, 2020)

  • Action contre le viol et les violences faites aux femmes et aux filles, dec 2019

  • Faire des études. Le label américain : le Dakar american university of sience and technology (dec 2019)

« At Dakar American University of Science and Technology, you get an American-style education with an international reputation for excellence, not far from home. »

 

  • Faire des études. Le label français. : le campus franco sénégalais (nov 2019)

Gros plan sur les partenaires

  • Faire des études. Le label africain : « Dakar sciences po »

  • Mesurer sa glycémie et lutter contre le diabète (oct-dec 2019)

 

Vaccin contre le HPV (nov 2019)

 

  • Vaccin contre la grippe, nov 2019

  • conférence sur Jérusalem, « capitale de la Palestine », nov 2019

  • Forum sur la paix et la sécurité en Afrique, nov 2019

  • Forum sur la maîtrise des risques, nov 2019

 

  • TER, banlieue et mobilité urbaine (dec 2019)

  • Voie dédiée au transport en commun : le BRT banlieue-centre ville (octobre 2019)

Voir vidéo du CETUD (2019)

  • Lancement d’une chaîne canal plus à couleur locale ; « sunu tv » (Notre tv), nov 2019

  • Lutte contre le paludisme, août  2019

« Daf li war » … (« fais ce qu’il faut ») taggo ac sibiru » (« pour éloigner le paludisme »)

A noter la pluralité des acteurs participant au dispositif de sensibilisation : acteurs nationaux (Ministère de la Santé et de l’Action sociale, Programme National de lutte contre le paludisme), supra nationaux à l’échelle mondiale (OMS, Fonds mondial), de l’étranger (USAID), régionaux (OMVS) ou politico-culturels (Banque de Développement Islamique)

 

 

  • Sommet sur l’excision et les mariages d’enfants, juin 2019

  • Culture du monde : l’Inde et le Yoga, juin 2019

  • Etudes : l’attraction des USA, affichage permanent

  • Etudes : l’attraction de la France, juin 2019

  • La CAN et l’Afrique, Canal +, juin 2019

  • La CAN, le Sénégal et Sadio Mané, Orange, juin 2019

  • La Fashion week à Dakar, Juin 2019

  • « Vache qui rit », Ramadan et pèlerinage à la Mecque, mai 2019 (période de Ramadan)

Note : « la Vache qui rit » est au Sénégal un produit populaire, très couramment consommé, vendu à la portion dans les boutiques de quartier.

  • Bridel et Ramadan : « Le plus complet des Ndogous » (Ndogou : rupture du jeûne), mai 2019

Comment s’adapter aux traditions locales pour conquérir un marché préférentiel (Afrique francophone)

 

  • « L’Afrique en nous », Banque Atlantique, avril 2019

  • Le salon de l’économie numérique, avril 2019

  • Série « Dakar rapide » sur la TV d’Orange. Avril 2019.

Les série télévisées ne sont pas toujours synonymes d’uniformisation culturelle. De plus en plus de séries aux couleurs locales sont proposées au public.

  • Festival de jazz à Gorée sponsorisé par Royal Air Maroc, avril 2019

  • « Je respecte le calendrier vaccinal » (avril 2019)

  • Coca Cola : « Yaay jambar » (« C’est vous les seigneurs »), avril 2019

L’empreinte de la mondialisation : Coca Cola, le foot, la 1ère League (championnat anglais, le plus médiatisé au monde)

Identification :

La langue locale (Wolof)

L’Afrique noire  : des joueurs africains ou d’origine africaine portant les maillots des clubs anglais parmi les plus réputés (S Mané pour Liverpool, P Pogba pour Manchester U, P E Aubameyang pour Arsenal) Remarquons une absence : M Salah, nommé meilleur joueur africain, égyptien.

Un call center marocain au Sénégal : quel processus de mondialisation?

Affiches publiées dans Dakar en avril 2017
On recrute au Sénégal pour un call center…marocain. (voir adresse internet « .ma »)
Même si les affiches ne le disent pas, on peut aisément supposer que le service est destiné à la France. (Il existe au Sénégal des services de vente et après vente pour SFR, Free, etc…)
On a donc un fonctionnement à 3 composantes : le client est en France, l’employé au Sénégal et le grand organisateur -l’entreprise- qui siège au Maroc.
Voilà qui modifie la perception Nord Sud. D’abord parce qu’il n’est plus question d’une logique binaire et ensuite parce que l’espace de commandement n’est -dans ce cas- pas au »Nord » traditionnel
Par ailleurs, si on peut parler d’une dynamique de mondialisation, il n’est pas pour autant question d’espace mondialisé. On est bien ici dans une dimension de territoire avec ses logiques propres.
De lieux tout d’abord : de la France au Sénégal en passant par le Maroc, on pourrait tracer un axe à la règle.
De culture également, puisque la sphère économique est celle de la francophonie.
Cette dernière a ses particularités. Si l’on recherche des voix sénégalaises, ce n’est pas uniquement parce qu’elles sont moins cher qu’en France ou (peut être) au Maroc, c’est aussi parce que ce sont celles qui dans l’Afrique francophone ont l’accent le moins marqué.
La voix tel un gisement…
Enfin, il n’aura échappé à personne que la pub fait miroiter de beaux avantages.
Dès lors qu’on trouve un gisement lucratif, le contexte est forcément concurrentiel et peut aussi profiter aux employés.
L’assurance maladie dans un pays sans « sécu » et où les frais médicaux représentent toujours un souci majeur fait figure de belle promesse.
Le transport gratuit est aussi un argument décisif dans un contexte d’étalement urbain de grande métropole.
Au défi de la concurrence des entreprises s’ajoute celui d’une réserve de main d’oeuvre qui n’est pas si abondante que cela, contrairement à ce que l’on pourrait penser de ce genre de tâche peu qualifiée.
Au Sénégal, le français reste la langue officielle et la langue d’enseignement, mais il n’est que très rarement pratiqué couramment, et ce quelle que soit la condition sociale. On puisera donc dans un réservoir restreint, le plus apte,  l’élite de la jeunesse, diplômée mais souvent désœuvrée.
Héritage de la colonisation, le français reste un marqueur social et un filtre économique.
Pas si facile de faire partie de la « Big family la plus cool de Dakar« !

La Chinafrique s’affiche au Sénégal (août 2018)

Contexte : lire l’article du Monde daté du 22/7/2018  « Xi Jinping en visite, 1ère étape d’une tournée africaine »

Extraits : La visite de Xi Jinping est la deuxième d’un dirigeant chinois dans ce pays après celle de Hu Jintao en février 2009. La Chine est le deuxième partenaire commercial du Sénégal, derrière la France, avec un volume d’échanges de deux milliards de dollars en 2016, incluant des projets d’infrastructure…Les deux dirigeants ont signé dix accords dans des domaines liés à la justice, la coopération économique et technique, les infrastructures, la valorisation du capital humain et l’aviation civile. …La hausse des importations des matériaux de construction provenant de la Chine est due à la présence des entreprises chinoises au Sénégal pour l’exécution des chantiers de l’Etat. De nombreuses infrastructures au Sénégal, dont des stades, des routes et autoroutes, un hôpital, un Grand-théâtre, une arène nationale de lutte et un musée des civilisations noires, ont été construites par la Chine.

Photographies prises en août 2018

 

Constats et enjeux

Les domaines d’activité

  • Les infrastructures (ponts, routes, autoroutes) : dans un pays  en pleine modernisation depuis une dizaine d’années, la Chine entend concurrencer la France en particulier dans la constitution du réseau autoroutier. L’entreprise Eiffage a réalisé la première autoroute à péage reliant Dakar à banlieue (2013) prolongée par des liaisons entre la capitale et le nouvel aéroport (2017) ainsi que deux villes moyennes (Thies et Mbour) qui constituent avec Dakar un triangle majeur dans le projet de développement régional. La Chine se positionne donc pour compléter le réseau en construisant la 1ere autoroute qui ne concernerait pas directement Dakar.
  • L’énergie. Il s’agit d’un domaine particulièrement sensible dans un pays qui a connu il y a peu de graves crises de pénurie d’électricité (cf émeutes de 2011). 1er pollueur de la planète, la Chine se pare ici d’une image de champion du développement durable à travers les énergies propres et renouvelables (barrages hydroélectriques, centrales solaires)

Les lieux affichés mettent en avant un modèle de réalisation (probablement) chinois sur l’affiche des panneaux solaires et un projet de grand barrage chez le voisin Guinéen qui signe une politique de développement à l’échelle régionale.

 

Les slogans

Observons d’emblée la présence systématique de l’écriture chinoise telle un signe fort d’identité immédiatement reconnaissable. Par ailleurs, les termes choisis forment des devises à trois éléments qui doivent être interprétés comme une alternative à l’aide française, souvent qualifiée de dominatrice et néo colonialiste. Plus qu’un partenaire, la Chine vient « en amie ».

La « coopération mutuellement bénéfique« , le « gagnant gagnant » s’inscrivent dans un registre de relation sud-sud aux ambitions égalitaires qui imposent une nécessaire distance critique.

 

Les acteurs

Sur chacune des affiches, la Chine est représentée par des agences de coopération internationales présentes au Sénégal.

Les noms de « Crestone », « Henan » , « 3 Gorges Corporation » donnent ainsi des pistes de d’investigation via notamment les sites officiels de ces agences.

Ainsi, sur le site de Senegal Henan Chine, on peut lire la présentation suivante :

« La Société Henan Chine est entrée au Sénégal par le biais de la Coopération Bilatérale entre la Chine et le Sénégal à la fin des années 70. Et ce fut pour la construction du Stade de l’Amitié  baptisé Stade Léopold Sédar Senghor d’une capacité de plus de 60.000 places et le plus grand Stade en Afrique de l’Ouest. A la fin des travaux, encouragé par les amis Sénégalais satisfaits par la qualité de l’ouvrage, le siège situé à Henan décida d’ouvrir une Agence au Sénégal pourparticiper à l’œuvre de développement national au même titre que les autres sociétésétrangères notamment françaises. »

L’ancienneté de la réalisation rappelle que la Chinafrique s’inscrit dans une continuité historique de plusieurs décennies. L’ambition de concurrencer la France dans sa propre sphère d’influence est ici clairement mentionnée. Avoir signé une construction chinoise du nom de L S Senghor est à ce titre hautement symbolique.

La ville de demain sort de terre : le projet Diamniadio à l’affiche

Article initialement publié sur le portail Histoire-Géographie du lycée J Mermoz en mai 2018

A l’occasion de l’inauguration des « sphères ministérielles » de Diamniadio en mai 2018, l’Etat sénégalais a publié des affiches dans Dakar pour marquer l’importance de l’événement.

Cette étape marque en effet une avancée décisive dans l’édification de la Ville Nouvelle à 30km de la capitale après l’ouverture du Centre de Conférence International et à l’approche de  la livraison du Palais des Sports

A cette réalisation s’associe le projet d’accueillir à terme 15 Ministères et 10.000 fonctionnaires.

Cet horizon donne à l’évidence un large crédit au pari d’une Ville Nouvelle qui prendra forme avec l’arrivée massive de travailleurs administratifs auxquels il faudra ajouter de nombreux emplois induits.

Photographie prise à Dakar en mai 2018

  • A l’arrière plan de l’affiche, les bâtiments ministériels occupent une position centrale.
  • Ils sont encadrés d’un côté par des immeubles résidentiels et de l’autre par le DAKAR ARENA., stade à ciel ouvert inauguré la même année, destiné à accueillir des grandes manifestations sportives et culturelles
  • A gauche de l’affiche figure le TER promis en 2020 qui reliera Diamniadio à la capitale.
  • A droite au dessus des immeubles, l’avion qui survole la ville (à voir plus distinctement en cliquant sur l’image et en zoomant) rappelle la proximité du nouvel aéroport qui vient d’être mis en service (décembre 2017)
  • Au premier plan, on entend donner à l’ensemble du projet un visage humain en écho au slogan choisi. Les travailleurs (l’ouvrier de chantier, le cadre) d’un côté, la famille de l’autre incarnent l’ambition de faire de la Ville Nouvelle un lieu où l’on exerce une activité et où l’on réside.
  • La famille composée de deux parents et de deux enfants, bien éloignée des réalités statistiques des ménages sénégalais (environ 10 personnes par foyer) semble dépeindre un profil de classe moyenne émergente, cible prioritaire des investisseurs immobiliers.
  • Enfin, le vert dominant de l’espace paysager témoigne d’une volonté d’aménager un cadre de vie urbain, ce qui fait cruellement défaut à une capitale héritière d’une urbanisation à outrance. Toutefois, dans un contexte de rareté des pluies et de pénurie d’eau, on pourrait y voir une forme d’idéalisation suscitant l’incertitude et le doute sur ce que sera réellement cette ville de demain.

 

Pour situer le projet  Diamniadio dans un plan d’aménagement plus global visant en particulier à décongestionner la capitale, on propose le croquis de synthèse suivant (cliquer sur l’image pour télécharger la version animée)

De manière plus complète, on pourra aussi se reporter aux informations données sur le site de l’Agence Nationale de l’Aménagement du Territoire

« Leuk », un emblème de classe moyenne

Article publié dans geodakar en 2011

En novembre 2011,  la CBAO (une banque sénégalaise à capitaux marocains) a déployé dans Dakar une campagne publicitaire pour un crédit à la consommation.

« Leuk » (lièvre en wolof), c’est avant tout une référence culturelle nationale. Les générations sénégalaises ont en effet appris à lire à travers les récits du lièvre malin écrits en partie par LS Senghor, père de l’indépendance. Mais à travers l’affiche publicitaire, ce symbole identitaire incarne également les caractéristiques d’une classe moyenne émergente.

On se situe en effet dans une gamme sociale intermédiaire entre ceux -ultra majoritaires- pour qui une voiture (neuve de surcroît) reste un rêve inaccessible et les plus fortunés qui n’ont guère besoin d’emprunter, surtout sans apport, pour acquérir un tel bien.

Par ailleurs, l’existence même d’une campagne publicitaire suppose une réalité quantitative : on cherche à atteindre un large public qui ne saurait se limiter à la upper class. Telle est la classe moyenne dans Dakar, de plus en plus présente à défaut d’être majoritaire, loin des réalités de la pauvreté du Sénégal (IDH à 0,5) , loin aussi de l’ imagerie dominante d’une Afrique toujours misérable.

 « Leuk » décline résolument un concept de modernité : à l’automobile achetée à crédit, on associe une famille à deux enfants que l’on met au premier plan. Voilà un net décalage avec des chiffres de fécondité à 5 enfants par femme pour le Sénégal et à 4 enfants par femme en milieu urbain. Mais le modèle est bien là pour le public concerné, récurrent dans les affiches publicitaires : une famille moderne est composée de deux parents-deux enfants.On relèvera la différence de taille et d’âge bien marquée entre les deux enfants, témoin d’ un espacement et donc une probable planification des naissances. (voir par ailleurs  « Espacer les naissances rapproche du bonheur »)

Observons également la tenue vestimentaire : décontractée pour les deux enfants, chic pour les deux parents. Le père,  affublée d’une chemise-cravatte-boutons de manchettes, fait figure d’homme d’affaires en même temps que de mari attentionné et bon père de famille.

« Leuk » ne saurait se contenter d’une belle automobile. On le retrouve avec sa famille (ce « luky Leuk » n’est jamais solitaire) devant un réfrigérateur et un lave linge.

Le lave-linge est en lui-même une révolution de mentalités et un emblème de modernité. Dans le contexte local, laver les vêtements est habituellement une tâche qui incombe au personnel domestique(le terme de « bonne » est largement répandu). Utiliser un lave-linge même dans les milieux les plus aisés était impensable il y a quelques années.

Le réfrigérateur est lui un équipement banal mais celui que l’on affiche, un king size à l’américaine, l’est beaucoup moins.

Famille moderne, équipement moderne, tel est l’étendard de Leuk, monsieur middle class.

Observons toutefois que la tenue traditionnelle (le boubou) s’est substituée aux habits de la précédente image. Il faut aussi faire écho à l’identité culturelle sénégalaise et souligner une compatibilité entre tradition et modernité.

Suivons maintenant les lièvres jusqu’au salon de leur tanière.

Les voici,  dans l’ambiance chaleureuse de Noël, confortablement assis sur un large canapé, nullement étonnés de côtoyer un conifère enneigé en pleine Afrique tropicale. Comme il se doit, les cadeaux sont au pied du sapin décoré.

Noël…dans un pays à écrasante majorité musulmane (90%), tel un standard festif mondialisé. Il est bien ici question de faire « comme partout dans le monde », quelle que soit l’identité culturelle.

Rappelons par ailleurs que nous sommes au début du mois de novembre : on sort tout juste de la grande fête musulmane de la Tabaski (l’Aïd) qui a engagé dans les familles des dépenses souvent considérables. Pas de répit dans cette course effrénée  -de lièvres diront certains- à la consommation.

On n’en oubliera pas le corollaire que rappelle chacune des affiches : l’endettement, tel un prix à payer pour rentrer dans la modernité.

Dans un contexte macro-économique de crise majeure, on ne saurait occulter sous le masque du lièvre un risque de nouvelle misère sociale, le surendettement.

Un pouvoir d’achat croissant lié au recours au crédit, une course à la consommation dans une quête de modernité,une forte perméabilité à la mondialisation associée au maintien d’une identité culturelle, une fragilité due à l’endettement, telles sont les caractéristiques d’une classe moyenne émergente au sein d’une capitale africaine perçue à travers une campagne publicitaire.

Au delà de cette analyse, on observera que Leuk, aussi malin soit-il, a pris le risque de vanter un monde d’opulence sans visage humain.

Le nombre d’enfants, une question à l’affiche

Article rédigé en 2011 sur Geodakar

En  juillet 2010 et 2011, le Planning Familial du Sénégal a lancé une campagne d’affichage autour d’un slogan évocateur.

Quelques précisions s’imposent avant l’analyse de l’image.

On trouvera une enquête démographique  sur le site de l‘agence statistique du Sénégal. Les pages consacrées à la fécondité donnent les informations suivantes :

– l’Indice de Fécondité  est estimé à 5,0 enfants par femme pour l’ensemble du Sénégal ; 

– la fécondité des femmes sénégalaises a connu une baisse très modérée : elle est passée de 6.6 enfants en 1986, à 6 enfants en 1992 et à 5 enfants en 2010-2011.

– elle est beaucoup plus élevé en milieu rural (6,0 enfants par femme) qu’en milieu urbain (3,9).

 

Ces données éclairent les enjeux d’une telle campagne publicitaire.

A l’instar des PMA  sahéliens, le Sénégal demeure dans une phase initiale de transition démographique. La fécondité ne baisse que légèrement et la maîtrise démographique tendant à ralentir, la croissance de la population est loin d’être assurée. Il faut donc inciter à réduire la natalité, objectif à atteindre par un espacement des naissances.

Or celui-ci se heurte à une faible utilisation des méthodes contraceptives (1 femme sur 10 au Sénégal, voir lien) et à des traditions culturelles natalistes très tenaces.

A cet égard, l’opposition ville-campagne est particulièrement significative (un écart de 2pts dans l’indice de fécondité). Elle éclaire le contexte du message publicitaire : placardé vers la fin du mois de juin (tout comme l’année précédente), il adresse dans Dakar un message aux nombreux migrants qui s’apprêtent à retourner au village à l’occasion de la saison des pluies. C’est donc une relation ville-campagne et pas seulement une opposition- qu’il faut ici discerner sur cette question démographique.Les mouvements migratoires saisonniers de la (grande) ville au village sont ici envisagés comme un vecteur de diffusion de changement des mentalités et pratiques natalistes.

Analyse de l’image.

a) Du logo à la photo : le triangle deux parents-un enfant. Attention de ne pas confondre avec le modèle familial de l’enfant unique (Chine). Il faut davantage
porter l’attention sur le lien que l’enfant crée entre ses deux parents comme le suggère cette cellule familiale en forme de triangle.  Le 1er d’une fratrie apparaît ici comme une étape de la vie familiale qui mérite une escale.

b) Le costume traditionnel.  Le boubou est revêtu par les deux parents : on veut éviter la méfiance à l’encontre de la modernité. L’espacement des naissances ne doit
pas être perçu comme une menace venue de la ville avec son cortège de changements de comportements. On s’assure d’une connivence culturelle pour mieux faire passer le message en milieu rural en particulier.

c)  La femme est un élément du triangle mais elle est aussi au centre de l’affichecomme elle est au coeur des préoccupations du Planning familial.
D’après la ministre de la santé, 800.000 femmes sénégalaises (sur une population totale de 12 millions d’habitants)  veulent différer ou éviter une grossesse mais n’utilisent pas de moyens de contraception efficaces.

Par ailleurs, le visage souriant de la maman n’est pas sans laisser une impression d’âge : celle-ci fait davantage figure de jeune adulte que de jeune fille. Ce choix n’a sans doutes rien d’innocent pour un Planning familial qui entend lutter contre les mariages précoces (et non consentis) et la maternité adolescente, phénomènes encore bien présents dans les milieux ruraux. L’enjeu est culturel, il est aussi démographique : c’est en retardant la première naissance que l’on contribuera à ralentir la natalité.

d) L’homme est relégué sur la marge mais de par sa taille conserve un ascendant que l’on montre bienveillant et protecteur. Il s’agit encore une fois de ne pas
se heurter aux codes culturels qui prévalent dans la société sénégalaise.

e) Le slogan : on note bien sûr la dualité espacer/rapprocher qui donne au message sa force publicitaire. Remarquons qu’il ne s’agit pas de réduire le nombre
d’enfants même si c’est l’effet indirect escompté. Le mot espacer ne heurte pas directement l’attachement à une famille (très) nombreuse.

Enfin, le terme de bonheur s’affirme comme le point d’orgue du message, la finalité revendiquée. Il fait écho à une véritable vogue publicitaire (voir lien) et souligne l’importance nouvelle de l’individu que véhiculent les affiches, leurs images et leurs mots. Bonheur de l’enfant, unique non en nombre mais en tant que personne ; bonheur de la femme  actrice et décideuse de sa maternité.

Certains débattront de savoir si ce bonheur là est une valeur importée ou universelle.

Si l’affiche observée traduit une incitation au ralentissement démographique, d’autres à caractère commercial reflètent davantage un changement de mentalité et de modèle familial largement diffusé au sein des classes moyennes et aisées. (voir par ailleurs « Leuk », un emblème de classe moyenne )

Qu’il s’agisse de consommer de la margarine ou de souscrire à une assurance habitation, on est face à des mises en scène similaires  :

– deux parents-deux enfants, telle est la cellule familiale

– si la différence d’âge entre les deux enfants n’est pas très marquée, on constatera qu’il n’est pas question d’enfants en bas âge. Rien ne laisse augurer d’un élargissement de la fratrie.

– que le mot soit ou non écrit, le bonheur semble bien être la récurrence du message publicitaire. Vivre à 4, c’est vivre heureux.

– Allez chercher l’africanité du décor : on est dans un petit jardin privatif d’un rez de chaussée d’immeuble moderne ou dans un cadre champêtre qui évoque davantage des contrées européennes qu’un paysage de savane. Quant à la tenue vestimentaire, cette fois-ci, nulle trace d’habits traditionnels.

Tout ceci s’incrit dans un concept de modernité qui s’accompagne d’un modèle familial.

Certains objecteront que ces affiches ne s’adressent qu’à une catégorie minoritaire de la société.

Il n’empêche, il suffit de discuter avec de jeunes adultes y compris de milieu modeste pour comprendre que l’idée fait son chemin.

« Nous n’aurons pas de 3ème  » témoignait dernièrement un chauffeur de taxi d’une trentaine d’années, père de deux jeunes enfants. Comptant lui-même une dizaine de frères et soeurs, il disait « ne pas vouloir faire comme son père« .

La ville s’impose ici comme lieu et vecteur de changements de mentalités, un moteur essentiel de la transition démographique.