Baudelaire, Le Spleen de Paris: le spectacle de Paris

Charles Baudelaire : Le spleen de Paris
Le spectacle de Paris (Travail proposé par Romain et Antoine)

Le spleen de Paris, ou Petits poèmes en prose est un recueil de poèmes écrit par Charles Baudelaire et publié en 1869, deux ans après sa mort.
C’est un ouvrage inspiré, comme Baudelaire l’indique lui-même, par Gaspard de la nuit, d’Aloysius Bertrand. Il constitue une tentative de Baudelaire d’écrire une prose poétique, des textes qui, sans avoir à se soumettre aux règles de la versification, aient une musicalité et une harmonie qui leur permettent de « s’adapter aux mouvements de l’âme ».
Le recueil reprend la plupart des thèmes des Fleurs du mal, c’est-à-dire le spleen, mélancolie angoissante qui oppresse l’homme, et les moyens qu’il utilise pour s’en échapper, pour tenter de se rapprocher de son idéal, ou au moins de s’éloigner du spleen.

Le titre, cependant, marque une différence : cet ouvrage s’axe autour du « spleen de paris », donc de la relation entre le spleen et la ville. Paris occupe donc une place prépondérante dans le recueil. Nous tenterons donc ici de montrer comment Baudelaire s’attache à nous exposer le spectacle de Paris, et les sentiments de l’auteur envers cette ville.


Baudelaire est le premier à évoquer l’existence de la poésie de la ville. Parisien averti, il connaît extrêmement bien Paris, en particulier ses bas- fonds, car il vivait lui-même dans un certain manque d’argent et changeait régulièrement de domicile pour échapper à ses créanciers, il a donc sillonné les quartiers mal famés de Paris, et connaît également bien les beaux quartiers, devant, en sa qualité de journaliste et critique d’art rendre visites à diverses personnes. Si les romantiques trouvent leur inspiration dans la contemplation de la nature, de la mer, ou d’un beau paysage,  Baudelaire les considère plus comme des concepts que comme des endroits propres à la méditation ou à l’observation. Il est plus attiré par l’agitation des villes, qui exerce sur lui une fascination en même temps qu’un certain dégoût parfois. Paris est à la fois source de spleen et distraction. L’auteur dit lui-même, en s’adressant à Arsène Houssaye , à propos de la poésie en prose : « c’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que nait cet idéal obsédant ». La poésie en prose est donc pour lui la poésie de la ville, la poésie de Paris, issue de la contemplation de la ville. Les premiers poèmes sur Paris relèvent plutôt de la critique de la haute société parisienne, et de la description négative de Paris que Baudelaire nous montre à travers sa propre expérience de la vie parisienne ou mondaine : le poème X, par exemple, nous montre Paris comme une « horrible ville », peuplée de médiocres (des hommes de lettres qui prennent « la Russie pour une île », des femmes voulant un « costume de Vénustre »). Elle apparaît comme étouffante, imposant la « tyrannie de la face humaine » à l’homme à tout instant, ne lui permet jamais d’accéder au silence. Le « plaisant » du poème IV figure le riche haïssable, qui « parut concentrer en lui tout l’esprit de la France », à côté de l’âne, pauvre mais bien plus digne d’admiration. « Les tentations » (XXI) transmettent l’idée que la clé de la réussite parisienne est l’argent et la popularité, donnant l’idée d’une ville corrompue.

Mais on voit bien que ce n’est pas sous ce jour que Baudelaire voit surtout Paris. Ou du moins, cette corruption n’est plus vue comme quelque chose de fondamentalement mauvais dans les autres poèmes, mais exerce plutôt une sorte de fascination sur l’auteur. Il veut peindre la vraie ville, la ville des multitudes, pas la ville de l’élite mais la ville authentique, avec sa saleté, sa misère, une poésie des masses. Car c’est bien ce par quoi Baudelaire est fasciné : les masses. Dans le poème XII, « Les foules », il le montre bien. Pour lui, le poète a la capacité de ne faire qu’un avec la foule, et donc avec la ville, car la foule est l’essence même de la ville. Cette symbiose est la source de « mystérieuses ivresses », procure au poète une « ineffable orgie », une « sainte prostitution », en comparaison de quoi « ce que les hommes nomment amour est bien restreint, bien petit ». La foule est un des divertissements qui tiennent le spleen à distance, et cet « incomparable privilège » de se mêler aux foules inspire au poète cette poésie urbaine.

Gravure de Paris au 19 ème siècle par Thomas Allom

Baudelaire est profondément subjugué par l’observation de Paris dans sa globalité mais aussi dans les détails. Ce qu’il aime, c’est ne faire plus qu’un avec une entité, foule ou individu, et en acquérir une compréhension. Ainsi « Les veuves » (XIV), nous montre une autre facette de l’inspiration baudelairienne : la solitude (même si, d’après lui, « multitude, solitude, termes égaux et convertibles pour le poète »). Il est inspiré par les couches les plus basses de la société parisienne bien plus que par les riches. La béatitude et la médiocrité des riches ne leur confèrent pas la grandeur que donnent l’austérité et la misère sobre aux pauvres, qui sont de plus considérés comme une partie intégrante de la ville. Dans le dernier poème (L), il en appelle à « la muse familière, la citadine, la vivante » (preuve encore de son amour pour la ville) pour l’aider à chanter « les pauvres chiens, les chiens crottés, ceux-là que chacun écarte […] excepté […] le poète qui le regarde d’un œil fraternel ». Il trouve un plus grand lyrisme dans le petit peuple, parce qu’ils sont l’essence, le cœur même de la ville. Le malheur et la pauvreté sont plus matière à poème que la richesse, et plus proches de Paris. Il dit aimer voir à travers une « fenêtre fermée », plus que de voir l’extérieur par une fenêtre ouverte (poème XXXV), là encore en opposition avec le romantisme, il préfère les espaces confinés, donc les villes, et l’observation de l’humain.

Baudelaire éprouve une jouissance à observer le Paris vicié, le Paris pauvre, sale, morne, triste, car il regroupe des milliers d’existences auxquelles Baudelaire peut s’immiscer alternativement personnellement ou globalement. Paris est finalement décrite dans l‘épilogue, seule partie en vers, comme une « énorme catin/ Dont le charme infernal me rajeunit sans cesse ». Le poète jouit du spectacle parisien, divertissement qui le tien éloigné du spleen, et son caractère « infernal » est ce qui le subjugue par- dessus tout.

Finalement, c’est cette ville, ses foules et ses individus, éternellement changeants, qui inspirent la poésie en prose et est la base du recueil. Pour être « assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme », elle doit correspondre à la ville, et nul mieux que Baudelaire, poète parisien par excellence, n’aurait pu écrire une telle prose.

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