Premières: Roberto Zucco, une tragédie contemporaine

 ROBERTO ZUCCO

Dans quelle mesure l’oeuvre Roberto Zucco est-elle une tragédie contemporaine?

Restitution du cours mise en forme par THOMAS (Première S)

 Tragédie: genre théâtral, né dans l’Antiquité (tragoedia, « le chant du bouc », étymologie dont la signification reste encore très obscure), qui a connu en France son apogée au XVII ème siècle, à l’époque du classicisme. Genre alors très codifié.

I) Une tragédie classique?

 D’après Aristote, philosophe grec du IV siècle avant J.C, le premier à avoir consacré un ouvrage à la création littéraire, La Poétique « La tragédie est l’imitation (mimesis) d’une action de caractère élevé et complète, d’une certaine étendue dans un langage relevé d’assaisonnements d’une espèce particulière suivant diverses parties, l’imitation qui est faite par des personnages en action, et non au moyen d’un récit suscitant la pitié et la crainte, et qui opère la purgation propre à de pareilles émotions ». Aristote, La Poétique, chapitre 6.

 Dans le théâtre classique, la tragédie se confond avec la notion de « crise tragique »: une situation tendue à l’extrême depuis longtemps, qui éclate violemment dans une crise qui se résout en 24 heures dans un lieu unique. On évoque souvent comme images de la tragédie la goutte d’eau qui fait déborder le vase, ou le ressort qui se relâche brutalement.

 A cet égard, Roberto Zucco ne rentre pas dans le modèle classique: la pièce évoque en fait les parcours entrelacés de Zucco et de la gamine,  il y a donc multiplicité des lieux (Intérieurs ou extérieurs, gare, jardin public, rue), et des temps. La temporalité précise est difficile à établir, car si la pièce manifeste une alternance jour/nuit, celle-ci est avant tout symbolique).

De même, la règle de l’unité d’action n’est pas respectée: on ne peut nier que la portée dramatique (= qui fait progresser l’action) de certaines scènes est absolument nulle (par exemple, la scène 6 « Métro »  ou 13 « Ophélie »).

 La pièce ne respecte pas non plus les règles de bienséance; plusieurs meurtres sont représentés sur scène, celui de la mère et celui de l’enfant, ainsi qu’un viol dans la scène sous la table.

Pour toutes ces raisons on ne peut pas dire que Roberto Zucco est une tragédie classique.

 II) Les modèles koltèsiens

 Cependant B. M Koltès retrouve quelques uns des aspects du théâtre grec, particulièrement en ce qui concerne le héros tragique.

Pour Aristote le héros est « celui qui a commis une faute », il doit inspirer au spectateur répulsion et compassion.

« C’est [le cas] d’un homme, qui sans atteindre à l’excellence dans l’ordre de la vertu et de la justice, doit, non au vice et à la méchanceté, mais à quelque faute de tomber dans le malheur  » (Aristote, La Poétique, chapitre 13).  Ainsi Oedipe, dans Oedipe-roi de Sophocle (auteur du V siècle avant JC) est un personnage orgueilleux et violent. Il peut lui arriver des malheurs, on peut le plaindre, mais il suscite aussi une certaine répulsion, à cause de ce qu’il a fait ou de la manière dont il a réagi.

Zucco est dans cette logique (rappelons qu’il ne s’agit pas de confondre Zucco et Succo): le spectateur vis à vis de lui hésite entre condamnation et fascination: « J’écrase les animaux, non par méchanceté, mais parce que je ne les ai pas vus, et que j’ai posé le pied dessus ».

 La dernière scène retrouve aussi le fondement du théâtre grec, c’est-à-dire le dialogue entre un groupe d’hommes ordinaires (rôle assumé par le choeur antique dans la tragédie grecque), et le personnage « héroïque », celui que sa démesure (l’hybris ou l’hubris en grec) condamne à la punition (mort, mutilation, bannissement).

 Dans ses premières pièces, ( Combat de nègre et de chiens, Dans la solitude des champs de coton) Koltès respectait les règles du théâtre classique (unité de temps et de lieu, resserrement de l’action). Mais le modèle de Shakespeare le détourne peu à peu de ces contraintes. Progressivement, il ne respecte plus les règles.

 A l’imitation de Shakespeare également, il introduit des moments comiques dans des scènes des plus tragiques comme dans la scène 10 « L’otage », ce qui était impossible dans le théâtre classique, où le mélange des genres était proscrit.

 III)Un univers tragique

 Le tragique évoque « une situation où l’homme prend douloureusement conscience d’un destin ou d’une fatalité qui pèse sur sa vie, sa nature ou sa condition même. » (définition Petit Robert). A cet égard, le monde tel que le décrit la pièce est profondément tragique.

 C’est un univers caractérisé par l’enfermement. Zucco dit « Je suis déjà enfermé au milieu de ces gens » scène 12 « La gare », «  Il ne faut pas chercher à traverser les murs, parce qu’au delà des murs, il y a d’autres murs, il y a toujours la prison« , scène 15, « Zucco au soleil ».

Le monde est vu comme une prison. Tous les lieux sont fermés, même les lieux en plein air sont clôturés comme le jardin public avec des grilles ou le petit Chicago. Les gares elles-mêmes qui sont des lieux de départ sont présentées comme closes (elles sont évoquées la nuit, désertes, sans train qui circulent).

 Cet enfermement est lisible également dans la construction en écho de la pièce: la première et la dernière scène se passent dans les mêmes lieux et il en va de même pour d’autres scènes. De même les familles de Zucco et de la dame sont construites de manière semblable (père, mère, enfant).

Tout ceci produit un sentiment d’enfermement.

 Dans cette pièce il n’y a pas de communication humaine comme le montre la scène 8, « Juste avant de mourir » où Zucco parle dans une cabine téléphonique qui ne fonctionne pas.

Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des échanges entre les hommes: « De toute façon, personne ne s’intéresse à personne. Personne. Les hommes ont besoin des femmes et les femmes ont besoin des hommes. Mais de l’amour, il n’y en a pas« , « Juste avant de mourir », scène 8. Toute relation relève du « deal », de l’échange, ce qui est le fondement même de la pièce.

Monde de solitude extrême où finit par dominer la violence.

 La société dans son ensemble apparaît comme peuplée d’imbéciles (voir par exemple les propos de la Dame, dans la scène « L’otage »), ou de tueurs: « Regardez tous ces fous; regardez comme ils ont l’air méchants, ce sont des tueurs » scène « La gare ».

Les hommes sont tous atteints de folie et sont capables de tuer.

La Gamine et Zucco ont un parcours menant à la destruction, la leur et celle des personnes qui les entourent. Les évènements s’enchaînent,  les meurtres sont de plus en plus « visibles » (un appartement fermé, une rue la nuit, un jardin public en plein jour) et en même temps, Zucco met de plus en plus de distance entre lui et sa victime. Cet enchaînement est une fatalité: on ne peut échapper à cette course de plus en plus rapide vers la destruction, qui touche la majorité des personnages (mais surtout les femmes: la gamine, la Dame, la soeur).

 Conclusion:

 B.M Koltes, pour sa dernière oeuvre, s’affranchit des règles théâtrales admises et choisit ses références au gré de ses envies et de ses affinités. du théâtre tragique. Il suit des modèles selon ses envies. Malgré quelques éléments comiques cette pièce garde une tonalité tragique.

Dans un  monde dénué de toute humanité, aucune issue ne peut s’offrir sinon celle de la violence qui est une sorte de marche qui mène à la mort, omniprésente et toujours scandaleuse: « De toute façon, un an, cent ans, c’est pareil; tôt ou tard, on doit tous mourir, tous. Et ça, ça fait chanter les oiseaux, ça fait rire les oiseaux » (scène 8 « Juste avant de mourir »).

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