Premières STG: Zucco, scène 14, tirade de la Gamine

Bernard Marie Koltès, Roberto Zucco

Scène 14 : L’arrestation

Tirade de la gamine, de « Je t’ai cherché, Roberto » à « je serai ton bagage, ton porteur et ton amour »

Introduction

Il s’agit ici de la deuxième et dernière scène qui met en présence Zucco et la gamine. Elle marque l’aboutissement de leurs parcours respectifs. La gamine a quitté sa famille pour rechercher Zucco, mais elle n’est parvenue qu’au Petit Chicago, un quartier mal famé. Son frère l’a vendue et elle est devenue prostituée. De son côté, Zucco a poursuivi son itinéraire meurtrier, en tuant un inspecteur de police pour s’emparer de son arme, et un enfant, alors qu’il voulait contraindre sa mère à lui donner sa voiture. De quelle manière cette scène évoque-t-elle la première scène de la rencontre et s’en démarque-t-elle en même temps,  traduisant ainsi le passage des événements et la fin toute proche ?

Zucco et la gamine (m.e.s Chjristophe Perton)

I Le rappel de la première rencontre

1)      Le souvenir des premiers dialogues

La gamine n’a rien oublié des termes mêmes de la première scène : le terme de « secrets » est répété 3 fois (« Je garderai tous tes secrets », « je serai ta valise à secrets », « tu seras mon secret ») avec une légère variante, l’emploi du terme « mystères », dans l’expression « Je serai le sac où tu rangeras tes mystères ».

On retrouve également tout le vocabulaire associé au voyage : « valise », « sac », « dans tes voyages », « ton bagage », « ton porteur », ainsi que la référence aux armes : « je veillerai sur tes armes, je les protégerai de la rouille.

2)      Une déclaration d’amour

On voit clairement la gamine espérer des retrouvailles définitives : elle insiste sur le souvenir de leur première rencontre, en mentionnant par deux fois le prénom de Zucco, Roberto, au tout début de la tirade, puis vers le milieu au moment où elle formule son désir « Je veux rester avec toi, Roberto ». Avec le même procédé de répétition, « je t’ai cherché », elle présente cette recherche comme le seul but qui l’a animée.

De fait, la tirade devient déclaration d’amour : elle commence par l’emploi du passé composé qui évoque les actions et les émotions de la gamine : « Je t’ai cherché », « Je t’ai trahi », « J’ai pleuré », « J’ai souffert ». Puis  vient le présent « Je veux rester avec toi », « Je veux surveiller ». L’emploi dans la fin de la tirade du futur (« J’entendrai », « je surveillerai », « Je garderai », « Je serai », « je veillerai, « je protégerai ») trahit l’espoir qui est le sien d’une vie commune.

3)      L’attente d’une réciprocité

Elle se présente elle-même comme prête au dévouement le plus absolu, acceptant finalement la « chosification » : « je serai ta valise à secrets, je serai le sac où tu rangeras tes mystères ». La multiplication des phrases courtes, construites sur un rythme binaire traduit bien la tension qui est la sienne à ce moment de la scène.

Car ce qu’attend la gamine de sa dévotion, c’est la réciprocité de cet amour : « tu seras mon agent et mon secret, et moi  je serai ton bagage, ton porteur et ton amour ». Le zeugma joue sur le terme d’agent secret qu’il décompose en deux termes, l’un concret « agent », l’autre abstrait « secret ». La deuxième partie de la phrase développe un rythme ternaire (« ton bagage, ton secret, et ton amour ») qui permet à la gamine d’achever son discours sur le mot même  « amour » qui n’est prononcé qu’à la fin. Quant au chiasme qui fait alterner les personnes (Tu/mon/mon ; Je/Ton/Ton /Ton),  il appuie l’espoir de la gamine, celui de constituer avec Zucco un couple, dont l’identité de l’un ne dépendrait que de l’autre (Noter au passage que le verbe ici utilisé est le verbe être).

Dernière scène, m.e.s Christophe Perton

II Un échec programmé

1)      L’absence de dialogue

Même si  la gamine cherche à faire revivre le souvenir de leur première rencontre, on se rend vite compte qu’elle est seule à parler ici. Alors que la première scène était construite sur un réel dialogue, nous n’assistons ici qu’au discours de la gamine face à un Zucco parfaitement silencieux. De toute la scène, il n’adresse aucun mot à la jeune fille, elle parle sans recevoir aucune réponse, et peut-être même sans en permettre vraiment.

2)      Une transformation irrémédiable

De fait, le début de la pièce mettait en scène deux « presque » enfants, qui rêvaient d’évasion en Afrique  et peinaient à s’évader du joug parental (Zucco venait à peine, si l’on peut dire, de tuer sa mère, tandis que la gamine continuait d’être surveillée par sa famille entière).

Dans cette scène, les transformations sont irrémédiables : il s’agit bien d’une dégradation dont témoigne la souffrance : la répétition par deux fois de « J’ai pleuré » est ensuite appuyée par une métaphore « Je suis devenue une toute petite île au milieu de la mer et les dernières vagues sont en train de me noyer » (on songe à « une mer de larmes »). De même une deuxième métaphore « ma souffrance pourrait remplir les gouffres de la terre et déborder des volcans » développe une hyperbole, empruntée là aussi à l’évocation de paysages dévastés par l’eau ou le feu (mer, volcans, gouffres).

Mai s cette dégradation n’est pas seulement subie, car la gamine avoue aussi sa trahison : mentionné une seule fois, l’aveu « je t’ai trahi » renvoie à la scène intitulée Dalila, dans laquelle on voit la gamine au commissariat de police révéler le véritable de nom de Zucco. Et à partir du moment où dans cette scène même, elle répète par deux fois le nom de Roberto, en présence des policiers, on peut penser qu’elle réitère sa trahison.

3)      Un amour écrasant

Dan sa déclaration même, la gamine manifeste à quel point son amour pour Zucco  est étouffant : par deux fois, elle emploie un verbe de volonté  au présent « je veux rester avec toi », « je veux surveiller » (dans la première scène,  elle employait le conditionnel : « je voudrais aller voir la neige  en Afrique », « je voudrais faire du patin à glace sur les lacs gelés). L’image même qu’elle utilise « Je serai ton bagage »  trahit  la pesanteur de cet amour, le fait qu’il constitue un poids qui alourdit la fuite de Zucco.

Le vocabulaire de la gamine est aussi celui de l’enfermement : son amour apparaît comme une prison : « Je veux surveiller », « Je surveillerai ton corps », « Je garderai », « je veillerai », « je protégerai ». Elle se présente comme sujet de la phrase, toujours agissante, alors que Zucco n’est qu’un objet qui subit son action. A cet égard, on a l’impression que la gamine n’a connu comme modèle amoureux que celui de sa sœur, adoration certes, mais surprotection et enfermement.

Enfin, la gamine reprend les termes mêmes que sa mère employait pour parler de Zucco : « j’entendrai les bruits des rouages de ton corps, je surveillerai ton corps comme un mécanicien surveille sa machine » : on retrouve là les comparaisons qui nient toute humanité au personnage et le réduisent à un état mécanique.

Conclusion

Ainsi la dernière tirade de la gamine est elle doublement désespérante : la pièce Roberto Zucco ne laisse aucune illusion : il n’y a pas d’amour, « personne ne s’intéresse à personne », comme le disait le personnage lui-même à la  scène 8 (« Juste avant de mourir »). Ce qui de prime abord, apparaît comme une ultime déclaration d’amour avant la mort de Zucco, se révèle en fait un discours replié sur lui-même qui n’envisage l’amour que comme un dévouement total dont le seul but est d’enfermer l’autre toujours un peu plus.

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