Baccalauréat Blanc 1STG Janvier: sujets

Le roman et ses personnages

Texte A :  Victor Hugo, Les Misérables (1862)

La mort de Gavroche

Gavroche est un gamin qui vit dans la rue. Lors des émeutes à Paris, en 1832, qui oppose le peuple au gouvernement royaliste, Gavroche monte sur les barricades, et sous les balles de l’armée au service du pouvoir en place, il cherche à récupérer des munitions, en fouillant les sacoches des soldats tués, afin d’aider les insurgés. Pour se moquer de ceux qui lui tirent dessus, il chante une chanson révolutionnaire.

Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l’air de s’amuser beaucoup. C’était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les soldats riaient en l’ajustant. Il se couchait, puis se redressait, s’effaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier. Les insurgés, haletants d’anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n’était pas un enfant, ce n’était pas un homme ; c’était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles couraient après lui, il était plus leste qu’elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort ; chaque fois que la face camarde du spectre s’approchait, le gamin lui donnait une pichenette.
Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l’enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s’affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait de l’Antée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, c’est comme pour le géant toucher la terre ; Gavroche n’était tombé que pour se redresser ; il resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras en l’air, regarda du côté d’où était venu le coup, et se mit à chanter :
Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à…
Il n’acheva point. Une seconde balle du même tireur l’arrêta court. Cette fois il s’abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s’envoler.

Camard  : qui a le nez plat et écrasé (la Camarde = la Mort)
Pichenette : un petit coup que l’on porte avec la main sur quelque chose comme pour s’en débarrasser.
Le géant Antée était fils de la Terre. Il reprenait force dès qu’il touchait le sol.
Pygmée : un homme très petit.

Texte B – Jules Vallès, L’Enfant (1879)

La mort de Louisette

Le narrateur de l’Enfant, Jacques Vingtras, évoque toute son enfance. Dans cet extrait il raconte la mort de Louisette, la petite sœur de son ami Bergougnard.

[…] Mais sa petite sœur ! – Ô mon Dieu !
Elle était restée chez une tante, au pays. La tante est morte, on a renvoyé l’enfant. Pauvre innocente, chère malheureuse !
Mon cœur a reçu bien des blessures, j’ai versé bien des larmes ; j’ai cru que j’allais mourir de tristesse plus d’une fois, mais jamais je n’ai eu devant l’amour, la défaite, la mort, des affres de douleur, comme au temps où l’on tua Louisette devant moi.
Cette enfant, qu’avait-elle donc fait ? On avait raison de me battre, moi, parce que, quand on me battait, je ne pleurais pas, – je riais quelquefois même parce que je trouvais ma mère si drôle quand elle était bien en colère, – j’avais des os durs, du moignon, j’étais un homme.
Je ne criais pas, pourvu qu’on ne me cassât pas les membres – parce que j’aurais besoin de gagner ma vie.
« Papa, je suis un pauvre, ne m’estropie pas ! »
Mais la mignonne qu’on battait, et qui demandait pardon, en joignant ses menottes, en tombant à genoux, se roulant de terreur devant son père qui la frappait encore…toujours !…
« Mal, mal ! Papa, papa ! »
Elle criait comme j’avais entendu une folle de quatre-vingts ans crier en s’arrachant les cheveux, un jour qu’elle croyait voir quelqu’un dans le ciel qui voulait la tuer !
Le cri de cette folle m’était resté dans l’oreille, la voix de Louisette, folle de peur aussi, ressemblait à cela.
« Pardon, pardon ! »
J’entendais encore un coup ; à la fin je n’entendais plus rien qu’un bruit étouffé, un râle.
Une fois, je crus que sa gorge s’était cassée, que sa pauvre petite poitrine s’était crevée, et j’entrai dans la maison.
Elle était à terre, son visage tout blanc, le sanglot ne pouvant plus sortir, dans une convulsion de terreur, devant son père froid, blême, et qui ne s’était arrêté que parce qu’il avait peur, cette fois, de l’achever.
On la tua tout de même. Elle mourut de douleur à dix ans…
De douleur ! … comme une personne que le chagrin tue.
Et aussi du mal que font les coups !
On lui faisait si mal ! et elle demandait grâce en vain.
Dès que son père approchait d’elle, son brin de raison tremblait dans sa tête d’ange…..
Et on ne l’a pas guillotiné, ce père-là ! On ne lui a pas appliqué la peine du talion à cet assassin de son enfant, on n’a pas supplicié ce lâche, on ne l’a pas enterré vivant à côté de la morte !

Texte C : A. Camus, La Peste, (chapitre IV)

La mort du fils de M. Othon

L’histoire se déroule dans les années 194… à Oran. Une épidémie de peste se déclare dans la ville. Dans ce passage, la plupart des personnages  (Rieux, un médecin ; Tarrou, un de ses amis, qui lutte avec lui contre l’épidémie, Castel, un autre médecin, Paneloux, un prêtre) assistent à la mort du fils du juge, M. Othon, un enfant d’une dizaine d’années.

Le long des murs peints à la chaux, la lumière passait du rose au jaune. Derrière la vitre, une matinée de chaleur commençait à crépiter [..]. Tous attendaient. L’enfant, les yeux toujours fermés, semblait se calmer un peu. Les mains, devenues comme des griffes, labouraient doucement les flancs du lit. Elles remontèrent, grattèrent la couverture près des genoux, et, soudain, l’enfant plia ses jambes, ramena ses cuisses près du ventre et s’immobilisa. Il ouvrit alors les yeux pour la première fois et regarda Rieux qui se trouvait devant lui. Au creux de son visage maintenant figé dans une argile grise, la bouche s’ouvrit et presque aussitôt, il en sortit un seul cri continu, que la respiration nuançait à peine, et qui emplit soudain la salle d’une protestation monotone, discorde, et si peu humaine qu’elle semblait venir de tous les hommes à la fois. Rieux serrait les dents et Tarrou se détourna. […] Paneloux regarda cette bouche enfantine, souillée par la maladie, pleine de ce cri de tous les âges. Et il se laissa glisser à genoux et tout le monde trouva naturel de l’entendre dire d’une voix un peu étouffée, mais distincte derrière la plainte anonyme qui n’arrêtait pas : « Mon Dieu, sauvez cet enfant. »
Mais l’enfant continuait de crier et, tout autour de lui, les malades s’agitèrent. Celui dont les exclamations n’avaient pas cessé, à l’autre bout de la pièce, précipita le rythme de sa plainte jusqu’à en faire, lui aussi, un vrai cri, pendant que les autres gémissaient de plus en plus fort. Une marée de sanglots déferla dans la salle, couvrant la prière de Paneloux, et Rieux, accroché à sa barre de lit, ferma les yeux, ivre de fatigue et de dégoût.
Quand il les rouvrit, il trouva Tarrou près de lui.
– Il faut que je m’en aille, dit Rieux. Je ne peux plus les supporter.
Mais brusquement, les autres malades se turent. Le docteur reconnut alors que le cri de l’enfant avait faibli, qu’il faiblissait encore et qu’il venait de s’arrêter. Autour de lui, les plaintes reprenaient, mais sourdement, et comme un écho lointain de cette lutte qui venait de s’achever. Car elle s’était achevée. Castel était passé de l’autre côté du lit et dit que c’était fini. La bouche ouverte, mais muette, l’enfant reposait au creux des couvertures en désordre, rapetissé tout d’un coup, avec des restes de larmes sur son visage.

Texte D : Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé (2000)

La mort de Kik

Le récit est pris en charge par un enfant d’une douzaine d’années, Birahima, qui raconte comment il a été recruté comme « enfant-soldat », pour participer à la guerre civile au Libéria (Afrique de l’ouest). Dans cet extrait, il vient d’attaquer un village avec ses compagnons, d’autres enfants-soldats comme lui, parmi lesquels Kik et Sarah qui ont été très gravement blessés. Kik, plus précisément, a sauté sur une mine et a été amputé d’une jambe.

Nous avons laissé Kik aux humains du village alors que Sarah avait été abandonnée aux animaux sauvages, aux insectes. Qui des deux avait le sort le plus enviable ? Certainement pas Kik. C’est la guerre civile qui veut ça. Les animaux traitent mieux les blessés que les hommes.
Bon ! Comme Kik devait mourir, était déjà mort, il fallait faire son oraison funèbre. Je veux bien la dire parce que Kik était un garçon sympa et que son parcours n’a pas été long (parcours, c’est le trajet suivi par un petit toute sa courte vie sur terre, d’après mon Larousse).
Dans le village de Kik, la guerre tribale est arrivée vers dix heures du matin. Les enfants étaient à l’école et les parents à la maison. Dès les premières rafales, les enfants gagnèrent la forêt. Kik gagna la forêt. Et tant qu’il y eut du bruit dans le village, les enfants restèrent dans la forêt. C’est seulement le lendemain matin, quand il n’y eut plus de bruit, que les enfants s’aventurèrent vers leur concession familiale. Kik regagna la concession familiale et trouva son père égorgé, son frère égorgé, sa mère et sa sœur violées et les têtes fracassées. Tous ses parents, proches et éloignés morts. Et quand on n’a plus personne sur terre, ni père ni mère ni frère ni sœur, et qu’on est petit, un petit mignon dans un pays foutu et barbare où tout le monde s’égorge, que fait-on ?
Bien sûr on devient un enfant-soldat, un small-soldier, un child-soldier pour manger et pour égorger aussi à son tour ; il n’y a que ça qui reste […]
Il a sauté sur une mine. Nous l’avons transporté sur un brancard de fortune. Nous l’avons adossé mourant à un mur. Là nous l’avons abandonné. Nous l’avons abandonné mourant dans un après midi, dans un foutu village, à la vindicte des villageois (à la vindicte signifie dénoncer quelqu’un comme coupable devant la populace). A la vindicte populaire parce que c’est comme ça Allah a voulu que le pauvre garçon termine sur terre. Et Allah n’est pas obligé, n’a pas besoin d’être juste dans toutes ses choses, dans toutes ses créations, dans tous ses actes.
Moi non plus, je ne suis pas obligé de parler, de raconter ma chienne de vie, de fouiller dictionnaire sur dictionnaire. J’en ai marre; je m’arrête pour aujourd’hui. Qu’on aille se faire foutre !
Walahé (au nom d’Allah) ! A faforo (cul de mon père) ! Gnamokodé (bâtard de bâtardise) !

Larousse : Birahima écrit en s’appuyant sur les quatre dictionnaires qu’il possède. Il définit ainsi les mots difficiles tout au long du livre.
Oraison funèbre : discours prononcé en l’honneur d’un mort.

QUESTIONS SUR LE CORPUS( 8 points):

1)    Identifiez les narrateurs dans les différents textes proposés. Justifiez votre réponse en vous appuyant sur des citations précises.
2)    Quels sont, selon vous, les sentiments que les auteurs cherchent à faire naître chez les lecteurs de ces textes ? Justifiez votre réponse.

TRAVAIL D’ECRITURE (AU CHOIX)  12 points:

1)    Commentaire : Vous ferez le commentaire du texte de Victor Hugo. Vous pourrez vous demander comment l’auteur réussit à faire de Gavroche une figure mythique, en suivant le parcours de lecture suivant :
•    Un récit qui fait naître le suspens
•    Un personnage héroïque
•    Une mort pathétique

2)    Dissertation : de nombreux romans ou films mettent en scène des enfants, et choisissent de représenter le regard de l’enfant sur son environnement. Quel est l’intérêt, selon vous, de ce choix ? En quoi un regard enfantin nous éclaire-t-il sur le monde adulte ?

3)    Travail d’écriture : vous raconterez la mort de Gavroche, mais vue par le regard d’un autre enfant, dont vous imaginerez la situation dans ce contexte de révolte populaire.

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