Ce document est la synthèse d’une intervention dans le cadre de journées d’étude organisées par la Maison de la Photographie Robert Doisneau : Des photographes à l’École
Enseigner la photographie à l’École
15 février 2018
Auditorium de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine. Charenton-le-Pont
Ancrages historiques. La « pédagogie par l’aspect » : de longue date les images sont des auxiliaires de la pédagogie
Photographie VS image : résolument « image », la photographie n’est-elle pas – paradoxalement – recouverte par des vertus éducatives et pédagogiques espérées d’une certaine « idée d’image » en éducation ?
La pédagogie par l’image, déjà au temps de l’imprimé : aux sources d’une certaine orientation « support » et « document » de l’image photographique à l’École
Des enracinements profonds et lointains de l’image « auxiliaire » des pédagogies :
- « Instruire, plaire, émouvoir » par l’image dès l’essor de l’imprimé au XVIe siècle ;
- La pédagogie visuelle des collèges de jésuites ;
- L’image dans les systèmes d’apprentissage de la lecture : dans un quasi « écosystème » cognitif ;
- L’image au service de l’éducation morale et de l’édification de la conscience nationale et patriotique ;
- L’abondance et la diversification de l’iconographie avec l’amélioration de l’imprimerie ;
- L’émergence de l’illustration pédagogique photographique : réalisme/vérité/preuve ;
- L’image (photographique) démultipliée au-delà de l’imprimé : puissance de la projection/simultanéité des effets avant le Net.
Avant l’ère des possibilités techniques de l’audiovisuel (aujourd’hui du numérique), l’engouement des projections : pédagogie par l’aspect, parfois pédagogies nouvelles, dans la permanence de la forme scolaire
« L’enseignement, scolaire ou professionnel, ne peut à l’heure actuelle, se passer de projection »
Georges-Michel Coissac, La théorie et la pratique des projections, 1906.
- Essor, production technique en nombre et diffusion des collections d’images photographiques au service des sciences et de la culture (astronomie, sciences naturelles, géographie, chefs d’œuvre de l’art, etc.)
- Développement technique et production industrielle des machines de projection, dotation aux établissements d’enseignement
- Usages de la projection dans les sociétés savantes
- Usages des supports photographiques pédagogiques dans l’enseignement scolaire
Questions d’épistémologie, de moyens, de conception. La photographie à l’École est-elle « encombrée » d’une certaine « idée d’image » dans l’École, y compris dans les pédagogies nouvelles ?
- Un possible malentendu : la présence de l’image photographique dans l’enseignement, même au service d’une éducation à l’image, n’induit pas que l’on travaille de fait sur la photographie (en tant que domaine et champ de pratiques et de la culture).
- Photographie + image = pédagogie nouvelle ? La photographie est une invention technique et moderne, elle a souvent été mobilisée pour l’édification des consciences ou a plus récemment contribué à l’émancipation des individus. Mais, y compris dans cette perspective, le compagnonnage de la photographie avec les mouvements d’éducation nouvelle n’a pas été simple.
Un détour vers le mouvement de l’éducation nouvelle : un exemple dans la pédagogie Freinet
Transferts des conceptions et les usages du « dessin libre » ? Une faible irrigation de l’appropriation du domaine et des ressources de la photographie au profit d’une permanence de « l’image support » et auxiliaire de la pédagogie.
Pour rappel, les techniques Freinet sont attentives à, voire prônent :
Le matérialisme pédagogique (1922) |
Conviction qu’il faut disposer d’un matériel scolaire adapté et d’un aménagement intérieur (salle commune pour travaux collectifs, ateliers spécialisés de travail manuel ; menuiserie, filature mécanique, etc., ateliers spécialisés en documentation, expression, expérimentation). |
L’expression libre (par l’imprimerie) à l’école (1924) |
Les apprentissages et étayages scolaires se font au départ des initiatives des élèves (stimulées par le professeur) : passer des expériences aux savoirs ; la diffusion (par l’imprimerie) est un acte réfléchi et formateur. |
La cinémathèque coopérative de l’enseignement laïque (1927) |
Adoption de nouveaux médias dans les modalités pédagogiques (le cinéma et la radio). |
Le dessin libre (1931) |
Parallélisme au « texte libre » : « Nous considérons le dessin comme l’un des meilleurs moyens qu’a l’enfant de s’exprimer. Tous les jours il rédige, chante, joue, parle ; tous les jours, il doit dessiner et nous redisons que cela est fort possible grâce à la complicité favorable des textes libres rédigés le matin. » |
Le tâtonnement expérimental (1943) |
« Il s’agit de laisser les enfants émettre leurs propres hypothèses, faire leurs propres découvertes, éventuellement constater et admettre leurs échecs mais aussi parvenir à de belles réussites dont ils peuvent se sentir les vrais auteurs. » |
Ces données contextuelles et ces formes de pratiques de recherche et/ou d’invention seraient notamment potentiellement facilitatrices d’une place de la photographie en éducation.
Donc, la photographie dans les approches Freinet ?
1950 : création de la commission Photo |
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Des obstacles des équipements et des coûts |
Prix et nombre des appareils / Coût des pellicules Obstacle du laboratoire |
Une tension pédagogique entre l’individuel et le collectif |
Rapport au temps et à l’espace de la photographie par rapport aux organisations de la classe Une mobilisation de la photographie par les élèves au filtre de l’expression libre / En soutien aux textes libres – aux travaux collectifs de diffusion des « productions » libres Le primat d’une approche au titre du document / Par exemple la notion de « photo-auxiliaire » de la correspondance |
« Nous constatons que jusqu’à aujourd’hui la projection fixe n’a été́ faite que dans le but « d’instruire » comme s’il suffisait de projeter une image pour cela. Certes, nous sommes d’accord pour dire que c’est un puissant levier, que l’attrait de l’écran, que la suggestion de l’image lumineuse sont grands chez l’enfant. Mais jusqu’à aujourd’hui, dans ce domaine comme dans tant d’autres, l’enfant est passif, même si on qualifie d’activités les recherches parlées ou écrites suggérées par le maître.
Il est difficile de faire autrement, c’est un fait. Mais la cause profonde de cet état de fait regrettable vient de ce qu’on a voulu préparer, cette fois sur une bande de celluloïd dont la projection ajoutera un attrait supplémentaire, la leçon autre fois écrite sur un livre. Le résultat est, du reste, souvent meilleur parce que l’image brillante, agrandie frappe mieux l’enfant.
Cet état de fait s’est même ressenti dans le travail de la commission et c’est la raison pour laquelle nous n’avons pas fait de sorties massives de films. Ajoutons que des considérations d’équipement technique ont gêné́ nos travaux et que là aussi les finances font défaut. »
Principalement, la « puissance » pédagogique de l’image support / de la projection |
Il en ressort, principalement, des préconisations :
La dimension sensible et « artistique » de la photographie n’est pas centrale. |
Un enseignement scolaire de la photographie ? La photographie dans son approche artistique et culturelle dans l’enseignement : de longue date un domaine familier en arts plastiques, progressivement accentué dans les apprentissages des élèves, mais ni unique ni isolé.
- Une présence repérable : si la photographie n’est pas une discipline scolaire, elle n’est pas pour autant absente de l’École.
- Il s’enseigne donc quelque chose de la photographie : la photographie est une composante parfois importante de l’enseignement dans quelques disciplines, et parfois dans les études puis la formation des professeurs. C’est le cas en arts plastiques dans ses approches à la fois sensibles et culturelles.
Variations/dérivées de la photographie dans les programmes d’arts plastiques au collège notamment (à nouveau et pendant de longues années) autour de l’idée d’image
- Mentions dans plusieurs générations de programmes :
programme de 1978 |
Premier élargissement du champ des arts plastiques dans la définition de la discipline. |
« Elle [l’éducation artistique] s’appuie surtout sur la musique et les arts plastiques dans un sens très large, n’excluant a priori aucune des manifestations qui s’adresse aux sens tactile et visuel. »
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programme de 1988 |
Intégration des « techniques nouvelles » en les situant dans la production des « nouvelles images ». |
« Des techniques nouvelles interviennent, productrices de nouvelles images : photographie, vidéo, cinéma, informatique. » |
programme de 1996-98 |
La photographie est mentionnée dans le champ de référence de la discipline. |
« L’enseignement des arts plastiques couvre l’ensemble des domaines artistiques où se constituent et se mettent en question les formes. Peinture, sculpture, dessin, architecture, photographie ainsi que les nouveaux modes de production des images et les nouvelles attitudes artistiques, relèvent aujourd’hui du travail des arts plastiques… » |
programme de 2008 |
Le programme 5°/4° est focalisé sur l’image. |
Un champ de pratiques défini : « champ des créations photographiques et cinématographiques, analogiques et numériques ; axes de programmes dédiés à l’image (5° : Images, œuvre et fiction ; 4° : Images, œuvre et réalité). |
programme de 2015 |
La photographie intégrée dans le champ des « pratiques artistiques de l’image fixe et animée ». |
Pertinente et motivante pour de nombreux questionnements, la photo n’est pas « restreinte » aux seules thématiques d’éducation à l’image ; elle est un point d’appui et un vecteur d’apprentissage sur l’axe de travail : « La représentation; images, réalité et fiction. » |
- Trois régimes pédagogiques de l’image photographique et leurs variations dans l’histoire des programmes :
programme de 1978 |
Affirmation d’une « orientation image » – lecture critique de l’image – |
L’image photographique, le cinéma, la télévision, les « vidéos » sont « des objets » à recevoir/la photo est « infra » |
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Régime de la RECEPTION |
Élève |
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programme de 1988 |
Deux injonctions : approches techniques de la photo et lecture critique de l’image |
L’idée d’image est « supra » : statut « d’objet » à recevoir ; la photographie est « infra » : un support d’expériences techniques |
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programme de 2008 |
Le programme 5°/4° est focalisé sur l’image |
L’image est « supra » = tension entre axe « créations photographiques et cinématographiques, analogiques et numériques »/manipulation numérique des images |
Élève |
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Régime de la PRODUCTION |
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programme de 1996-98 |
La photographie est envisagée comme domaine et moyen usuels |
La photographie est un domaine « supra » parmi les domaines « traditionnels » des arts plastiques (comme le cinéma, la vidéo) : champs de pratiques artistiques à investiguer |
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Régime de L’INTERACTION PRODUCTION/RECEPTION |
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Élève expérimentateur/auteur/spectateur « réflexif » |
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programme de 2015 |
La photographie est un domaine plein et entier à découvrir et à mobiliser |
Parmi les langages des arts en arts plastiques, la photographie à parité avec la peinture, le dessin, la vidéo, le numérique permet d’investiguer les questionnements du programme |
Quelques informations complémentaires sur la place de la photographie en arts plastiques
- Une intégration ancienne de la photographie dans les composantes culturelles de la discipline arts plastiques : la photographie est un domaine régulièrement présent dans les programmes de culture artistique du Capes et de l’agrégation d’arts plastiques, mais aussi dans les questions limitatives du baccalauréat ;
- Un objet d’étude et d’évaluation aux concours : c’est en outre une option dans les épreuves orales d’admission de ces concours de recrutement, et ceci depuis la création du Capes externe (en 1972) ; lors de la session du Capes externe d’arts plastiques en 2017 : 31,95 % des admissibles ont choisi l’option photographie (1re de toutes les options) ; 48 % des candidats ont engagé des moyens photographiques lors de l’épreuve de pratique artistique de l’admission ;
- Un engouement croissant des professeurs : l’analyse des rapports d’inspection, la lecture des documents pédagogiques partagés, l’étude des formations indiquent une forte présence de la photographie sous-tendue par l’accroissement et la simplification des moyens numériques, en pratique visée pour les élèves et en références artistiques présentées.
Problématiques d’équilibre. La photographie et l’EAC : un domaine minoré ou dominé dans l’éducation artistique et culturelle à l’École ?
- Une pratique sociale de tous, mais avec une part modeste dans l’EAC : abondamment présente dans la société, globalement située dans les visées de l’EAC, la photographie y semble toutefois un peu minorée, voire parfois dominée dans les politiques conduites par ou pour « d’autres domaines » dits de l’image ;
- Un certain ordre des priorités : si les événements et les déclarations politiques disent l’importance de l’image photographique, de l’éducation à l’image par les leviers du sensible et comme vecteur de la formation à l’esprit critique, l’érosion des dispositifs (anciens) dits de droit commun en EAC (ateliers artistiques, classes à PAC…), non compensés, n’a pas favorisé le développement de la pratique (artistique) de la photographie pour les élèves.
Quelques données :
Un constat : la photographie est un domaine minoré dans l’EAC In : État des lieux des dispositifs d’éducation artistique et culturelle. Rapport à monsieur le ministre de l’éducation nationale madame la ministre de la culture et de la communication. Octobre 2012 |
Faible place laissée à l’éducation à la photographie dans les dispositifs globaux d’éducation à l’image Faible place laissée à l’éducation à la photographie dans les modalités et programmes spécifiques (de l’EAC) |
2008 : élaboration du dispositif « écritures de lumière » |
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La poursuite d’un malentendu. Photographie, image, écran(s) : tout est-il dans tout ? In : Consultation sur l’éducation artistique et culturelle
« Pour un accès de tous les jeunes à l’art et à la culture » |
Un membre du comité : « Dans une société où la pratique des écrans concerne non seulement les effets de la numérisation dans tous les domaines mais le traitement généralisé de toute information et création par la voie des images, il faut évoquer la nécessité d’une formation spécifique et approfondie de la relation critique à la pratique des écrans et des images » |
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La puissance du cinéma dans l’idée d’image et d’éducation à l’image en EAC comme dans l’École |
« “école et cinéma”, “collège au cinéma”, En 2012 Écoles et cinéma : 683 181 élèves |
Une comptabilité sans nuance en EAC : |
Christian Vieaux, février 2018.
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