Parole(s) en archipel

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Enseigner les arts plastiques, éduquer aux arts et à la culture, aujourd'hui. Un carnet personnel de C. Vieaux.

L’éducation artistique et culturelle (EAC ) au prisme des parcours éducatifs (PEAC)

En guise d’introduction

En juillet 2015, la revue « Cahiers de la fonction publique » m’avait demandé un article sur l’éducation artistique en dans le système éducatif français. Le Parcours d’éducation artistique et culturelle était alors de pleine actualité, avant d’être ces dernières années complété de l’objectif du 100 % EAC. Ce document en est une version légèrement réagencée (introduction de niveaux d’intertitres).

Le sujet est vaste. À eux seuls, les enseignements artistiques (EA), s’ils en sont la colonne vertébrale à l’École, ne sont pas toute « l’éducation artistique » (EA… aussi). Et cette dernière ne condense pas davantage toute « l’éducation artistique et culturelle » (EAC). Selon diverses variations, dans différentes périodes de son histoire, l’EAC englobe plus ou moins d’autres domaines que les arts : par exemple, la culture scientifique et technique. En la matière, il est préférable de considérer des nuances, d’accepter aussi qu’il y a des contours parfois un peu flous.

À l’ère — récente — de l’instauration de grands « parcours éducatifs » (en éducation artistique et culturelle (PEAC), en orientation (Avenir), etc.), plus proche de nous encore de l’objectif du 100 % EAC, il était proposé dans cet article de présenter quelques problématiques se posant à cette politique publique. Pour les institutions qui en soutiennent la définition fondée par la représentation nationale, également pour les collectivités qui de manière volontariste en assurent une grande part de l’effectivité, et aux acteurs professionnels qui la mettent en œuvre dans et autour de l’École.

Cest probablement dans la reconnaissance de la complexité des contextes de cette politique que sexercent pleinement les vertus des partenariats, que s’éprouve la volonté de dépasser les obstacles rencontrés et quelle se dote de la rationalité nécessaire à atteindre ses buts.

2015 : retour d’une actualité réglementaire en EAC

Le Code de l’éducation consolidé en matière d’éducation artistique

Un arrêté était récemment publié (au moment de cet article) dans le Code de l’éducation, disposant globalement de l’organisation des enseignements, notamment artistiques, et de divers dispositifs au service de la mise en œuvre du parcours d’éducation artistique et culturelle de l’élève. Vingt-cinq ans après la loi de 1988 sur les enseignements artistiques, il formalise au moyen de deux articles les directions données à cette éducation dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Le premier introduit l’obligation de l’éducation artistique et culturelle dans la scolarité, en l’appuyant notamment sur les deux disciplines artistiques obligatoires (arts plastiques et musique). Le second institue la notion de parcours pour développer, donner corps et situer pédagogiquement l’obligation ainsi faite.

Le parcours, une disposition à partager

Bien que sous la seule signature de la ministre de l’Éducation nationale, cet arrêté forme une sorte de clé de voute de la politique conduite en la matière qui, depuis plus de trente ans, est interministérielle et réalisée sur le principe des partenariats. La question du parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC) relie différents ministères, au premier chef ceux de l’Éducation nationale et de la Culture. Il est donc ici un point de départ pour tenter de mettre en perspective cet aspect de la politique éducative, dans sa vision, sa complexité, ses malentendus, ses progrès et quelques éléments de son histoire.

L’éducation artistique et culturelle exprime une ambition hautement démocratique

Des fondamentaux à rappeler

Toujours portée par la visée démocratique que l’art et la culture ne sont pas l’apanage de quelques-uns, et sont fondamentalement animés de la possibilité de nous permettre une prise conscience d’être au monde dans une acceptation de l’altérité, l’éducation artistique et culturelle endosse de nombreux espoirs. Les institutions, les militants, les acteurs culturels, associatifs et éducatifs ne manquent pas de la charger de multiples buts. Parmi les plus fréquemment évoqués, on retiendra bien évidemment le développement de l’accès à l’art et à la culture pour tous, une défense de la cause de l’épanouissement de l’individu jusqu’au cœur du réacteur scolaire, l’affirmation dans la scolarité de l’exercice du droit à l’expression personnelle, la tentative d’un rééquilibrage par l’engagement de l’intelligence sensible du penchant très rationaliste de l’école française, une contribution culturelle à la citoyenneté par la mise en partage des œuvres et d’un patrimoine communs.

Une éducation à la sensibilité pour tous les citoyens

A posteriori de plusieurs réformes des enseignements artistiques et de divers plans pour soutenir les arts et la culture à l’École [i], il est possible de constater sur le temps de long de l’histoire éducative que se dégage une puissante ligne de force. Celle-ci nous aura conduits, de la Révolution française [ii] à nos jours, d’une conception de l’enseignement artistique centrée sur le modèle de la formation des artistes, qui en outre ne fut pas toujours servie à tous les élèves, à l’idéal d’une éducation artistique de tous les citoyens. Depuis quelques années, deux termes encadrent de manière emblématique cette haute ambition : celui de démocratisation (culturelle) et celui de généralisation (de l’éducation artistique et culturelle). Ils rassemblent des actions, tantôt conjointes, plus rarement complètement partagées, tantôt dissociées des ministères de l’Éducation nationale et de la Culture [iii].

Le récent parcours d’éducation artistique et culturelle ne doit pas être confondu avec une rupture ou une innovation, il poursuit des conceptions plus que trentenaires

Consolidation VS refondation ?

Ne proposant pas de dispositifs nouveaux, ni un changement majeur de paradigme, l’arrêté qui encadre le parcours d’éducation artistique et culturelle, et de manière plus précise le référentiel qui lui est annexé, ne procède pas vraiment de l’innovation. Cet ensemble réglementaire confirme l’axe fort d’une politique soutenue depuis plusieurs décennies : « diversifier et élargir les domaines artistiques abordés à l’École [iv] ». Il vise à en globaliser et en structurer les moyens de réalisation : « articuler les différents temps éducatifs et en tirer parti », « donner sens et cohérence à l’ensemble des actions et expériences auxquelles l’élève prend part » [v]. Il promeut une meilleure cohésion entre dimensions de l’enseignement et ouverture culturelle, entre apprentissages formels (enseignements) et informels (activités), entre transmissions instrumentées et expériences spontanées de l’élève, entre temps et hors temps scolaire.

Modernité des intentions initiales ?

C’est ainsi le mouvement historique d’une éducation artistique pour tous les élèves qui est poursuivi. La notion et l’intention sont issues pour partie des débats sur l’éducation surgis à la fin des années soixante [vi]. Déplorant la rareté, l’isolement et l’obsolescence de l’offre artistique et culturelle dans la scolarité, ils aboutissaient alors sur des propositions audacieuses. Pour la plupart, mais tout de même bien des années après, elles étaient reprises et consolidées par la fabrication des instruments d’une politique interministérielle [vii]. Plus particulièrement, il était proposé de féconder la visée éducative par l’impulsion de la présence artistique dans l’École et de favoriser les interactions entre professionnels de l’éducation et de la culture. Ces dispositions, progressivement mises en œuvre, s’adossent parfaitement sur une doctrine postulant que l’éducation artistique et culturelle ne peut se confondre avec la réalisation univoque d’un ou de plusieurs enseignements spécialisés dans et hors l’École, mais doit reposer sur un ensemble de situations diverses, dans les enseignements et par des activités de sensibilisation, dans le temps et le hors temps scolaire [viii].

Portée par des acteurs multiples qui en partagent la responsabilité, l’éducation artistique et culturelle ne va pas de soi

L’éducation artistique : un « objet » turbulent ?

Si l’ambition de réaliser une éducation artistique et culturelle allie, sur l’essentiel, les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, pour autant elle ne va pas toujours de soi entre eux. Il n’est pas rare que chaque entité exprime ses prérogatives, joue la partition de son autonomie ou marque son territoire. Mais, au-delà de quelques désaccords symboliques, de pouvoir ou de position politique, plus fondamentalement les tutelles ministérielles, les opérateurs institutionnels et les professionnels des arts, de la culture et de l’éducation doivent travailler à surmonter ou à composer avec les difficultés que posent les principes mêmes de cette éducation.

On évoquera ici les possibles tensions entre les enjeux ou les attentes sociales de la transmission de valeurs culturelles stables et communes et l’investissement pédagogique sur les expériences personnelles les plus singulières qui peuvent être proposées aux élèves. De même, il faut prendre en considération les possibles divergences de finalités et de méthodes entre une formation aux évolutions des langages artistiques fondamentaux — qui, pris dans leur diversité, leur actualisation, parfois leurs hybridations interrogent constamment les codes culturels ou les canons esthétiques — et la notion de formation académique et normative des élèves qui prime dans l’éducation ou celle parfois consensuelle du spectateur de la culture.

Un assez récent idéal émancipateur VS une permanence de la forme scolaire ?

Également, la nécessaire codification scolaire des modalités de l’éducation artistique et la volonté de lui conserver un caractère vivant génèrent bien des paradoxes. En particulier, la capitalisation à l’École des bénéfices d’une formation artistique est attendue de presque tous ses protagonistes. Pourtant, elle est toujours aux prises avec une certaine propension de la communauté éducative, enseignants et encadrement compris, à ne pas reconnaître vraiment la valeur des savoirs d’expérience qui caractérisent une formation aux arts et par l’art. Elle est aussi affectée de celle du monde de la création, parfois prompt à dévier ou à ne pas satisfaire aux normes d’une évaluation scolaire, fussent-elles, au profit d’une évaluation positive…

Se croisent donc et se mêlent des principes, et parfois se confrontent et se heurtent des convictions. L’éducation artistique est agitée de diverses querelles. Chacun de ses acteurs en est dépositaire, de manière militante ou à son corps défendant, selon où il se situe sur l’échiquier des actions, des conceptions ou des responsabilités. Les oscillations des politiques ministérielles, au gré des courants de pensée qui modèlent les considérations des décideurs, ne manquent pas de les exacerber. Les modèles « transmissifs » s’affrontent encore aux approches socio-constructivistes : définition préalable des valeurs contre « pédagogisme », en l’occurrence enseignement des normes culturelles ou des techniques d’expression contre construction des savoirs et des compétences liées à la pratique sensible.

Querelles de l’éducation artistique

Le déni d’enseignement artistique peut s’exercer jusque dans l’exaltation de la seule créativité, portée par une croyance en une force émancipatrice de l’art, par essence. Il s’affirme encore régulièrement que l’art ne peut s’enseigner à l’École : l’expression personnelle exclurait de fait la norme scolaire, l’exercice de la raison ou bien le véritable art serait d’emblée altéré par la forme scolaire. La prégnance de la culture artistique ou bien celle de la sensibilisation culturelle, selon les tendances dominantes qui peuvent alterner, contestent la valeur d’une éducation aux langages artistiques : la pratique artistique ne serait pas une vraie question et seuls les faits culturels sont éligibles à la construction de savoirs communs. De même, les convictions sont toujours vives pour soutenir que la somme de multiples expériences et les rencontres avec des objets artistiques et des faits culturels font éducation en soi.

Finalement, pour déjà anciennes qu’elles soient, les ambitions et les modalités de l’éducation artistique demeurent originales dans le contexte français de l’École et de l’idée de culture. Et, même si le récent parcours en assoit les conceptions, bien des signaux indiquent que cette politique n’est pas encore pleinement entrée dans l’ère de sa maturité ni de la pleine efficience de ses objectifs [ix] et des pratiques concrètes de l’action interministérielle ou territoriale [x].

Portant une politique inachevée, les buts et les modalités du parcours d’éducation artistique et culturelle tentent toutefois de relier des positions longtemps dissociées

Le parcours : tentative prudente de normalisation éducative de l’EAC autour de trois piliers

Soutenant que l’éducation artistique se conduit au moyen de trois champs d’action — des rencontres, des pratiques et des connaissances artistiques —, le parcours les présente en conséquence comme ses piliers indissociables. Si pratique et culture artistiques, étroitement associées à l’ouverture sur les lieux de culture et sur la création contemporaine, étaient déjà articulées dans les enseignements artistiques[xi], ces dimensions sont demeurées relativement cloisonnées ou, par des jeux plus ou moins idéologiques, ont parfois été rendues antagonistes dans la trajectoire historique de l’action culturelle en milieu scolaire.

De la « rencontre »

Ainsi, la notion de rencontre était plutôt usitée et fréquemment produite par le monde de l’art, constituant une position pour un grand nombre de professionnels de la culture et de créateurs : de ce point de vue, toute « véritable » éducation artistique ne peut se conduire que dans le contact avec l’œuvre authentique et l’artiste. Cette conception est cependant quasi excluante de la forme scolaire. Elle est pourtant motivante pour nombre d’éducateurs qui peuvent positivement y trouver matière à renouveler ou enrichir leurs représentations des arts et de la culture. Mais aussi, dans certains cas, elle peut être un motif à déléguer la responsabilité d’éducation et d’enseignement artistiques.

Des « pratiques »

Longtemps, les pratiques artistiques furent le vecteur privilégié des politiques de sensibilisation, associant rapidement et concrètement directions régionales des affaires culturelles et actions culturelles des rectorats : la notion d’atelier de pratique artistique, pensée pour des petits groupes de publics scolaires, incarna dès son invention en 1977[xii] une action commune de diversification de l’offre d’éducation artistique et d’ensemencement de ses principes, établissement par établissement[xiii]. Toutefois, aussi qualitatif soit-il, ce modèle ne permet pas de généraliser l’action en effectifs et en territoires, en régularité et en réitération de son suivi, en variété et en complémentarité des domaines proposés au regard des disciplines artistiques enseignées. Il est de plus fortement touché par la raréfaction des crédits.

Des « connaissances »

L’entrée par les connaissances était finalement davantage l’enjeu de débats, parfois lancinants, sur la nature « véritablement » scolaire de l’éducation artistique, amalgamant facilement la notion de culture artistique à la stricte maîtrise des références culturelles : si la question des connaissances sert souvent de point d’appui aux comparaisons entre l’approche française et celles d’autres pays (par exemple, quelle part doit prendre l’apprentissage d’œuvres incontournables et l’appropriation d’un patrimoine dans la constitution d’une éducation artistique et culturelle ?), elle est aussi par sa parenté aux savoirs savants (étude de faits et références culturels) la plus proche des normes académiques traditionnelles de l’École. Elle peut alors servir de prétexte aux démarches de dénigrement, notamment par l’affirmation qu’il n’y a pas de réels savoirs dans les pratiques artistiques, ou que l’on n’apprend rien dans l’enseignement des arts, ou bien que les dispositifs d’action culturelle relèvent des activités d’agrément et n’ont pas leur place dans les vraies priorités de l’éducation.

En outre, si l’on n’y prend garde, l’affirmation des connaissances sur les pratiques et les rencontres peut, dans l’École, donner corps à la tentation d’une certaine « rescolarisation » de l’éducation artistique[xiv]. Ce à quoi le parcours semble être attentif de prémunir toute l’éducation artistique et culturelle.

Le Parcours, nouvel archétype des arts et de la culture dans l’École ou signe dun « éternel retour »[xv] sur elles-mêmes des problématiques de l’éducation artistique française[xvi]?

Primat poursuivi de la diversification des formes et des domaines offerts 

Tout en visant la cohésion de l’offre et des initiatives existantes, le parcours fait de la diversification son moteur, et son but la généralisation d’un itinéraire éducatif personnel pour chaque élève. Mais déjà en leurs temps, et quoique préparées puis tenues séparément, la multiplication des domaines dans le cadre des ateliers, la création de nouveaux enseignements artistiques au lycée, la montée en puissance d’actions éducatives et culturelles dans les territoires et dans des champs pluriels, la création d’un enseignement obligatoire d’histoire des arts… ont cherché à soutenir des finalités très proches.

Fin ou moyen ?

Pourtant, il faut bien admettre qu’après plus de trente ans de ces initiatives succédées, tous les élèves sont encore loin d’avoir découvert et appréhendé la plupart des grands champs artistiques et culturels. Une minorité d’entre eux sont touchés par les dispositifs de l’éducation artistique. Les enseignements obligatoires, arts plastiques et éducation musicale, dont la continuité de l’école au collège est tenue par les textes, sont en grande difficulté dans le premier degré. L’élargissement des arts enseignés ou accessibles à l’École, la variété des situations, la pluralité des expériences artistiques, culturelles, éducatives… sont bien réitérées par le parcours, mais au titre d’objectifs et non d’acquis à capitaliser, sans doute dans la perspective de travailler à parachever de telles ambitions.

Atomisation et épuisement de la logique des dispositifs en EAC ?

Arrimant son action éducative sur nombre de modalités pédagogiques des réformes en cours, le parcours permet potentiellement d’en capter les bénéfices cognitifs (dynamique de projet, activités concrètes, interdisciplinarité, exercice de l’intelligence sensible…) et sociaux (travail collectif, valorisation dans différentes approches de l’évaluation, reconnaissance scolaire de la motivation ou de l’initiative…). Toutefois, pourra-t-il éviter l’écueil possible de la dispersion de son action ou de l’atomisation de ses contenus, de l’éloignement de l’universalité des apprentissages attendus : quelles continuités ? Quels savoirs communs ? Quelles régulations ?… Or, si cette éducation artistique et culturelle s’incarne désormais dans un parcours, c’est aussi en partie parce qu’elle tente de répondre aux constats de la fragmentation ou de l’épuisement de ses nombreux dispositifs, existants de longue date, jamais abrogés, ou encore étoffés de nouvelles élaborations nationales ou locales.

La question du pilotage de l’éducation artistique et culturelle à l’ère de la territorialisation de cette action publique

Élargissement de l’EAC : comment ? Jusqu’où ? Quelles fondations ?

Le parcours, comme toute l’histoire récente de l’éducation artistique et culturelle, est en recherche d’un élargissement maximal de son périmètre et des partenariats. Il s’agit bien de couvrir le plus de champs possible et de démultiplier les opportunités d’obtenir des moyens ou de l’espace pour une généralisation. Il en ressort un accroissement des processus de subsidiarité en direction des puissances publiques locales, des opérateurs culturels, des unités d’enseignement (école, collège, lycée), etc.

En 2013, la circulaire sur le parcours d’éducation artistique et culturelle reconnaissait, à juste titre eu égard à leur investissement, la part croissante prise par les collectivités territoriales et locale[xvii]. En outre, on observe l’éclosion de dispositifs mutualisant des ressources (artistes, équipements et structures culturels, réseaux associatifs, crédits…) dans des aires géographiques données, s’appuyant sur les volontarismes politiques locaux et leurs moyens pour permettre de la présence artistique à des fins de médiations pour des effectifs espérés nombreux[xviii]. La dimension éducative scolaire n’est parfois qu’un versant d’une action touchant des publics plus larges. Cette offre territoriale et globalisée tend par ailleurs à privilégier et à démultiplier des temps courts de sensibilisation ne garantissant pas nécessairement la continuité, la progressivité ou la pluralité qui sont nécessairesà l’éducation artistique. De ce point de vue, on pourrait considérer que les enseignements spécialisés et obligatoires sont bien encore aujourd’hui une forme essentielle et robuste pour constituer la colonne vertébrale et la dimension commune de l’éducation artistique. Ce qui suppose pour les enseignants des disciplines artistiques, mais aussi pour ceux de tous cycles et de tous domaines qui travaillent à la cause des arts dans l’École, pour les opérateurs et les décideurs dans les territoires, de tenir simultanément la philosophie et la mise en œuvre, le global et le détail, de l’éducation artistique et culturelle. Compétences qui étaient initialement dévolues au niveau des responsables et aux experts institutionnels

Risques de la collégialité des pilotages locaux VS rareté de celle des différentes expertises nationales

Cette approche suppose nombre de dialogues, des recherches de consensus, la capacité à bien s’inscrire dans les principes de l’éducation à servir. La modalité principale en est le groupe de travail ou de pilotage. Ces modalités sont multiples, dispersées, parfois difficiles à accompagner ou à orienter. Relativement démocratique, elle fait le pari de la confiance et de la responsabilité du terrain. Mais elle peut aussi aboutir à une couverture « mitée » de l’éducation artistique et culturelle, selon les motivations, les ressources humaines, les moyens financiers des territoires considérés.

Enfin, et ce n’est pas le moindre constat, à l’ère d’un pilotage territorial qui invite les institutionnels et les experts régionaux et locaux à se concerter pour poser des diagnostics, définir des stratégies et agir de concert, on peinera à trouver des organisations analogues dans les principaux ministères concernés, réunissant régulièrement administrations et experts pédagogiques sur des buts analogues. Les contacts ponctuels ou interpersonnels y existent, au détour d’un dossier, d’une initiative, d’une action emblématique, mais ils ne sauraient suffire.

Christian Vieaux, juillet 2015 (in Cahiers de la Fonction publique)

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[i] Le plus célèbre et ambitieux demeurant le Plan de cinq ans ou plan Lang-Tasca en 2000.

[ii] Pour aussi démocratique et républicaine que soit l’éducation artistique et culturelle, il serait inexact de penser que la préoccupation d’une formation artistique des citoyens émerge avec l’invention de l’instruction publique. Ainsi, par exemple, quand le Comité d’instruction publique de 1791 fait figurer le dessin parmi les objets de l’enseignement primaire, c’est sous l’angle de quelques savoirs relevant de la représentation géométrique des objets et de l’espace. Les rudiments de dessin linéaire sont envisagés dans leur contribution à la construction d’une personnalité rationnelle et dans leur utilité technique, notamment pour de futurs artisans. De même, lorsque Jules Ferry déclarait « Nous groupons, autour de l’enseignement fondamental et traditionnel du “lire, écrire et compter”, les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, les promenades scolaires, la gymnastique, le travail manuel de l’atelier placé à côté de l’école, le chant, la musique chorale qui y pénétreront à leur tour. Pourquoi tous ces accessoires ? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce qu’en eux réside la vertu éducative de l’école primaire, parce qu’ils feront de l’école primaire, de l’école du moindre hameau, du plus humble village, une école d’éducation libérale. », c’est au service d’une inculcation et d’une moralisation des masses qu’il place ainsi le dessin, le chant et la musique, et non pour leurs seules qualités et valeurs intrinsèques.

[iii] Sur ce point, à nouveau, il est possible de se référer à l’article de Marie-Christine BORDEAUX, Les aléas de l’éducation artistique et culturelle : brèves rencontres, rendez-vous manqués et avancées territoriales. [en ligne] In : Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication, Centre d’histoire de Sciences-Po Paris, La démocratisation culturelle au fil de l’histoire contemporaine, Paris, 2012-2014. Disponible sur : http://chmcc.hypotheses.org/798. [mis en ligne le 13 octobre 2014]

[iv] Extrait du référentiel du parcours d’éducation artistique et culturelle, en annexe de l’arrêté1er juillet 2015.

[v] Ibidem.

[vi] En particulier lors du colloque dit « Colloque d’Amiens », en mars 1968, organisé par l’Association d’étude pour l’expansion de la recherche scientifique. Pour une école nouvelle, formation des maîtres et recherche en éducation. Actes du Colloque d’Amiens, Mars 1968, Paris, Dunod, 1969. Il est admis que le colloque d’Amiens a catalysé des constats d’inadéquation de la question des arts à l’école au regard des évolution de la société et de la réalité du monde de la création artistique. Apportant les bénéfices d’une vision politique et théorisée, une commission consacrée à « l’éducation artistique et culturelle dans la formation de l’individu » devait poser l’exigence d’une revalorisation de l’éducation artistique en milieu scolaire, de la maternelle à l’université. Elle proposait une doctrine et des directions de travail qui vont demeurer essentielles pour les décennies à venir et orienter bien des décisions.

[vii] On évoque ici le protocole d’accord du 25 avril 1983 entre le ministère de l’Éducation nationale et le ministère délégué à la Culture. Mais on oubliera pas le plan Landowski.

[viii] Cette doctrine fait politiquement consensus et les positions qu’elle promeut ne sont que rarement discutés sur le fond. Elles sont considérées en de nombreux lieux et par la plupart des décideurs politiques. Elles s’exprime très habilement dans l’introduction d’un document, Culture 1959-2009, 50 ans d’Éducation artistique et culturelle, produit par le ministère de la Culture et de la Communication, accessible en ligne sur son site : « Pendant longtemps, la notion d’éducation artistique et culturelle était assimilée aux seuls enseignements de la musique et du dessin dans les établissements scolaires, et à ceux dispensés en dehors du temps scolaire par les conservatoires et écoles municipales de musique. La notion d’éducation artistique et culturelle s’est progressivement dégagée sur fond de reconnaissance que l’acte de transmission dans le champ de l’éducation artistique et culturelle n’est pas réductible à un enseignement. »

[ix] On peut légitiment en douter tant les deux ministères s’accordent sur le fait que ce ne sont environ que 10% des élèves scolarisés qui ont accédé à un dispositif de l’éducation artistique et culturelle, donc hors enseignements artistiques obligatoires. Sur ce point, nous recommandons une étude : Etat des lieux des dispositifs d’éducation artistique et culturelle, Rapport à monsieur le ministre de l’éducation nationale et à madame la ministre de la culture et de la communication, Jean-Yves Moirin, inspecteur général de l’éducation nationale, Anne-Marie Le Guevel, inspectrice générale des affaires culturelles, Jean-Marc Lauret, chargé de mission d’inspection générale des affaires culturelles, octobre 2012.

[x] La circulaire n° 2013-073 du 3-5-2013, relative au parcours d’éducation artistique et culturelle, décrit la nature des pilotages à constituer du niveau académique à celui de l’action locale. Les modalités sont globalement inspirées des anciens comités de pilotage de l’éducation artistique et culturelle (COPREAC), eux-même inégalement développés, et des groupes de travail formés pour accompagner les actions territoriales telles que les contrats locaux d’éducation artistique (CLEA), qui n’existent pas dans toutes les régions. Depuis 2013, les constats territoriaux indiquent de réelles disparités dans l’effectivité et la productivité des instances à développer, comme dans la régularité des séances tenues.

[xi] D’une manière relativement proche, bien que sur des contenus spécifiques et dans des périodes distinctes, les didactiques des enseignements artistiques obligatoires (arts plastiques et éducation musicale) se sont développées sur des recherches d’interactions entre expériences des langages artistiques (pratique active d’interprétation ou d’invention, individuelle et collective), recul critique sur la production (compréhension des processus de création, explicitation, mise à distance théorique) et introduction de connaissances (maîtrise de notions, découverte d’œuvres de référence, acquisition de repères culturels). Ces approches issues du terrain, de l’impulsion des inspections générales, de la recherche en éducation artistique, ont permis une actualisation et une rénovation profonde des enseignements artistiques dans leur ensemble. Elles sont ainsi également observables, dans des conceptions liées à la nature particulière de chaque art, dans les pratiques pédagogiques des enseignements artistiques en partenariat du lycée : arts du cirque, cinéma-audiovisuel, danse, théâtre et expression dramatique.

[xii] Il s’agit d‘une des premières dispositions de la Mission d’Action Culturelle en milieu scolaire, dite mission Luc du nom de son responsable.

[xiii] Force est de constater que l’axe des pratiques artistiques fut le levier et la matrice de la plupart des grands dispositifs emblématiques d’impulsion de l’éducation artistique (ateliers artistiques, classes à projet artistique et culturel…) et dans diverses politiques auprès d’autres publics. La majorité des enseignants se reconnaissent encore dans ce modèle auquel ils sont particulièrement attachés et qui a forgé bien des compétences pour le travail en partenariat.

[xiv] Sur ce plan, en 2008, la mise en œuvre de l’enseignement obligatoire d’histoire des arts peut aussi être lue dans ses intentions ou déviée dans son appropriation, soit comme une affirmation d’un enseignement culturel relevant pleinement de la responsabilité de l’École (mettre en partage pour tous les élèves la connaissance des œuvres dans de nombreux domaines artistiques), soit comme un enseignement véritablement conforme aux conceptions dominantes de la forme scolaire pour jouer contre la notion considérée moins stable d’éducation artistique.

[xv] Nous empruntons bien volontiers cette formule au titre d’un ouvrage de Marie-Christine Bordeaux et François Deschamps, dont nous recommandons la lecture : Éducation artistique, l’éternel retour? Une ambition nationale à l’épreuve des territoires, Éditions de l’Attribut, coll. « La culture en questions », 2013, ISBN : 978-2-916002-25-5.

[xvi] Nous conseillons également la lecture d’un article de Marie-Christine Bordeaux, Les aléas de l’éducation artistique et culturelle : brèves rencontres, rendez-vous manqués et avancées territoriales. [en ligne] In : Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication, Centre d’histoire de Sciences-Po Paris, La démocratisation culturelle au fil de l’histoire contemporaine, Paris, 2012-2014. Disponible sur : http://chmcc.hypotheses.org/798. [mis en ligne le 13 octobre 2014].

[xvii] Sur ce sujet, on pourra utilement consulter l’article de Françoise Enel, Politiques d’éducation artistique et culturelle : rôle et action des collectivités locales, in Culture études, politiques publiques et régulations, 2011.

[xviii] Ces démarches se sont initiées sous le ministère de Jacques Toubon en 1993, puis dans l’élargissement des programmes de résidences d’artistes, plus récemment au moyens des contrats locaux d’éducation artistique (CLEA).

[i]  Arrêté du 1er juillet 2015 relatif au parcours d’éducation artistique et culturelle, publié au JORF n°0155 du 7 juillet 2015.

[ii] D’une manière générale, la production « réglementaire » de l’éducation s’est récemment intensifiée afin de rendre opérantes les dispositions de la loi de 2013, dont certains aspects touchent à l’éducation artistique et culturelle. Divers textes ont été publiés : décret n° 2015-372 du 31 mars 2015 relatif au socle commun de connaissances, de compétences et de culture, publié au JORF n° 0078 du 2 avril 2015, décret n° 2015-544 du 19 mai 2015 relatif à l’organisation des enseignements au collège, publié au JORF n° 0115 du 20 mai 2015 et arrêté du 19 mai 2015 relatif à l’organisation des enseignements dans les classes de collège, publié au JORF n° 0115 du 20 mai 2015, projets de programmes d’enseignement mis en consultation.

[iii] La loi n° 88-20 du 6 janvier 1988 relative aux enseignements artistiques affirmait que les enseignements artistiques sont une composante indispensable de la formation générale et qu’il convenait d’assurer à tous les jeunes, à l’école et au collège, une éducation artistique dans les disciplines fondamentales (arts plastiques et éducation musicale) ; engageait un élargissement à d’autres disciplines, grâce à un système d’options complémentaires (nouvelles options de la filière A3 lettres arts, ateliers de pratique artistique et classes culturelles) ; confirmait l’ouverture de l’école aux réalités contemporaines dans les domaines artistiques et culturels, grâce à l’action culturelle en milieu scolaire (PAE) ; posait le principe d’élargissement du champ des disciplines artistiques enseignées dans et hors du système scolaire, dans le cadre d’un système d’options ; manifestait une volonté déterminée de rapprochement avec le monde culturel, par le biais des intervenants extérieurs en milieu scolaire ; reconnaissait l’autorité des enseignants titulaires dans leur classe, et la qualité des intervenants qui devaient justifier d’une vraie compétence professionnelle en matière artistique. Si cette loi devait avoir un retentissement important dans le milieu scolaire, en particulier chez les enseignants des disciplines artistiques et des domaines artistiques enseignés mais non disciplinaires, elle ne fut pas vraiment reconnue comme aboutie dans ses effets par les cadres du ministère de la Culture.

[iv] Articles L-121-1 et L-121-6.

[v] Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, publiée au JORF n° 0157 du 9 juillet 2013.

[vi] Par commodité, lesdits ministères sont désignés par ces appellations génériques, l’un et l’autre couvrant des champs élargis, et multiples selon les périmètres qui sont régulièrement redéfinis pour l’action publique.

 

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