– Ce texte fait partie d’une série sur les imaginaires techno-capitalistes –

AP (doctorante en philosophie) : – Pouvez-vous nous dire en quoi consiste l’anarcho-subjectivisme que vous prônez ?

D (dissidente) : – L’anarcho-subjectivisme est une résistance à la colonisation de la subjectivité opéré par le technocapitalisme. On pourrait parler d’une forme de résistance infrapolitique (James Scott). Il s’agit de développer des pratiques de résistance au technocapitalisme.

AP : En quoi consiste ces pratiques ?

D : Il s’agit d’un refus du consummerisme, d’une lutte pour préserver son attention, d’une résistance à la pensée technicienne….

AP : A vous entendre, on a l’impression qu’il s’agit d’une forme d’action assez intellectuelle et individuelle.

D : Il ne s’agit pas de s’opposer aux tenants des approches de l’action collective. Il est tout à fait possible d’être un ou une dissidente est de s’inscrire dans ce type d’action. Mais, il s’agit d’agir aussi pour préserver et renforcer son intériorité.

AP : Oui, mais tout de même vous êtes d’accord que la dissidence peut être un mode de résistance individualiste et uniquement mental, sans véritablement de transformation sociale.

D : Il s’agit de penser que toute forme de résistance au niveau collectif commence par une capacité à résister intérieurement au système. Cela signifie que l’individu doit cultiver cette capacité intérieure à prendre des distances avec le groupe ou le système dans lequel il se trouve.

AP : Cela semble tout de même une conception assez élitiste qui ne pense pas les différences de situations sociales dans lesquelles se trouvent les personnes. Peut-on vraiment tous dégager du temps pour construire une « forteresse intérieure » (pour reprendre le terme de Pierre Hadot à la suite de de l’Empreur Marc-Aurèle) ? Une personne en situation de précarité économique, une femme avec une double journée de travail, par exemple, ont-elles la disponibilité mentale pour construire cette intériorité ?

D : Il s’agit d’une éthique. Ce n’est jamais un jugement que l’on porte sur autrui, mais une voie que l’on décide d’emprunter à titre personnel.

AP : Mais nous n’avons pas tous et toutes les mêmes possibilités d’emprunter telle ou telle voie à titre personnel.

D : Je ne le nie pas. Mais, il y a toujours une marge d’incertitude dans les actions individuelles par rapport aux systèmes sociaux. La sociologue Danièle Kergoat parlait de mouvement brownien des actions individuelles. Il y a toujours une place pour l’imprévisibilité et l’incertitude au niveau des trajectoires individuelles.

Cela dit je suis d’accord avec vous sur le fait que les actions de dissidences individuelles relèvent davantage des relations sociales que de pratiques sociales, au sens où les pratiques sociales visent à remettre en question des rapports sociaux de pouvoir.