– Ce texte fait partie d’une série consacrées aux imaginaires technocaptialistes –

AP (doctorante en philosophie) : Pour vous rencontrer, il faut aller en dehors de la zone d’emprise de l’IA de gouvernance, dans une zone autonome. Comment expliquez vous que vous ayez accès des zones autonomes ?

EF : – Les technocapitalistes cherchent à défendre des apparences de libéralisme. Ils ne passent jamais officiellement par la coercition. En plus, en ce qui concerne les alternativistes, ils sont prêts à récupérer les innovations de ceux-ci, s’ils peuvent les intégrer au système technocapitaliste pour faire de l’argent.

AP : Vous développez un mode de vie qui repose sur l’économie de subsistance. Vous êtes très influencés par le courant écoféministe de la perspective du subsistance dont les pionnières ont été entre autres Maria Mies et Vandana Shiva. Comment expliquez-vous que pour autant vous ne parveniez pas à convaincre plus largement la population de votre mode de vie ?

EF : Comme l’ont montré Maria Mies ou encore Aurélien Berlan, le libéralisme repose sur l’idée de liberté comme délivrance, alors que la perspective de subsistance repose sur l’idée de liberté comme autonomie.

Les technocapitalistes enferment les personnes dans un « techno-cocon » (Alain Damasio). De fait, il devient difficile pour tout à chacun de s’extraire de ce techno-cocon pour rejoindre un monde libre, mais austère. Vous savez, c’est comme dans Les dépossédés d’Ursula Le Guin, nous sommes libres, mais notre mode de vie est austère.

AP : Il y a également un point qui semble discutable dans le mode de vie que vous avez adopté, c’est que le mode de production domestique (ou économie de subsistance) semble induire un partage du travail sexué très inégal. On peut craindre que dans les zones autonomes, sans l’electroménager, se sont d’autant plus les femmes qui doivent effectuer les tâches ménagères.

EF : Je ne vais pas vous le cacher, nous devons mener une lutte interne constante, entre nous, pour établir une égale répartition des tâches ménagères.

AP : Vous êtes sensés être libertaires. Est-ce que cela ne conduit pas à des formes d’organisation coercitive ?

EF : Plutôt que libertaire, je dirai que nous sommes des partisans d’une démocratie radicale et de l’auto-organisation. Mais chacun doit se tenir aux décisions collectives qui ont été prises. Nous ne sommes pas des individualistes forcenés.

AP : Mais cela ne conduit-il pas une tyrannie de la majorité ?

EF : Nous essayons de faire en sorte que les décisions soient prises au consensus. Nous accordons une grande place à la discussion collective.

AP : Une autre question porte sur vos positions concernant le post-sexualisme défendu par TechnoFutur. Est-ce que votre refus des innovations technologiques n’entre pas en contradiction avec les revendications des personnes LGBTQI+ sur la diversité des genres ?

EF : Nous considérons que ce qui fait le genre, ce ne sont pas des interventions technologiques, mais qu’il s’agit d’une réalité sociale. Pour nous, la transition sociale est plus importante que le recours à des technologies biologiques de modification du corps.

AP : Vous savez que cette position est excluante pour certaines personnes LGBTQI+ qui voudraient vous rejoindre.

Ef : Oui, c’est un problème. Mais, ils peuvent rejoindre les Hakeurses qu’iels également poursuivent des orientations autonomes. D’ailleurs, nous tolérons la présence de certaines technologies autonomes qui proviennent des milieux hakeurses. Mais disons, que nous accordons, tout de même, plus de valeurs aux dimensions symboliques et sociales pour définir le genre, qu’à des transformations biologiques.

AP : Accueillez vous dans votre zone autonome des cyborgs ou des humanoïds qui seraient opposés au technocapitalisme ?

EF : C’est un sujet de discussion récurrent entre nous. Mais pour l’instant, nous préférons qu’ils et elles rejoignent des communautés d’Hakeurses.

AP : Une autre question que je me posais. Vous savez que TechnoFutur est anti-spéciste. Comment vous positionnez vous par rapport à la libération animale ?

EF : Nous considérons que le problème n’est pas l’élevage animal qui a toujours existé dans les économies de subsistance, mais la production animale qui trouve son origine dans l’industrialisation de l’agriculture. Nous nous sentons proche sur ce plan davantage de Jocelyn Porcher que de Peter Singer.