Compte rendu de discussion post-simulation:

Mot clefs : Expérience de pensée philosophique, écologie, libéralisme, vie privée.

– Ce texte fait partie d’une série sur les imaginaires du technocapitalisme environnemental –
Le dispositif d’enquête en philosophie de terrain fictionnelle met en scène deux protagonistes :
– AP : doctorante en philosophie de l’éducation. Elle s’intéresse aux relations entre éducation au futur et formation existentielle.
– TC : concepteur pour un think thank technocapitaliste environnemental : TechnoFutur.

TC : Le projet que nous souhaitons développer consiste à proposer un dispositif qui permet de suivre les comportements individuels des consommateurs, leurs modes de vie et donc leurs impacts écologiques. Cela permettra d’envoyer des incitations positives individualisées pour favoriser la modification des comportements qui posent problèmes sur le plan environnemental. Cela peut porter sur le tri des déchets, le chauffage des habitations, les lumières allumées…

Par incitations positives, nous désignons tout facteur qui motive la personne à agir dans un sens sans passer par la coercition. Cela peut consister par exemple dans un premier temps dans des « nudges », puis ensuite dans des « renforcements positifs » (Skinner) pour maintenir le comportement dans un certain sens.

AP : Mais ne peut on pas considérer que le prix de l’électricité, de l’essence… constituent déjà un frein au gaspillage sans que l’on ait besoin d’ajouter une surveillance numérique. On ne voit pas très bien ce que la surveillance numérique des comportements ajoute à cela.

TC : Nous pensons qu’il vaut mieux favoriser non pas la sanction, mais la récompense. Nous pensons que l’action positive est davantage conforme à une société libérale et non autoritaire.

AP : Cependant,, les principaux vecteur de pollution écologique sont liés aux industries et non pas à la consommation individuelle.

Autre difficulté, il me semble, c’est que si on estime que les individus consomment des produits nocifs, alors il suffit de ne pas les commercialiser. Dans ce cas, il faudrait viser non pas du côté de la demande, mais du côté de l’offre.

TC : Il y a sans doutes des causes structurelles, liées aux industries, mais on ne peut pas nier l’importance des comportements individuels également.

Là encore, cela n’exclut pas d’agir par incitation positive auprès des entreprises. Mais pour nous, ces incitations doivent découler non pas de décisions politiques, mais uniquement d’une régulation technique par des intelligences artificielles.

AP : – On a l’impression que votre système sous couvert de défense de l’environnement constitue juste un dispositif de surveillance des individus de manière à mieux connaître leur modes de vie et à leur vendre des produits. En effet, lorsque vous parlez d’incitations positives, cela peut inclure par exemple de leur envoyer des publicités pour des produits qui seraient sans doutes écologiques.

Ainsi, dans votre système n’y a-t-il pas une contradiction entre votre conception libérale, que vous considérez comme respectueuse des libertés individuelles, et le respect de la vie privée ?

Est-ce que l’économie capitaliste de marché, n’a-t-elle pas tendance à réduire les libertés individuelles en réalité au nom d’un logique d’accumulation du profit pour le profit ?

TC : Nous considérons qu’il n’y a d’atteinte à la vie privée que si ces données sont consultées par des êtres humains et stockées. Or le système que nous proposons est entièrement automatisé.

De notre point de vue, rien ne prouve que la recherche d’accumulation du profit pour le profit soit contraire au bonheur collectif. En effet, il est possible de considérer que la prospérité des entreprises conduit à une amélioration des conditions de vie collectives par une élévation du niveau de vie global.

AP : Il y a un autre point de discussion. Il porte sur les incitations positives comme celles qui sont utilisées dans le cas des « nudges » qui en court circuites la conscience et donc remettent en l’autonomie du consentement. Est-ce que l’on peut considérer qu’il est acceptable d’orienter le comportement des personnes sans qu’elles en aient conscience ?

TC : Notre conception du libéralisme est influencée par l’utilitarisme. Sur ce plan, nous considérons qu’il est possible d’agir en fonction d’un bonheur collectif. Nous connaissons les objections qui peuvent être faites à l’utilitarisme de pouvoir sacrifier les droits individuels. Mais, il nous semble qu’il est possible de programmer les IA à respecter les libertés fondamentales des individus.

Il ne peut y avoir violation de l’intimité des personnes par une IA que s’il y a stockage des informations et à consultations de ces informations par un être humain. La machine n’étant pas doté de conscience, elle ne viole pas l’intimité. Lorsque vous êtes dans votre intimité devant votre téléviseur, vous ne considérez pas qu’il viole votre intimité.

AP : De ce fait, vous admettez que l’écologie implique d’agir sur les comportements individuels au nom d’une conception collective du bonheur.

TC : Oui dans notre conception de l’organisation sociale libérale, il s’agit d’une perspective qui est tout à fait envisageable.

AP : Mais n’y a-t-il pas une contradiction entre l’utilitarisme que vous prônez et le capitalisme. Ne peut-on considérer que l’économie de marché capitaliste ne peut pas conduire au bonheur ?

TC : Pour nous, le marché libre reposant sur la recherche de l’intérêt personnel conduit à la prospérité économique. La seule difficulté est d’ordre conjoncturelle entre les limites écologiques et le progrès technique. Le progrès technique est à même de réduire la contradiction entre les libertés individuelles économiques et les limites planétaires en termes de ressources.

AP : Mais si vous avez recours à des incitations positives ou des techniques du type « nudge », est-ce que c’est pas que vous admettez qu’il peut y avoir une irrationalité du comportement des acteurs économiques ?

TC : Comme nous vous l’avons déjà dit, ce n’est qu’une dimension conjoncturelle, liée au fait que les innovations technologiques ne sont pas en mesure encore actuellement de se passer de ressources naturelles limitées.

Commentaires  : – Interrogations sur la cohérence d’un libéralisme technocapitaliste :
Cette expérience de pensée vise à interroger la cohérence entre libéralisme, écologie et capitalisme. Plusieurs problèmes apparaissent :
– le premier porte sur la cohérence entre les idéaux du libéralisme politique et le capitalisme. On peut en effet se demander s’il n’existe pas une tendance inhérente au capitalisme d’utiliser les innovations technologiques afin d’améliorer d’une manière qui s’avère liberticide.
– le second porte sur la contradiction entre les tendances parternalistes de l’écologie concernant les comportements individuels et la neutralité du bien propre au libéralisme.