L’entretien dans le cadre de l’approche socio-existentielle critique peut avoir un objectif de recherche sociologique ou un objectif praxéologique dans le cadre d’une relation d’aide, en particulier en travail social.

Orientation méthodologique et posture éthique dans l’entretien clinique  dans l’approche socio-existentielle critique :

L’entretien dans le cadre de l’approche socio-existentielle critique ne vise pas à produire des explications psychologiques des parcours de vie des personnes, mais s’intéresse au contraire à ce qui les a construit du point de vue de leurs positionnalités sociales (ou déterminants sociaux) et des épreuves de vie (ou évènements de vie).

Sur le plan éthique, l’approche socio-existentielle critique ne part pas de la position selon laquelle l’interlocuteur ou l’interlocutrice a une personnalité pathologique. L’entretien clinique ici relève de la sociologie clinique. Si on pense que la personne relève de la psychopathologie, ce n’est pas la perspective de l’approche socio-existentielle critique de l’aborder sous l’angle de la psychopathologie. Dans ce cas, l’entretien devrait être complété par un autre professionnel qui fasse un entretien clinique pour une évaluation psychologique. L’entretien socio-existentiel critique part de la position de vie suivante : « je suis ok, tu es ok », « je ne suis pas dysfonctionnel et tu n’es pas dysfonctionnel ».

L’objectif d’un entretien qualitatif : un entretien qualitatif permet de déterminer le sens que les personnes donne à une réalité donnée. Il permet d’avoir accès à une subjectivité telle qu’elle se donne à voir dans un discours.

Dans l’approche socio-existentielle critique, l’entretien est dans un premier temps d’ordre phénoménologique. L’interviewer cherche à comprendre l’expérience subjective de la personne interrogée.

Mais l’entretien socio-existentiel critique va plus loin que l’entretien phénoménologique.

A partir de ce premier discours phénoménologique de la personne interrogée, l’interviewer pose des questions qui orientent la personne non plus vers son expérience subjective, mais sur les conditions sociales des évènements qu’elle a vécue. Avec l’aide de la personne interrogée, l’interviewer cherche à les expliciter.

Modélisation de l’entretien :

Chronologie des évènements de vie → Questions du guide d’entretien : la personne interrogée peut être invitée à expliciter ce qu’elle a ressenti face à cet évènement, mais aussi l’interprétation qu’elle produit de cet évènement. → Questions d’approfondissement : la personne interrogée est invitée à expliciter avec l’aide de l’interviewer les éléments sociologiques qui peuvent expliquer son parcours.

Récit de vie : L’entretien s’appuie en particulier sur le récit de vie. Il s’agit en particulier d’analyser le parcours de vie de la personne et la situation dans laquelle elle se trouve dans le moment présent, et ses projets.

Thématiques des parcours de vie : L’entretien peut être ciblé sur une thématique plus particulière : apprentissages informels, scolarité et étude, professionnel, relations personnelles et vie de famille, loisirs…

Déclaration préalable d’éthique : L’entretien peut être précédé d’une déclaration préalable d’éthique rappelant à la personne qu’elle n’est pas obligée de répondre aux questions si elle ne le souhaite pas et lui garantissant l’anonymat de l’entretien.

Positionnalité sociale : L’entretien socio-existentiel critique commence par des questions qui visent à déterminer les coordonnées sociales de la personne : sexe, âge, milieu social d’origine, origine migratoire, situation sociale actuelle…

Chronologie : L’entretien peut être suivi de l’établissement d’une chronologie des faits relativement à la thématique abordée dans l’entretien (ex : parcours d’études, parcours professionnel…)

Guide d’entretien : Il est recommandé de disposer d’un guide d’entretien avec les principales questions (ou points qui vont être abordés dans l’entretien). Néanmoins, le guide d’entretien n’est pas fixe. Il est un point d’appui. Dans l’approche socio-existentielle critique, la conduite d’entretien est active. Il ne faut pas hésiter à poser des questions intermédiaires qui aide la personne à bien expliciter les points qui ne semblent pas clairs.

Conduite de l’entretien : Lorsque les personnes abordent les situations de vie qu’elles ont vécues et l’effet qu’elles ont produit sur elles, elles tendent à leur donner des explications psychologisantes. Elles ont tendance à expliquer ce qui leur est arrivé par des traits de leur personnalité ou des causes psychologiques.

La conduite de l’entretien vise à orienter la compréhension du parcours de vie de la personne à partir d’une focale qui n’est pas psychologique. De ce fait, il s’agit d’essayer d’expliciter les éléments qui ont trait à la situation et qui peuvent expliquer le parcours de vie de la personne.

Pour cela, on peut s’appuyer sur des éléments contenus dans la positionnalité sociale et dans la chronologie pour aider la personne à expliciter certains éléments d’information durant son récit ou encore proposer des hypothèses d’explication à partir des éléments déjà contenu dans l’entretien et demander à la personne si elle est d’accord avec ces pistes d’explication.

Il arrive souvent dans le cadre de l’entretien socio-existentiel critique que les questions de l’interviewer amène la personne interrogée à expliciter des points, à se rappeler de faits qu’elle avait omis dans sa première narration, à faire des liens qu’elle n’avait pas fait initialement entre différentes données qui sont présentes dans l’entretien.

L’interviewer a une position active de recherche dans l’entretien. Il/elle essaie de comprendre de bien comprendre l’enchaînement des faits. Il ne faut pas hésiter à poser des questions du type : « Là, il y a un point que je ne comprends pas [….]. Comment expliquez vous cela ? ».

Les hypothèses proposées par l’interviewer doivent s’appuyer ses des connaissances sociologiques objectives, et non pas reposer sur des interprétations concernant le fonctionnement psychologique des personnes. Il s’agit d’aider à un processus d’auto-objectivation au cours de l’entretien des personnes interrogées en prenant en compte leur capacité de réflexivité critique.

Prise de notes pendant l’entretien : La prise de note durant l’entretien est importante. Il ne faut pas hésiter à se reporter à des points déjà abordés précédemment pour demander des précisions ou faire des liens entre des évènements. Il est important que les hypothèses d’explication qui sont validées avec les personnes interrogées s’appuient sur ce qu’elles ont dit durant l’entretien. Il ne doit pas s’agit d’élucubrations de la part de l’interviewer.

Validation orale de l’entretien : A la fin de l’entretien, il est intéressant de revenir sur le parcours de la personne avec elle et d’essayer d’en reconstituer les enchaînements avec les explications sociologiques qui se sont dégagées durant l’entretien. Il s’agit de vérifier qu’on parvient à une explication sociologiquement cohérente du parcours de la personne.

Validation écrite de l’entretien : Il est possible d’envoyer à la personne le texte écrit de l’entretien pour validation. Elle possède alors la possibilité de modifier l’entretien pour ajouter des précisions ou supprimer une information par exemple.

Enjeux scientifiques de l’entretien : Sur le plan de l’apport sociologique, les entretiens dans l’approche socio-existentielle critique portent sur l’analyse des relations entre les dimensions subjectives et les dimensions sociales dans les parcours de vie des personnes. Le texte de l’entretien fait ensuite l’objet d’une analyse sociologique qui permet de mettre en perspective les éléments sociologiques qui se sont dégagés des différents entretiens. La synthèse des différents entretiens peut permettre de dégager une modélisation des parcours des personnes.

Entretien socio-existentiel critique et travail social : A la différence de l’entretien clinique psychologique (ou psychanalytique), l’entretien socio-existentiel critique est tourné vers l’analyse de l’environnement social de la personne. Il est donc plus particulièrement adapté aux démarches de travail social. L’objectif n’est pas ici de chercher à modifier le fonctionnement psychologique (ou relationnel ou comportemental) de la personne, mais à l’aider à identifier les éléments sur lesquelles elle peut tenter d’agir dans son environnement social pour changer sa situation.

Enjeux praxéologiques de l’entretien : L’entretien dans le cadre de l’approche socio-existentielle critique vise dans un premier temps un reframing (changement du cadre d’interprétation). Les personnes tendent à interpréter leur situation à partir d’une grille psychologique qui est individualisante. Elles cherchent l’explication de leurs problèmes dans leur personnalité. Ce qui conduit à une tendance à la culpabilisation et à penser que la solution de leurs difficultés se trouve dans un changement de leur personnalité. Il s’agit au contraire de les aider à rompre avec ce type d’explications de leur trajectoire de vie.

Le second apport de l’entretien socio-existentiel critique relève de l’éducation populaire. Il s’agit d’aider les personnes à avoir une lecture sociologique de leur parcours, de mieux comprendre les effets du social sur leur trajectoire personnelle.

Le troisième apport de l’entretien socio-existentiel critique, c’est que la personne en comprenant mieux la part du social qui la constitue ne cherche pas tant à se changer elle, mais à essayer davantage d’agir sur son environnement social. L’objectif est d’identifier les ressources dans son environnement et les leviers sur lesquelles elle peut agir.