Film : La fille de Brest

(Réalisatrice : Emmanuelle Bercot, 2016)

Dans son hôpital de Brest, une pneumologue découvre un lien direct entre des morts suspectes et la prise d’un médicament commercialisé depuis 30 ans, le Mediator. De l’isolement des débuts à l’explosion médiatique de l’affaire, l’histoire inspirée de la vie d’Irène Frachon est une bataille de David contre Goliath pour voir enfin triompher la vérité.

Commentaire :

L’un des projets existentiels que l’on peut repérer chez le personnage du film, c’est d’abord celui de devenir médecin, outre celui de fonder une famille et d’avoir des enfants.

Lors de son stage de fin d’études, Irène est confrontée à des patientes qui développent une maladie rare suite à un coupe-faim qui leur avait été prescrit. C’est le premier choc. Une situation d’identification : des patientes jeunes qui viennent d’accoucher. Cette situation correspond à une des situations limites de Karl Jaspers : le hasard. C’est par hasard qu’Irène a été confrontée à ces cas.

Quelques années plus tard, la pneumologue remarque des patientes qui développent de nouveau une maladie rare en lien avec la prise d’un coupe-faim qui appartient à la même famille de médicament. Deuxième hasard. Mais la pneumologue fait le lien entre les deux situations.

Mais il ne suffit pas de faire le lien entre deux situations, encore faut-il les résinifiés comme des situations d’injustice. Lorsque la pneumologue écrit son livre, nombreuses sont les personnes à ne pas en comprendre la portée. Après tout le médicament a déjà été retirée. Or, elle a perçu le problème éthique. Les victimes n’ont pas conscience qu’elles peuvent porter plaintes et réclamer justice.

Se développe dès lors un autre projet existentiel : celui de dénoncer les ravages causés par ce médicament et le laboratoire pharmaceutique qui le commercialise.

« Les victimes de Cervier c’est toute ma vie de médecin depuis que j’ai 25 ans » (Extrait du documentaire : Irène Frachon, droit au cœur). Elle ajoute « je ne peux pas supporter ce qu’on leur a fait ».

Est-ce un projet ou alors est-ce la réaction à une simple émotion viscérale ? Il y a une émotion fondamentale. Elle parle de colère: « dès qu’on me parle de cette histoire, je sens une espèce de colère qui devient une boule de feu ». Mais pourtant, il ne suffit pas que la subjectivité soit envahie par une émotion pour être un sujet, il faut qu’elle assume les pensées et les actions qui découlent de cette émotion. » D’ailleurs, elle complète : « ça il faut faire attention à ça, il faut vraiment maîtriser ça ».

Ce que l’on constate, c’est qu’à la différence de ce que développe Sartre, dans L’idiot de la famille, il semble contestable d’affirmer que le sujet développe un seul projet existentiel au cours de sa vie et qui remonterait à l’enfance. C’est sans doute nier l’importance de la temporalité, des évènements, des infléchissements et des bifurcations qui peuvent se produire dans l’existence.

Ce nouveau projet existentiel chez la pneumologue  se double d’une conscience sociale. Les personnes qui sont les victimes de ce médicament sont le plus souvent des femmes de classes populaires, des personnes ayant peu de moyens de se défendre.

La pneumologue se voit néanmoins accusé de narcissisme dans son combat. Pourtant les satisfactions narcissiques sont elles des arguments suffisant pour expliquer l’attitude de la médecin. Après tout, les autres protagonistes ont aussi une part de narcissisme à satisfaire et ne l’investissent pas dans cette cause ou une autre.

Le film aborde également les difficultés, pour la femme médecin, de tenir ensemble les différents projets qui donnent sens à son existence : la lutte pour la vérité autour du médicament et la vie de famille lorsque par ailleurs, on est mère de 5 enfants.

Là encore, à partir du moment où l’on admet que le sujet ne développe pas un seul et unique projet existentiel, mais qu’il peut y en avoir plusieurs simultanément, alors il peut exister entre ces différents projets des tensions et des contradictions.

Il est possible d’interroger la portée de la figure médiatique du ou de la lançeuse d’alerte. Les portraits de lanceurs ou de lançeuses d’alerte peuvent être considérées comme des nouvelles figures d’édification citoyennes participant d’une éducation à la dissidence éthique.

Extrait du documentaire: Irène Frachon, droit au coeur (2021):