Le technocapitalisme colonise nos existences. Quelle est la forme de technocritique que porte la dissidence ?

Prologue

1. La dissidence désigne une certaine figure.

1.1. On peut distinguer la dissidence du désobéissant. Le désobéissant est une figure qui transgresse la loi. Il ou elle va transgresser la loi pour résister au technocapitalisme et alerter contre le désastre écologique.

1.2. On peut distinguer la dissidence de la figure de l’autonome. L’autonome fait rupture avec le mode de vie commun en recherchant un mode de production auto-suffisant.

1.3. On peut distinguer la dissidence de la figure du hacker. Ce dernier entend lutter contre le technocapitalisme en subvertissant la technique héteronome.

1.4. La dissidence est rapport à l’existence qui se vit au sein de la société technocapitaliste comme une autre forme de résistance à l’emprise technocapitaliste.

2. Technocritique : L’ambivalence de la technique

2.1. Jacques Ellul a mis en évidence que la technique n’est ni bonne, ni mauvaise, ni neutre. Elle est ambivalente.

2.1.2 Si une technique était uniquement mauvaise, si elle n’avait que des inconvénients, alors personne ne l’adopterait. Bien souvent, le principal argument, c’est que cela nous facilite la vie : par exemple cela nous ferait gagner du temps.

2.1.3. Les technocritiques ellulien sont donc ceux qui pensent que la technique moderne apporte plus d’inconvénients que d’avantages.

2.2. Ivan Illich a opposé une technique hétéronome (high tech) à une technique conviviale (low tech).

2.3. De ce fait, la technique hétéronome – dépendant des technosciences, produite par le capitalisme et l’Etat- conduit nécessairement à l’asservissement des humains car elle suppose des formes d’organisation économiques et politiques qui écrasent les individus.

2.4. Il y aurait de ce fait certaines techniques en soi qui sont mauvaises (autoritaires) et d’autres qui seraient bonnes (démocratiques).

2.4.1. Mais on peut douter que la forme même de la technique conditionne la forme de la société. Il peut exister des sociétés autoritaires qui se développent avec une technique autonome. C’est l’histoire de toutes les sociétés avant l’époque moderne.

2.5. Il est une autre forme de technocritique qui essaie de développer une forme d’existence non-technicienne.

2.5.1. On peut appeler existence non-technicienne, une existence qui soit consacré à autre chose qu’à un rapport technicien au monde, un mode d’existence qui soit orienté par d’autres pratiques que des pratiques techniciennes.

2.5.2. On peut désirer avoir une existence technicienne et y consacrer la part la plus importante de son vie.

2.5.3. Mais on peut désirer ne pas être contraint à vivre une vie technicienne. Or ce qui est insupportable avec le technocapitalisme, c’est sa tendance à coloniser nos existences par une logique technicienne et à ne pas nous laisser la possibilité d’opter pour une autre forme de vie.

2.5.4. La dissidence, c’est tenter d’adopter une autre forme de vie que la forme de vie technicienne que tente de nous imposer le technocapitalisme.

2.5.5. Une des caractéristiques de la forme de vie technicienne serait d’accorder une valeur principale à la recherche d’efficacité ou d’efficience.

I. La question de l’autonomie de la technique par rapport au système capitaliste

1. La technique est-elle devenue un système autonome ?

1.1. Jacques Ellul a développé la thèse, dans Le système technicien, que la technique est devenue un système autonome.

1.2. Une telle thèse suppose d’affirmer que le système technicien n’est pas conditionné par le capitalisme.

1.3. L’existence d’un système technicien en URSS, dans un système qui n’était pas un capitalisme marchand, mais un socialisme d’Etat – tout au plus un capitalisme d’État -, peut laisser penser qu’il peut y avoir une autonome du système technicien par rapport au système capitaliste.

1.4. On peut imaginer comme dans Un bonheur insoutenable, une société commandé par un ordinateur.

1.4.1. Imaginons que dans une telle société, un ou des ordinateurs surpuissants sont chargés de mettre en place de manière autoritaire une planification écologique : limitation des gazs à effet de serre, industrie agro-écologique…

1.4.2. Rien ne semble empêcher sur le plan conceptuel qu’on puisse penser une dystopie écologique qui soit un système technicien.

1.4.3. Sur le plan conceptuel, ni le capitalisme, ni le socialisme d’État, ni une société écologique ne sont en soi logiquement incompatible avec une dystopie

2. Les techniques conviviales (Ellul) peuvent-elles fournir une alternative au système capitaliste ?

2.1. Imaginons une société où les outils conviviaux – les low tech- auraient supplanté les high tech du système capitaliste. Une telle technique pourrait-elle transformer le système capitaliste ?

2.2. Pour certains, le système capitaliste ne serait pas compatible avec une telle technique.

2.2.0.1. Néanmoins, Simone Weil a mis en lumière, dans Les causes de l’oppression et de la liberté, que le système capitaliste pouvait exister sans le système technicien : il s’agit de la manufacture.

2.2.0.2. Ce n’est qu’avec le machinisme de la grande industrie que le système technicien se met en place. Ce qu’elle appelle de son côté la technocratie.

2.2.1. Le système capitaliste aurait besoin de techniques de plus en plus puissantes pour pouvoir produire de plus en plus de richesses.

2.3. En revanche, on peut s’interroger sur le sort des low tech dans une société qui reste majoritairement capitalistes.

2.3.1. On peut imaginer que d’une façon ou d’une autre, ces low tech soient récupérées par le système capitaliste ne serait-ce qu’à titre de vitrine homéopathique.

2.4. Les autonomes proposent des formes de vie qui s’appuient sur les low tech.

2.4.1. Mais la difficulté des autonomes, c’est qu’ils risquent d’être condamné à n’être que des îlots de résistance s’ils ne parviennent pas à faire tâche d’huile.

2.4.2. La stratégie de l’alternativisme autonome, c’est de parvenir à faire tâche d’huile.

2.4.3. Il s’agit que le maximum de personnes désertent le technocapitalisme et rejoignent des espaces autonomes.

2.5. On peut donc conclure que le système technicien ne dépend pas entièrement du système capitaliste. Un autre type de système que capitaliste pourrait ériger un système technicien.

2.5.1. Mais on peut également admettre que la transformation de la technique ne permet pas de conduire à l’effondrement du capitalisme.

3. La résistance peut-elle et doit-elle passer par un usage subversif de la technique ?

3.1. Certain-e-s admettent le caractère technocapitaliste du monde technique dans lequel nous vivons.

3.1.1. Mais, ils considèrent qu’il est possible de mettre en œuvre un usage subversif de la technique.

3.2. Tout comme la dissidence n’est pas l’autonomie, la dissidence n’est pas le haking.

3.3. La dissidence est une autre forme de vie. Elle est une autre forme de pratique existentielle.

4. Quelle est l’importance d’une technocritique ?

4.1. Certains imaginent une écologie qui soit techno-solutionniste. Plus d’innovations techniques nous permettraient de lutter contre la crise écologique.

4.2. Cette conception n’est pas seulement celle du capitalisme vert. Elle est également partagée par exemple par « l’écologie sociale » (Bookchin). C’est le mythe de la technologie libératrice.

4.3. Nous l’avons rappelé (2.4.1), on peut imaginer une société écologique dirigée de manière technocratique.

4.4. Quelle place alors pour une technocritique ?

4.5. La technique hétéronome tend à constituer un système qui nous contraint. Nous n’avons pas véritablement la possibilité de ne pas nous en servir : téléphones portables, ordinateurs professionnels, internet…

4.5.1. Cette technologie colonise notre attention, notre temps et donc notre existence : séries télévisées, jeux videos, réseaux sociaux…

4.5.2. La technocritique, c’est la lutte contre la colonisation totalitaire douce de notre existence par le technocapitalisme.

II. Technique et systèmes d’oppression

En dehors du système capitaliste, la technique peut-elle être liée à d’autres systèmes d’oppression ?

1. Le caractère genré des techniques constitue-il la marque d’un rapport social ?

1.1. Des autrices comme Paola Tabet (« Les mains, les outils, les armes ») a mis en avant comment la technique était genrée et avait participé dans l’histoire de la division sexuée du travail. On peut penser chez les chasseurs/cueilleuses à la différence entre l’arc et le panier.

1.2. Certains technocritiques ne voient pas de problèmes à cette division du travail sexué. En effet, pour eux, le problème de la technique ne se trouve que dans la technique moderne, dans la technoscience, ou dans le technocapitalisme.

1.3. Pourtant, la maitrise des armes par la classe de sexe des hommes a assuré sa domination sur la classe de sexe des femmes.

1.4. De ce fait, la division sexuée des techniques n’est pas neutre et participe du rapport social patriarcal.

2. La technique participe-t-elle d’un rapport colonial ?

2.1. Gandhi en adoptant comme symbole le « rouet » (chakra), un outil artisanal servant à tisser, avait mis en lumière le caractère colonial de la technique occidentale.

2.2. Les technologies militaires ont assuré aux occidentaux la supériorité technique leur permettant la conquête, l’oppression et la colonisation des peuples non-occidentaux.

2.3. Il ne s’agit pas d’idéaliser les sociétés traditionnelles (du fait des rapports sociaux de genre patriarcaux), mais de ne pas nécessairement rejeter le mode de vie qui avait été développé dans ses sociétés comme archaique.

2.4. On peut considérer que la non-viabilité de notre civilisation thérmo-industrielle est liée à la bifurcation qui a été faite relativement aux sociétés paysannes (mode de production domestique).

2.5. Il ne s’agit pas de revenir à ses sociétés à l’identique, mais peut-être de repenser à partir de l’expérience de ces sociétés les conditions d’une nouvelle orientation historique qui permettent la viabilité écologique de nos sociétés.

3. La technique participe-t-elle d’un rapport validiste ?

3.1. Une idée que l’on trouve souvent, c’est que les innovations technologiques permettraient d’aider les personnes en situation de handicap dans leur existence.

3.2. Il peut y avoir une part de vrai dans cette idée, mais seulement en parti.

3.3. En effet, on ne peut pas penser améliorer le sort des personnes en situation de handicap par une orientation uniquement techno-solutionnisme.

3.4. Le techno-solutionnisme peut avoir des effets pervers. Il peut conduire à considérer que les discriminations dont souffrent les personnes en situation de handicap ne sont pas une question sociale, mais uniquement une question médicale à laquelle on peut apporter une réponse techno-scientifique.

IV- Les pratiques de résistance de la vie dissidente

1. La vie dissidente n’est pas la vie autonome.

1.1. La vie autonome rompt avec le techno-capitalisme en s’orientant vers l’auto-production.

1.2. La vie dissidente est menée au sein du technocapitalisme dont elle essaie de résister à l’emprise et la colonisation de l’existence

1.3. La vie dissidente peut passer par un ensemble de pratique.

2. La vie dissidente : exemples de pratiques de résistance à l’emprise technocapitaliste

2.0.1. Ces pratiques de résistance sont d’ordre existentielle. C’est pourquoi elles se situent dans le cadre d’une auto-formation existentielle ou éducation de soi.

2.0.2. La vie dissidente tente de résister à la colonisation de l’existence par le technocapitalisme.

2.0.3. La vie dissidente n’est pas un modèle hégémonique. Mais chacun et chacune peut avoir le droit à aspirer à une vie dissidente. Mais l’emprise du technocapitalisme tend à nous contester ce droit.

2.1. Anti-consommation : La vie dissidente peut passer par un idéal de sobriété en réduisant son rapport à la société de consommation.

2.2. Décolonisation du temps : La vie dissidente peut passer par une résistance à la colonisation du temps par les productions de l’industrie du divertissement technocapitaliste : jeux videos, musique commerciale, séries télévisées, télé réalité…

2.3. Gratuité : La vie dissidente peut consister à se réapproprier des activités en dehors du système technocapitaliste. Cela peut passer par des loisirs gratuits comme d’aller marcher.

2.4. Voice : La dissidence consiste à faire entendre une voix publique différente relativement aux modes de vie qui peuvent être menés.

2.4.1. Il ou elle peut avoir recours aux moyens de communication de technocapitalisme pour faire entendre sa voix dissidente.

2.4.2. Lorsque le ou la dissidente subverti techniquement ces technologies, avec parfois une action clandestine, elle devient une « hakeuse ».

2.5. Action directe légale : La dissidence peut consister à mener des actions directes légales collectives contre la « colonisation du monde vécu » par le technocapitalisme.

2.5.1. Lorsque le ou la dissident pratique l’action directe illégale, il ou elle devient un désobéissant.

2.5.2. Lorsque le ou la dissidente dissident rompt avec le mode de vie technocapitaliste pour aller vers un mode de vie auto-suffisant. Il ou elle devient « autonome ».