Entre deux Amériques

Source : https://www.planetebd.com/bd/ futuropolis/eldorado/-/36804.html

Eldorado est une bande dessinée résultant de la coopération entre le dessinateur Damien Cuvillier et la scénariste Hélène Ferrarini. Elle mêle le talent artistique du jeune picard et les connaissances historiques et géographiques de Hélène Ferrarini, qui a été professeure dans ces matières mais aussi journaliste. Tous deux voyageurs, ils ont pu transmettre leur vécu. La scénariste a notamment visité la Guyane, avec laquelle elle a gardé un lien fort. Damien Cuvillier a quant à lui parcouru l’Amazonie brésilienne dont il reproduit désormais à merveille les paysages tropicaux.

Tous deux avaient ainsi une base solide pour bâtir leur BD historique qui reprend de manière réaliste certains aspects de la société américaine du début du XXème siècle, période durant laquelle se déroule notre histoire, en pointant notamment les conditions de vie déplorables des travailleurs en Amérique du Sud, le dédain envers les amérindiens et la population noire.

Damien Cuvillier et Hélène Ferrarini au salon de la BD avec leur livre Eldorado. Source : https://www.ladepeche.fr/article/2018/09/29/2878345-salon-de-la-bd-l-annee-de-tous-les-records.html

Marcello, un jeune ouvrier syndicaliste travaillant dans une aciérie aux Etats-Unis, nous plonge dès le début du récit dans une ambiance de lutte prolétaire contre le capitalisme. D’emblée nous nous attachons à ce personnage plein d’ardeur et de courage qui défend le salaire médiocre des ouvriers et se bat pour ses droits. Il est épris d’une jeune femme, nommée Louisa, à qui il écrit chaque jour des poèmes affectueux. Un jour où la crise se fait de plus en plus insupportable, les amants décident de s’enfuir ensemble. Cependant, la famille de Louisa lui a déjà arrangé un mariage. Son frère fait alors en sorte de faire embarquer Marcello, malgré lui, pour l’eldorado, un chantier en Amérique du Sud. Le jeune homme va alors se donner corps et âme pour rembourser la société et pouvoir rentrer chez lui et retrouver sa chère Louisa, ne cessant de lui écrire quotidiennement malgré la distance. Sur ce chantier en Amérique latine, nous serons confrontés à des faits révoltants tels que l’esclavage, les conditions de vie déplorables des travailleurs, et l’anthropisation des forêts tropicales à des fins cupides. Nous pourrons également comparer les différentes classes socio-professionnelles et le luxe qui les séparent. Les lettres de Marcello se retrouveront finalement entre les mains de la femme du chef de chantier, Barbara Hogens, qui, bien que riche, n’est pas heureuse dans ce lieu étranger qui lui semble hostile. Ces lettres briseront alors la morosité de ses journées causée par l’absence de son mari. Une dépendance va se créer vis-à-vis de ces lettres, aussi forte que l’amour de Marcello pour Louisa. Comment cette aventure va-t-elle tourner ? Marcello rentrera-t-il chez lui ? Barbara supportera-t-elle enfin son mal du pays ? Nous sommes sans cesse curieux de lire la suite !

J’ai trouvé cette histoire particulièrement émouvante et saisissante car elle évoque d’une part des liens humains très forts, quelquefois déchirants, entre les personnages, comme Marcello pour Louisa, ou même un jeune amérindien uni à sa grand-mère et attaché profondément à sa forêt. D’autre part j’ai aimé cette histoire car un grand combat est engagé pour la liberté de Marcello, contre l’argent, contre ses supérieurs, afin de retourner chez lui. Il fait preuve d’un courage et d’une mentalité exemplaires et admirables, et sa richesse sentimentale nous fait ressentir de la compassion à son égard. De plus cette indignation laisse place à une dénonciation de la société, de l’exploitation de l’homme par l’homme, de la vanité humaine. J’apprécie également le travail de recherche historique qui a permis de faire éclore une histoire très authentique et réaliste.

Planche de la BD page 61 : premier jour de Marcello sur le chantier. Source : https://www.bedetheque.com/serie-61933-BD-Eldorado-Cuvillier.html

Qui plus est, vous pouvez déjà être certain d’apprécier ce livre grâce aux illustrations fabuleuses. En effet, Damien Cuvillier représente de manière très réaliste les paysages comme les personnages ; il ne cherche pas à embellir la réalité et ne cache pas la noirceur des conditions de vie en Amazonie. Il utilise l’aquarelle, ce qui donne des couleurs pastel, douces et généralement chaudes qui nous imprègnent de l’ambiance. Aussi, les agencements multiples des vignettes sont très intéressants car ils créent un rythme en fonction du contexte lié au récit sur la planche. Parfois une seule grande vignette constitue la planche, parfois les cases sont disposées en quadrillage qui donne un effet accéléré et saccadé, d’autres fois elles sont en forme d’éclats… La lecture est alors très abordable car les images prennent vie, comme si elles parlaient d’elles-mêmes ; d’ailleurs certaines planches ne contiennent aucune phrase ! Le seul défaut que je trouverais, c’est son format encombrant, qui ne permet pas de le transporter aisément. Nonobstant, vous pourriez considérer sa taille comme un avantage, nous donnant un confort visuel pour en apprécier davantage les dessins. On ajoutera, pour le côté artistique, que les titres des chapitres sont magnifiques, extraits de la chanson Eldorado de Bernard Lavilliers. Bref, une merveille !

Je vous la conseille fortement, c’est une BD très intéressante, travaillée et émouvante, qui est très rapide et simple à lire.

Bonne lecture à vous !

Pour aller plus loin : petit aperçu de la performance des illustrations en vidéo : https://youtu.be/Dj1CjLHMLo4

Cuvillier, Damien / Ferrarini, Hélène. Eldorado. Futuropolis, 08/2018. 172 p

Marion Massinon, 1Ere1

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