Le jeu des besoins inassouvis

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Caroline Solé est une romancière française de littérature jeunesse. Ses romans abordent en partie la construction de l’adolescent et ses difficultés, ayant elle-même connu des troubles durant cette période de transition entre l’enfance et l’âge adulte. Elle publie son premier roman La pyramide des besoins humains en 2015. Ce roman contemporain de qualité sera par la suite lauréat de 5 prix littéraires : le Prix des Escales littéraires d’Auvergne et le Prix Enlivrez-vous à Thionville en 2016, ainsi que le Prix Sainte-Beuve, le Prix des Lycéens et collégiens de la ville de Rillieux-La-Pape, puis le Prix C@Lire, en 2017.

La pyramide des besoins humains, présente l’évolution de Christopher, un adolescent ayant sauté dans le train pour fuir son foyer. Il vit de la mendicité dans les rues de Londres et s’établit dans les coins sombres de Chinatown. Là il fait la connaissance de Jimmy, un sans-abri alcoolique vendeur de hot-dogs avec qui il se lie d’amitié, et Suzie, une prostituée affectueuse. Sa vie dans la rue balance entre le maintien de l’instinct de survie face aux violences récurrentes, et la recherche d’un carton sec pour passer la nuit.

Schéma de la pyramide des besoins humains de Maslow source : lesmotsdelafin.wordpress.com

Cette routine misérable va être altérée par l’apparition d’une émission de télé-réalité « La pyramide des besoins humains », qui s’inspire de la théorie de Maslow. Cette théorie classe les besoins humains en cinq catégories (cf. schéma) selon une hiérarchie précise*.

Concernant les règles du jeu, les candidats doivent prouver chaque dimanche que leurs besoins ont été assouvis pour monter au niveau supérieur. Ils publient des clichés, rédigent un texte récapitulant leur semaine, puis les téléspectateurs votent pour leur candidat préféré. Christopher va éprouver de la curiosité pour cette nouvelle émission. Un jour qu’il se connecte à internet, chez le bibliothécaire du coin, il voit la pyramide scintiller sur son écran. Pris d’émerveillement et d’amusement, il cède à la tentation de l’inscription qui, en plus, est gratuite ! C’est alors que notre jeune fugueur va devenir le candidat n° 12 778 avec pour pseudonyme ChristopherScott54.

Découvrez comment sa célébrité va s’accroître en grimpant les niveaux, alors qu’il n’était qu’un « ado dont tout le monde se fout ».

Comment Christopher va-t-il ressentir cette aventure ? Arrivera-t-il en finale ? Restera-t-il un gamin de l’ombre, dont seul le profil électronique est connu ? 

« Avant de m’inscrire, Maslow, je ne savais même pas si c’était un objet ou un être humain. Ce mot m’évoquait simplement une sorte de guimauve. Abraham Maslow n’avait pourtant rien d’un marshmallow, puisqu’il était psychologue, américain et déjà mort. »

Caroline Solé et son roman La pyramide des besoins humains Source : https://cdn-s-www.republicain-lorrain.fr

C’est une œuvre riche en émotions. On découvre au fur et à mesure les liens qui se tissent entre le personnage principal et Jimmy, le vieil SDF, et les moments d’amitié qu’ils partagent malgré leur mode de vie pénible. Nous sommes touchés par la sensibilité du jeune Christopher et sa souffrance, que ce soit par la nostalgie dont il fait preuve, ou son courage face aux difficultés rencontrées. Bien qu’il soit égaré et recherche son but, il fait sans cesse valoir sa liberté, et se bat pour la conserver. Cet adolescent manifeste de la maturité en sachant se détacher de son existence électronique, de son avatar, pour se concentrer sur la réalité et ne pas finir par « se trainer derrière son ombre ».

Par ailleurs, ce roman montre l’ampleur et la nuisance des réseaux sociaux sur leurs utilisateurs. Il dépeint d’une part l’impact néfaste de la notoriété sur les célébrités, victimes de fanatiques, de paparazzis, et privés de liberté. D’autre part, il dévoile le paradoxe entre les personnes qui maquillent complétement leur identité sur internet, et celles qui, au contraire, exhibent leur intimité la plus profonde.

Une œuvre qui fait preuve de réalisme, de sensibilité, et qui nous tient en haleine jusqu’au bout !

Le plus improbable dans cette histoire est le fait qu’un adolescent sans-abri, qui n’a pas l’opportunité d’assouvir ses besoins, puisse se hisser dans la pyramide en déjouant les théories de Maslow. Il remettra notamment en question certaines de ses affirmations.

Je vous souhaite de pouvoir faire sa connaissance, et d’y prendre goût. Pour ma part, je lui attribue 5 étoiles !

*Pour les curieux qui voudraient mieux comprendre la pyramide de Maslow, je vous propose la vidéo suivante: https://youtu.be/eQGvehkKtOs

Solé, Caroline. La pyramide des besoins humains. l’école des loisirs, 01/2017. 153 p. Médium poche. ISBN 978-2-211-12111-8

Bonne lecture à vous !

Marion MASSINON 1ère 1

L’ascension de la fortune

Première de couverture du roman (édition Feedbooks)
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Guy de Maupassant, le célèbre écrivain, nouvelliste, et ancien journaliste français, nous immerge dans le Paris des années 1880. Le roman Bel-Ami, paru en 1886, est représentatif de la nature littéraire de l’auteur, qui fut le poulain de Flaubert d’ailleurs, de par le réalisme qui s’en dégage et la qualité stylistique de l’œuvre. J’ai moi-même choisi de lire ce roman car j’apprécie personnellement Maupassant, dont je trouve l’écriture attrayante puisqu’elle se montre appliquée, précise et pleine de grâce. On ajoutera que le pessimisme est aussi présent dans Bel-Ami, comme dans d’autres de ses œuvres, Une vie par exemple. Ce roman a connu un grand succès et a été plusieurs fois adapté au cinéma. Ce qui est intéressant, c’est que l’artiste s’identifiait quelque peu au personnage principal, ayant vécu à Paris un moment, et ayant le sens des affaires : « Bel-Ami c’est moi ! », plaisantait-il.

Ce roman éponyme est centré sur le personnage de Georges Duroy, alias Bel-Ami. Il s’agit d’un jeune homme qui à sa sortie de l’armée en tant que sous-officier, s’installe à Paris. Au début du récit, il se trouve dans une situation médiocre, employé aux bureaux des chemins de fer, ayant un maigre salaire et crevant la faim. Il a belle allure, étant décrit séduisant et beau garçon, et il rêve d’idylles ardentes. C’est alors qu’il va tomber sur un vieux camarade de classe, Forestier, devenu homme du monde, rédacteur à La Vie Française, un journal réputé.

Bel Ami : affiche du film avec Robert Pattinson et Uma Thurman
source : https://www.critique-film.fr/bel-ami-affiche-du-film-avec-robert-pattinson-et-uma-thurman/

Celui-ci va permettre à notre personnage de prendre son envol, en lui faisant gagner peu à peu en considération dans la société. C’est un emploi au sein du journal qui va d’abord lui sourire, puis son cercle de connaissances va s’élargir, comprenant des personnes de plus en plus importantes, haut-placées. Son envie d’amour va se voir progressivement atténuée, par les aventures passionnées qu’il vivra, ayant du succès auprès des femmes. C’est d’ailleurs la fille de sa maitresse, Mme de Marelle, qui lui donnera le surnom attendrissant de « Bel-Ami », étant apprécié au sein de la famille. Nous nous attachons rapidement à ce personnage, et apprécions également les membres de son entourage. Cependant, il convoite une femme en particulier, et son appétit ne pourrait être assouvi sans cette « acquisition »… l’obtiendra-t-il ? D’après les propos de Richard Roudaut qui préface cette édition du roman, le récit démontre « comment réussir dans l’existence avec beaucoup de prestance, très peu de scrupules et un rien de chance ».

Comment la situation de Bel-Ami va-t-elle tourner ? Cette ascension dans la société sera-t-elle perpétuelle, ou se dégradera-t-elle finalement ?

J’ai beaucoup aimé ce roman car le personnage de Georges Duroy, qui à l’origine se trouve en bas de l’échelle sociétale va progressivement se dégager de sa condition, grâce à l’amitié tout d’abord, puis à l’amour et la considération acquis, qui vont le lier à certaines personnes plus nobles.

Les rebondissements émotionnels sont intéressants car notre héros connaitra des hauts et des bas dans son parcours, se fera des amis chers, comme des ennemis ! Notre cœur bat sans cesse la chamade à la lecture, on se soucie du sort de Bel-Ami, fier d’une part, notamment dans ses conquêtes amoureuses, mais émotif de l’autre, car parfois apeuré, désespéré, alerté. Nous sommes sensibles à son évolution, et nous nous sentons davantage crispés vers la fin du récit, dont je vous laisse prendre connaissance du dénouement par votre propre lecture.

Qui plus est, cette œuvre évoque le contexte historique de l’époque, avec la mise en pratique du télégramme, l’élaboration de chemins de fer, l’utilisation accrue des voitures… On ressent aussi chez les personnages une envie de se cultiver, en allant aux Folies-Bergère par exemple, ce théâtre parisien très fréquenté. La presse aussi est au cœur de l’histoire : l’opinion publique se développe dans le cadre d’une République établie depuis peu et certains journaux se font concurrence. D’ailleurs, des affrontements entre La Vie Française et d’autres journaux sont abordés dans le récit.

J’apprécie particulièrement la description des relations humaines faite par Maupassant. En effet, il dresse une analyse très objective des pensées et agissements des personnages envers d’autres, au sens professionnel, amical, ou même romantique. Il évoque des caractères humains sans cacher l’hypocrisie, la mesquinerie, la prétention et surtout la convoitise. Ce qui est flagrant, et qui est toujours le cas de nos jours, c’est que pour espérer évoluer, il faut savoir séduire autrui, comme Bel-Ami en a le don. Ces relations liées au pouvoir de l’argent, qui se fait désirer, dont Duroy en a fait sa quête, créent un véritable feu d’artifices de péripéties dans cet éden qu’est la vie parisienne. Or, toute épopée connaît des périples …

Je vous le conseille de tout cœur : c’est un roman délectable, riche en connaissances, et en émotions !

C’est pourquoi je lui attribue la note de … 4,5 étoiles sur 5 !

 

Je vous souhaite une agréable lecture. Merci pour votre attention.

Maupassant, Guy de. Bel-Ami. Librairie Générale Française, 09/2007. 367 p.

Marion Massinon, 1ère1

Entre deux Amériques

Source : https://www.planetebd.com/bd/ futuropolis/eldorado/-/36804.html

Eldorado est une bande dessinée résultant de la coopération entre le dessinateur Damien Cuvillier et la scénariste Hélène Ferrarini. Elle mêle le talent artistique du jeune picard et les connaissances historiques et géographiques de Hélène Ferrarini, qui a été professeure dans ces matières mais aussi journaliste. Tous deux voyageurs, ils ont pu transmettre leur vécu. La scénariste a notamment visité la Guyane, avec laquelle elle a gardé un lien fort. Damien Cuvillier a quant à lui parcouru l’Amazonie brésilienne dont il reproduit désormais à merveille les paysages tropicaux.

Tous deux avaient ainsi une base solide pour bâtir leur BD historique qui reprend de manière réaliste certains aspects de la société américaine du début du XXème siècle, période durant laquelle se déroule notre histoire, en pointant notamment les conditions de vie déplorables des travailleurs en Amérique du Sud, le dédain envers les amérindiens et la population noire.

Damien Cuvillier et Hélène Ferrarini au salon de la BD avec leur livre Eldorado. Source : https://www.ladepeche.fr/article/2018/09/29/2878345-salon-de-la-bd-l-annee-de-tous-les-records.html

Marcello, un jeune ouvrier syndicaliste travaillant dans une aciérie aux Etats-Unis, nous plonge dès le début du récit dans une ambiance de lutte prolétaire contre le capitalisme. D’emblée nous nous attachons à ce personnage plein d’ardeur et de courage qui défend le salaire médiocre des ouvriers et se bat pour ses droits. Il est épris d’une jeune femme, nommée Louisa, à qui il écrit chaque jour des poèmes affectueux. Un jour où la crise se fait de plus en plus insupportable, les amants décident de s’enfuir ensemble. Cependant, la famille de Louisa lui a déjà arrangé un mariage. Son frère fait alors en sorte de faire embarquer Marcello, malgré lui, pour l’eldorado, un chantier en Amérique du Sud. Le jeune homme va alors se donner corps et âme pour rembourser la société et pouvoir rentrer chez lui et retrouver sa chère Louisa, ne cessant de lui écrire quotidiennement malgré la distance. Sur ce chantier en Amérique latine, nous serons confrontés à des faits révoltants tels que l’esclavage, les conditions de vie déplorables des travailleurs, et l’anthropisation des forêts tropicales à des fins cupides. Nous pourrons également comparer les différentes classes socio-professionnelles et le luxe qui les séparent. Les lettres de Marcello se retrouveront finalement entre les mains de la femme du chef de chantier, Barbara Hogens, qui, bien que riche, n’est pas heureuse dans ce lieu étranger qui lui semble hostile. Ces lettres briseront alors la morosité de ses journées causée par l’absence de son mari. Une dépendance va se créer vis-à-vis de ces lettres, aussi forte que l’amour de Marcello pour Louisa. Comment cette aventure va-t-elle tourner ? Marcello rentrera-t-il chez lui ? Barbara supportera-t-elle enfin son mal du pays ? Nous sommes sans cesse curieux de lire la suite !

J’ai trouvé cette histoire particulièrement émouvante et saisissante car elle évoque d’une part des liens humains très forts, quelquefois déchirants, entre les personnages, comme Marcello pour Louisa, ou même un jeune amérindien uni à sa grand-mère et attaché profondément à sa forêt. D’autre part j’ai aimé cette histoire car un grand combat est engagé pour la liberté de Marcello, contre l’argent, contre ses supérieurs, afin de retourner chez lui. Il fait preuve d’un courage et d’une mentalité exemplaires et admirables, et sa richesse sentimentale nous fait ressentir de la compassion à son égard. De plus cette indignation laisse place à une dénonciation de la société, de l’exploitation de l’homme par l’homme, de la vanité humaine. J’apprécie également le travail de recherche historique qui a permis de faire éclore une histoire très authentique et réaliste.

Planche de la BD page 61 : premier jour de Marcello sur le chantier. Source : https://www.bedetheque.com/serie-61933-BD-Eldorado-Cuvillier.html

Qui plus est, vous pouvez déjà être certain d’apprécier ce livre grâce aux illustrations fabuleuses. En effet, Damien Cuvillier représente de manière très réaliste les paysages comme les personnages ; il ne cherche pas à embellir la réalité et ne cache pas la noirceur des conditions de vie en Amazonie. Il utilise l’aquarelle, ce qui donne des couleurs pastel, douces et généralement chaudes qui nous imprègnent de l’ambiance. Aussi, les agencements multiples des vignettes sont très intéressants car ils créent un rythme en fonction du contexte lié au récit sur la planche. Parfois une seule grande vignette constitue la planche, parfois les cases sont disposées en quadrillage qui donne un effet accéléré et saccadé, d’autres fois elles sont en forme d’éclats… La lecture est alors très abordable car les images prennent vie, comme si elles parlaient d’elles-mêmes ; d’ailleurs certaines planches ne contiennent aucune phrase ! Le seul défaut que je trouverais, c’est son format encombrant, qui ne permet pas de le transporter aisément. Nonobstant, vous pourriez considérer sa taille comme un avantage, nous donnant un confort visuel pour en apprécier davantage les dessins. On ajoutera, pour le côté artistique, que les titres des chapitres sont magnifiques, extraits de la chanson Eldorado de Bernard Lavilliers. Bref, une merveille !

Je vous la conseille fortement, c’est une BD très intéressante, travaillée et émouvante, qui est très rapide et simple à lire.

Bonne lecture à vous !

Pour aller plus loin : petit aperçu de la performance des illustrations en vidéo : https://youtu.be/Dj1CjLHMLo4

Cuvillier, Damien / Ferrarini, Hélène. Eldorado. Futuropolis, 08/2018. 172 p

Marion Massinon, 1Ere1