Dans la tête d’un vieux dégueulasse

Rien ne pourrait mieux résumer le livre que j’ai lu ce mois-ci que son titre lui-même : Journal d’un vieux dégueulasse.

Journal d’un vieux dégueulasse n’est autre qu’une anthologie de chroniques signées Charles Bukowski et parues dans un magazine hebdomadaire américain, Open City.

Charles Bukowski  https://cdn.radiofrance.fr/s3/cruiser-production/2019/09/8581d53a-615f-4035-a200-3b2ba865f991/838_gettyimages-98570099.jpg

Bukowski – car il est important de revenir sur l’auteur, s’agissant d’une œuvre autobiographique – est un auteur américain d’origine allemande, du XXème siècle. Il naît à Andernach, en Allemagne, mais alors qu’il n’a que trois ans, ses parents décident de quitter l’Allemagne et partent s’installer aux Etats-Unis. Le but de cette émigration est de faire fortune mais la crise économique américaine des années 30, également appelée « Grande Dépression », survient de manière inattendue pour eux et plonge la famille Bukowski dans la misère et la pauvreté. Lorsqu’il quitte le domicile familial, où il subit à répétition les violences et maltraitances de son père, Bukowski mène une vie de débauche qui mêle femmes, alcool et solitude. Celui-ci trouvera par la suite refuge dans l’écriture. Décédé en 1994, Charles Bukowski a écrit en prose, en poésie, ou encore des nouvelles. Marqué par une vie douloureuse, il exploitera le mouvement du « réalisme sale ».  Journal d’un Vieux Dégueulasse témoigne à la perfection de ce nouveau style littéraire. Ce mouvement américain porte à merveille son nom : il décrit la réalité tout en mettant en évidence les détails les plus sordides de celle-ci.

Les chroniques du recueil relatent, pour la plupart, la vie de l’auteur. On entre dans son quotidien d’américain solitaire, marginal et dégouté de la société. Il est le narrateur et c’est ainsi que ce journal nous apparaît comme un recueil de confidences, une sorte de journal intime rassemblant les pensées de son protagoniste. Ces courtes chroniques, rassemblées dans Journal d’un Vieux Dégueulasse, n’ont pas vraiment de lien entre elles : l’auteur écrivait toutes les semaines, dans l’unique but de distraire ses lecteurs et les plonger dans sa vie d’artiste torturé.

Son écriture dépendait de ses tourments, de la volonté de partager son humeur, ou encore des anecdotes passées qui lui venaient à l’esprit. Ce dernier aborde ainsi différents sujets, tels que son ivresse excessive, son rapport avec les femmes, sa perception de la politique américaine, ou encore ses tendances suicidaires.

Journal d’un vieux dégueulasse, collection Le Livre de Poche https://www.babelio.com/couv/bm _35483_1680023.jpg

Soyons francs : ces sujets ne sont pas très réjouissants ! C’est pourtant cette écriture noire et violente qui rend Bukowski si passionnant et intrigant. En effet, sa verve est dotée d’une brutalité à couper le souffle. J’ai été surprise par le ton naturel qu’il donne à ses propos cyniques. En effet, les lecteurs sont plongés dans sa vulgarité du début à la fin. Mais il semble que celle-ci ne dérange pas l’écrivain, et c’est pourquoi on ressent une spontanéité et une fluidité remarquables. Bukowski rompt les codes, de par son écriture et les thèmes dégradants et grossiers qu’il aborde sans le moindre complexe. Il apporte ainsi, à travers ses chroniques, un élan de modernité au monde de la littérature. De surcroît, il transmet son mépris pour la prose traditionnelle, mépris qui s’exprime par un refus d’employer la majuscule en début de chaque phrase. Seul le point permet de distinguer l’arrivée d’une nouvelle phrase.

Quant à la structure du récit, celle-ci est pour le moins déroutante, Bukowski pouvant passer d’une chronique qui narre ses mésaventures, parfois complètement loufoques,  à une autre entièrement dédiée à ses ébats sexuels.

Malgré le caractère autobiographique de l’œuvre, de nombreuses histoires, au départ réalistes, prennent à un moment donné une tournure étrange et irrationnelle. Et pourtant, tout s’explique : Bukowski était un grand alcoolique, à tel point qu’il écrivait bien souvent dans un état d’inconscience extrême. Certains de ses écrits témoignent donc de ses hallucinations. Dans ses chroniques, il reconnaît qu’il s’adonne à la boisson en quantité astronomique et dans n’importe quelle situation, addiction qu’il n’essaie pas de cacher lors de ses interviews. Par exemple, sur le plateau de « Apostrophes », ancienne émission littéraire française, on peut voir Bukowski raconter n’importe quoi, ne tenant plus debout et forcé de quitter l’émission, à cause de son ivresse (voir la vidéo ci-dessous). Juste avant son départ, il avait enchaîné les verres  et vidé une bouteille entière de whisky devant les caméras !

Bukowski choque les téléspectateurs et le présentateur !  (22 septembre 1978, émission Apostrophes). Source : https://www.youtube.com/watch?v=r_FmMqMu_9k /

Au début de ma lecture, j’ai éprouvé des difficultés à me faire à la brutalité du texte et à me plonger dans cette vie de débauche et de solitude. Mais finalement, je me suis rendu compte que je prenais un certain plaisir à m’immerger, durant la lecture de chaque chronique, dans cette atmosphère maussade et décadente. Je me suis surprise moi-même à enchainer les chroniques, sans jamais avoir l’envie de stopper ma lecture. J’ai aussitôt compris pourquoi les lecteurs de Open City étaient si impatients à l’idée de lire l’histoire de la semaine suivante, plus addictive encore que la précédente !

Je n’ai jamais été confrontée à un livre comme celui-ci, aussi cru, aussi brutal.  J’ai le sentiment qu’aucun autre auteur ne serait capable d’imiter sa verve, tellement son style m’a semblé unique.

Dès lors que vous vous serez familiarisé au style de Bukowski, vous n’aurez plus envie de vous arrêter, captivé par cette ambiance si particulière.

Alors, oui, je vous le répète, vous risquez d’être indigné par cet auteur misogyne, machiste, misanthrope et ivrogne, mais vous verrez que la puissance et la rudesse de son écriture vous transporteront !

 

BUKOWSKI, Charles, Journal d’un vieux dégueulasse, Librairie Générale Française, 1998, 320 p. Le Livre de Poche, ISBN : 978-2253143840

DELATTRE Clothilde, 1ère 1

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