Archives de catégorie : Actualité de l’enseignement

laïcité et Histoire

Laïcité : l’enseignement de l’Histoire en première ligne au collège

La laïcité fait de nouveau la une de l’actualité des cours d’Histoire. Il y a d’abord ce vade-mecum de 80 pages, intitulé « L’école et la laïcité », envoyé par le ministère de l’Éducation nationale à tous les établissements depuis le mois de mai. Dans la foulée, l’Ifop a publié les résultats d’une enquête réalisée auprès d’enseignants amenés à s’exprimer sur la laïcité à l’école. Alors que 38 % des professeurs relèvent des contestations de leurs enseignements par les élèves, l’histoire-géographie reste la discipline la plus exposée.

Un état des lieux inquiétant

Cet état des lieux est d’autant plus inquiétant qu’il intègre les réponses des enseignants du primaire, sans doute moins touchés que leurs collègues du secondaire.

laîcité et collège

Ainsi, 42 % des professeurs pointent une augmentation de la contestation du principe de laïcité alors qu’ils ne sont que 12 % à noter une diminution de cette contestation. Les conflits se manifestent par une opposition à la loi de 2004 qui interdit le port de signes religieux ostentatoires et par la contestation des enseignements qui touche même 56 % des enseignants dans les zones d’éducation prioritaire. Les SVT et l’EPS sont visées, mais l’histoire-géographie reste la matière la plus sensible.

Il faut dire qu’entre l’histoire des génocides, la décolonisation, les traites négrières, le conflit israélo-palestinien ou encore l’enseignement du fait religieux, il y a matière à incompréhension.

S’il reste difficile de discerner ce qui relève de la provocation d’adolescents victimes de discriminations ou d’un communautarisme religieux réel, seules la discussion raisonnée et l’argumentation fondées sur des faits, principes situés à la base du vivre-ensemble, permettent d’aborder ces sujets polémiques. C’est un des principes de la laïcité qui reste malheureusement un concept abstrait, une sorte de catéchisme laïque, parfois fourre-tout, pour beaucoup d’élèves. C’est pourquoi la laïcité doit aussi faire l’objet d’un enseignement spécifique en histoire.

Aux origines de la laïcité, la « guerre scolaire »

C’est dans le programme de 4e que sont traitées les lois de 1881-1882 sur l’école et la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Quelques jalons permettent d’établir des parallèles et de mettre en perspective les enjeux actuels.

  • Les idées des philosophes des Lumières, comme la lutte contre l’intolérance et pour la raison, sont à l’origine de la laïcité. Ainsi, la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, influencée par ces théoriciens, précise que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
  • Après des siècles d’emprise de l’Église, les républicains engagent la laïcisation de la société. Dans leur esprit, la séparation de l’Église et de l’école doit précéder celle des Églises et de l’État. C’est le début de la « guerre scolaire ». L’éducation civique remplace l’éducation religieuse et, après la défaite de 1870, le culte de la patrie remplace le culte de Dieu. De leur côté, les catholiques les plus fervents s’estiment persécutés et rejettent cette « école du diable ». Dans certaines régions, des livres scolaires sont brûlés.
  • Ce n’est qu’en 1969 que l’épiscopat français reconnaît l’école publique.
fake news

Fake news, les profs d’histoire-géo en première ligne

Au collège, les cours d’histoire-géo sont un terrain propice à la lutte contre les fake news, ces informations fausses ou truquées destinées à manipuler l’opinion plus ou moins volontairement. Il faut dire que les collégiens constituent une cible facile. Alors que le président de la République a annoncé une loi pour tenter de les contrôler, le rempart principal reste l’esprit critique.

Un enjeu pour la démocratie

Depuis la diffusion « artisanale » de croyances sectaires ou complotistes jusqu’à la défense des intérêts des multinationales et des États pour orienter une opinion publique, les fake news fleurissent sur le web.

Reptiliens, Illuminati, études scientifiques tronquées, théories conspirationnistes après les attaques de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, intervention des médias russes durant la campagne présidentielle américaine… L’apparition des « médias » numériques et leur diffusion sur les réseaux sociaux ont un impact sur notre société démocratique.

Il est donc nécessaire de former des élèves éclairés, aptes à conserver une approche critique pour leur permettre de résister à ces manipulations et apprendre à penser librement.

L’histoire-géo forme l’esprit critique

Les programmes d’histoire contiennent bien sûr des fakes et des épisodes abracadabrantesques : récits des mythes fondateurs ou hagiographies regorgeant de miracles de toutes sortes, par exemple. Pourtant, aucun élève n’aurait l’idée de penser que deux jumeaux allaités par une louve ont réellement fondé Rome.

La désinformation volontaire n’a rien de nouveau. Étudier l’image du prince de la Renaissance ou du roi absolu, c’est aussi et surtout mettre en avant les formidables opérations de com’ de François Ier, Henri IV ou Louis XIV. Les techniques de propagande nazies, vichystes ou communistes peuvent être comparées à celles de Daesh.

L’histoire apprend également aux élèves que la question des fake news se posait déjà avec l’apparition des idéaux des Droits de l’Homme et de la République (leur montrer que ce n’est pas un hasard) : « Il ne s’agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme a? la volonté? de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacun devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison » affirmait Condorcet en 1792[1].

fake news histoire

Former des cyber-citoyens

De nombreux aspects de l’analyse critique des documents (vérification des sources, croisement des informations, étude du contexte) donnent du sens à l’éducation aux médias numériques. Reste à en donner les clés aux élèves.

  • Qu’est-ce qu’une vraie information ?
  • Comment évaluer la fiabilité d’une information ?
  • Comment distinguer faits/opinions/croyances ?

Connaître le fonctionnement des moteurs de recherche ou de Facebook est un préalable. Les élèves doivent notamment savoir ce qu’est un contenu « sponsorisé ».

Il faut leur apprendre à se questionner et à enquêter pour retrouver la source d’une information diffusée : qui en est l’auteur ? Pourquoi ? Quand ? Sur quel site ?

Une image ? Vérifier qui l’a postée et quand, être attentif aux détails pour repérer d’éventuels montages, souvent grossiers.

Et pourquoi ne pas leur apprendre à créer leurs propres fake news ?

[1] Rapport et projet de décret relatifs à l’organisation générale de l’instruction publique. Présentation à l’Assemblée législative : 20 et 21 avril 1792.

chronologie historique

Oui, il faut plus de dates en cours d’histoire !

En souhaitant « renforcer la dimension chronologique de l’histoire », le ministre de l’Éducation nationale a relancé les débats sur son enseignement.

Évidemment, les cours d’Histoire ne se résume pas à retenir un ensemble de faits et de dates. Elle doit aussi donner les clés de compréhension du monde contemporain. Mais le rôle d’un prof d’histoire reste d’abord, à mon avis, de rappeler d’où viennent nos sociétés. Et pour le comprendre, les repères chronologiques historiques s’avèrent essentiels.

chronologie historique

 

Des cris d’orfraie

Immédiatement, des collègues ont poussé des cris d’orfraie, souvent teintés de mauvaise foi. Il s’agirait du retour du tout par cœur, de l’enseignement à la Michelet, du fameux roman national destiné à promouvoir une « histoire officielle », de l’embrigadement des élèves pour reprendre l’Alsace-Lorraine…

Personne n’évoque pourtant d’un retour à l’histoire-batailles enseignée comme il y a un siècle, ou lorsque des générations successives apprenaient « 1515 : Marignan » sans en comprendre les tenants et aboutissants.

Pour d’autres, l’aspect chronologique, qui favorise le savoir brut, impliquerait inévitablement un enseignement élitiste au détriment de l’égalité des chances. Mais il n’y a qu’à observer l’état de notre « ascenseur social », depuis plus de vingt ans, pour retourner l’argument.

Un vieux débat

La question de la place des repères chronologiques dans l’enseignement se posait déjà au début du xxe siècle. Ainsi pour Georges Lefebvre, renoncer à la perspective chronologique, qui constitue une explication « naturelle », constituait une négation de l’histoire en « son principe même ».

Au contraire, Lucien Febvre prônait une « histoire problématique », basée sur l’interprétation, dans une approche discontinue.

Certes les entrées thématiques sont stimulantes, mais comment comprendre, à 14 ans, ces questions générales sans disposer d’un bagage chronologique structurant notre Histoire ? L’enseignement devient trop abstrait et complexe avec l’introduction de concepts comme la culture, la démocratie. Il est urgent de rendre ces nouveaux objets plus concrets, plus logiques et plus accessibles aux élèves.

Éveiller la curiosité avant tout

Enseigner une histoire chronologique, jalonnée d’événements et de grands personnages emblématiques, comprendre les ruptures historiques, associer les idées à une époque, me paraît essentiel. D’ailleurs, envisagerait-on les mathématiques sans nombres ?

Lorsque j’ai débuté, le cours magistral avait très mauvaise réputation. Il était considéré comme une hérésie, une pratique rétrograde de « transmission des savoirs ». Pourtant, avec l’expérience, je peux affirmer qu’écouter un récit « magistral » est sans doute ce qui éveille le plus la curiosité des élèves. C’est généralement le moment que choisira l’individu (e) ronronnant près du radiateur pour sortir de sa léthargie et témoigner d’un minimum d’intérêt pour cette matière, avant de se rendormir au cours de l’étude de document qui s’ensuivra.

Bref, avant d’entamer une étude critique des sources, il serait bon que les élèves disposent d’un minimum de connaissances en termes de faits historiques.

De plus, évoquer les figures marquantes d’une époque ne signifie pas en faire des héros. Donner des repères chronologiques, ce n’est pas apprendre bêtement des dates.

Enfin, une approche chronologique ou événementielle peut s’avérer extrêmement riche. Si vous n’en êtes pas convaincus, (re-)lisez, par exemple Le Dimanche de Bouvines de Georges Duby.