L’art et la Shoah: »Montrer la disparition,regarder l’absence,créer autrement ».

  Mme Pigeonnier, professeur d’arts plastiques du lycée était intervenue devant deux classes de 1ère il y a quelques mois sur le thème de « l’art et la Shoah » à ma demande et de celle de Mme Clavel. Il s’agissait de préparer au mieux des élèves à une visite du Mémorial de la Shoah à Paris et du camp de transit de Drancy.  Merci à elle d’être intervenue devant les élèves, pour ce travail extrêmement bien documenté,  et de me l’avoir transmis afin de  pouvoir l’insérer sur le blog.

   « Comment transmettre ce qui ne peut ni être dit, ni être pensé, ni être vu ?

  Les artistes ont dû inventer des formes nouvelles pour transmettre la mémoire de la Shoah ( le génocide juif lors de la Seconde Guerre mondiale par les nazis).

  Face à l’horreur absolue et à l’impossible représentation, lorsqu’ils veulent témoigner de ce que fut la Shoah, les artistes de la seconde moitié du XXe siècle se trouvent déchirés entre des exigences qui s’opposent : proposer une représentation qui banaliserait, ou au contraire magnifierait, ce que seul le silence semble pouvoir respecter alors qu’il y a une  exigence intérieure de témoigner, alors qu’il existe un besoin de transmettre une mémoire vivante de ce qui a été perpétré.

  Pour exprimer la spécificité de la Shoah, « anéantissement sans trace et sans tombe, crimes sans témoin, meurtres à l’échelle industrielle sans cadavre et rétablir les victimes dans leur humanité et leur singularité qui furent niées », les artistes plasticiens auront le plus souvent recours au symbolisme pour donner à voir le silence, l’absence, la perte.  Le spectateur verra alors ce que pourtant il ne voit pas : les œuvres sollicitent la mémoire en cherchant à donner une forme à ce qui pourrait être une « présence-absence ».

De l’art témoignage : un artiste dans un camp…

  Né en Dalmatie (alors Empire d’Autriche-Hongrie, aujourd’hui Croatie), l’artiste Zoran Music, accusé d’appartenir à la Résistance, fut arrêté en 1944 par la Gestapo et déporté à Dachau. Il y réalisa, au risque de sa vie, une centaine de dessins décrivant ce qu’il voit : les scènes de pendaison, les fours crématoires, les cadavres empilés par dizaines, c’est-à-dire l’indescriptible. Très peu de ces croquis purent être sauvés. A son retour, il cherche pendant un temps à effacer l’horreur de sa mémoire, mais la vision des cadavres s’impose à lui. De 1970 à 1975, il revient à Dachau, dans les murs même où il fut enfermé. Il peint et grave alors une série de seize œuvres regroupées sous le nom de  » Nous ne sommes pas les derniers « .

[ » Camarade, je suis le dernier « , avait crié un détenu, pendu avant la libération du camp d’Auschwitz.

 » Nous ne sommes pas les derniers « , lui répond Zoran Music en choisissant ce titre pour l’exposition de ses dessins.]

… vers l’art qui perpétue la mémoire : les artistes de la génération d’après-guerre

  En Allemagne, la génération née à la fin de la guerre est une génération orpheline. Les pères sont morts ou disparus dans un combat qu’il est impossible de glorifier ; quant aux pères rescapés, ils n’ont laissé pour tout héritage que les décombres et la culpabilité. Les fils rejettent les pères et refusent la société dans laquelle ils vivent et qu’ils méprisent, une société construite sur des mensonges, des refoulements, sur une simple volonté de survie qui a balayé le passé.

  Un souci impératif de transmission va amener les artistes de la nouvelle génération à forger une nouvelle forme d’expression : techniques, matériaux, installations, mises en scène, il faut créer, mais créer autrement.

  Né dans le sud-ouest de l’Allemagne au moment où le Reich nazi s’effondre, les œuvres d’Anselm Kiefer ont pour thème l’histoire de son pays et particulièrement le passé récent, celui de la terreur de l’état nazi. Son œuvre évoque la catastrophe et les destructions de la Seconde Guerre mondiale, avec des réalisations saturées de matière (sable, terre, strates de plomb que Kiefer appelle « livres », suie, salive, craie, cheveux, cendre, matériaux de ruine et de rebut). Cette réflexion sur la responsabilité de l’Allemagne dans la Shoah s’exprime symboliquement : quand Kiefer peint des rails de chemins de fer qui se perdent dans l’horizon, il invite le spectateur à faire le rapprochement entre les rails et les « trains de la mort » emportant des millions de Juifs vers le néant. Les rails prennent la valeur d’un symbole universel.

  Shimon Attie travaille la photographie, les installations vidéo et les interventions dans l’espace public. Entre 1991 et 1993, pour la série The Writing on the Wall, il a projeté de nuit des photographies datant des années 1920 des habitants de l’ancien quartier juif de Berlin sur les lieux mêmes où elles avaient été prises. La présence virtuelle de la vie ainsi projetée sur les murs des immeubles encore existants, puits de lumière venant trouer la nuit de l’oubli, impose de façon frappante l’absence qui est le thème du projet.

  Alain Kleinmann, né à paris en 1953, construit son œuvre autour du thème du souvenir et de la disparition. Chacune de ses œuvres est un témoignage de fragments de souvenirs accumulés, tels les derniers instants d’une vie inachevée. Avec une gamme réduite de couleurs, il introduit dans ses toiles des photos anciennes, des tissus, gazes, cartons, tickets de transport, vieilles lettres… Avec ces matériaux, il fait surgir des images simples et émouvantes, des palimpsestes qui marquent la mémoire, entre présence et absence.

  Né à Paris en 1944, Boltanski est un artiste français, en grande partie autodidacte. Son œuvre questionne les traces et les traumatismes du passé, la disparition, l’identité, la banalité, la mémoire… Ainsi, toutes les œuvres de Boltanski évoquent le souvenir, du souvenir d’enfance au souvenir des défunts, de l’histoire personnelle à l’Histoire collective.

  Une grande partie de son travail se concentre sur ce qu’il appelle  » la petite Mémoire « , celle qui concerne les choses ordinaires. Pour lui,  » lorsqu’une personne meurt, c’est ce qui disparaît en premier. Pourtant ce sont des choses qui rendent les gens différents les uns des autres « . Il cherche donc à conserver cette petite mémoire. Cette petite mémoire, qui forme notre singularité, est extrêmement fragile, et elle disparaît avec la mort. Dans certaines installations de Christian Boltanski, tels ces vêtements pendus à des cintres dessinant la forme de corps inexistants, le spectateur perçoit l’Absence.

  Il associe dans son travail les modes d’expression les plus divers : la photographie, le récit, la collecte ou la présentation d’objets familiers dans des installations modestes ou monumentales.

La sculpture commémorative (lat. cum : avec – memore : mémoire)

Les artistes contemporains préfèrent la dimension symbolique à l’héroïsme et au pathos.

  Sculpture interactive, le Monument contre le fascisme, à Harburg, était au moment de son inauguration en 1986  une colonne en bronze de 12 mètres de haut sur laquelle les passants pouvaient graver leur signature. Destinée à s’enfoncer progressivement dans le sol, en1993 elle disparut entièrement. Elle était devenue invisible sauf son sommet plat faisant l’effet d’une dalle. Présente mais enfouie, invisible mais présente.

  • Peter Eisenman

  Le Mémorial aux Juifs d’Europe assassinés lors de la Seconde Guerre mondiale s’élève dans le centre de Berlin. Le monument compte plus de 2 700 stèles grises et s’étend sur 19 000 mètres carrés. Cette œuvre, radicalement différente des autres monuments commémoratifs, permet l’immersion totale du spectateur. La visite est une expérience complète, saisissante. Son intention peut se résumer à cette phrase, affichée sur les lieux :  « It happened, therefore it can happen again: this is the core of what we have to say » Il s’agit d’une citation tirée d’un poème de Primo Levi, juif italien déporté à Auschwitz en 1944. (Traduction libre : C’est arrivé, alors cela peut se produire à nouveau : voilà l’essence de ce que nous avons à dire.)« . Cette phrase qui est à méditer vient ansi terminer ce dossier.

Pour en savoir davantage:

Vous pouvez cliquer sur les différents liens ou aller sur la liste des sites proposés dans « Seconde Guerre mondiale et Shoah ».

Voir aussi le site de Dominique Natanson consacré à l’art et la Shoah

Un TPE consacré à ce thème est très intéressant, à voir.

Voir aussi l’article de Télérama consacré aux dernières photos de Michaël Ackerman qui se réfèrent à la Shoah. Expo « Half life » à la galerie Vu à Paris jusqu’au 11 décembre 2010.

A la suite d’un commentaire à cet article je rajoute un lien vers un site consacré à David Olère artiste de la Shoah.

Une réflexion sur « L’art et la Shoah: »Montrer la disparition,regarder l’absence,créer autrement ». »

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