« Carol »,Todd Haynes (2016)

«L’amour est le plus beau des crimes» écrivait le journal Le Monde lors de sa critique sur le film Carol. Carol est un long métrage réalisé par Todd Haynes en 2016. Adapté au cinéma, le deuxième roman de Patricia Highsmith connaît un succès phénoménal au Box Office (42,8 millions USD) et plus de cinquante nominations, parmi elles six aux Oscars. Avec une durée de presque deux heures, le film reste tout de même remarquable et les deux actrices Cate Branchett ( Carol ) et Rooney Mara ( Thérèse ), plus brillantes que jamais. De plus, ce film historique et mélodrame sentimental vise de nombreuses personnes, notamment les adeptes de New York dans les années cinquante ou également les membres de la communauté LGBT. En effet, ce long métrage met en scène deux femmes qui s’éprennent d’amour l’une pour l’autre et dont cette histoire va se compliquer : La mentalité plutôt fermée de la majorité de la population à l’époque ou encore le mariage peu heureux de Carol vont être à l’origine de leurs ennuis. Carol est une femme riche, distinguée et élégante mais aussi mère de famille et épouse en instance de divorce. Thérèse (Rooney Mara) est quant à elle employée dans un magasin de jouets. Dans le fond, leur histoire d’amour est traitée de manière presque classique, où les tensions et jugements se joueront, mais dans la forme, ceci en est bien plus complexe. Qu’est-ce qui fait de ce film un véritable chef d’œuvre ? Afin de répondre à cette question, nous nous pencherons d’abord sur la réalisation du film, ensuite, nous analyserons l’interprétation des actrices. Enfin, nous verrons l’esthétique du

film.

« Nous avons tourné en Super 16, pour retrouver la structure d’image de l’époque » affirme Edward Lachman le directeur de la photographie sur le tournage. Effectivement, les pellicules actuelles étaient beaucoup trop fines pour retrouver le grain d’image de l’époque, pas même en post-production avec des effets ajoutés. Cette pellicule permet de garder l’authenticité du film d’époque, afin que celui-ci paraisse réellement filmé dans les années cinquante. Filmer avec un 16 mm rend le film agréable et donne un côté vintage et rétro qui est une des forces de Carol.

Le second élément frappant dans l’œuvre est la manière qu’a Todd Haynes d’aborder le champ contre champ. Cette technique cinématographique consiste à filmer de face les acteurs tout en gardant dans le cadre l’amorce de son opposant en passant de l’un à l’autre. Cette technique permet

de recréer le rythme d’une conversation réelle. Dans ce film, la présence du champ contre champ est largement présente notamment durant les scènes de rendez-vous entre les deux femmes. L’originalité des plans de Todd Haynes est telle que ceux-ci sont plus éloignés des visages que la moyenne. De cette façon il dévoile alors une visibilité plus large des décors en arrière plan. Aussi, il expose par là des personnages plus froids puisque ceux-ci sont assurément plus éloignés de la caméra et l’effet de proximité est logiquement moins présent. La collaboration entre le réalisateur et le directeur de la photographie permet donc de créer une ambiance vintage et froide qui met en évidence l’authenticité du film.

Après son passage dans « Blue Jasmine », Cate Blanchett interprète Carol qui s’éprend d’amour pour Therese Believet dans l’adaptation du roman de Patricia Highsmith. Dans ce projet cinématographique, Cate est impeccable. Elle joue avec le caractère de son personnage de façon changeante : Carol paraît à la fois froide, mystérieuse et inaccessible mais aussi joueuse, amoureuse et accessible. Carol est fragile et dure à la fois. Cette manière de jouer rend le personnage intrigant. Cate Blanchett recevra le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2015 où le film est en compétition officielle. La performance de Cate Blanchett lui vaudra une pluie de nominations, même si cette année-là, l’Australienne s’inclinera la plupart du temps devant Brie Larson, phénoménale dans « Room »(Golden Globes, Oscars). Cate Blanchett est transcendante dans Carol, sa performance est poignante, elle donne au film un coté envoûtant et subtil qui n’aurait pu apparaître ainsi avec une interprétation autre. Mais, en même temps, qui ne pourrait pas tomber sous le charme de Cate Blanchett ?

Rooney Mara souvent comparée à Audrey Hepburn, joue le rôle de Therese dans le film « Carol ». L’actrice âgée de 37 ans interprète le rôle d’une façon discrète et touchante comme aurait pu le faire Audrey Hepburn quelques années auparavant. Personne n’aurait pu jouer Thérèse avec autant de discrétion et de retenue, à la façon d’Audrey Hepburn. Ses grands yeux ronds et sa frange permettent de donner au personnage un côté enfantin et naïf à Therese qui est plus jeune que Carol. Tout au long de l’œuvre, Rooney donne l’impression qu’elle va s’échapper à n’importe quel moment : silencieuse, calme, douce, innocente et à l’écoute, Thérèse est un personnage introverti. La subtilité du jeu de l’actrice a été récompensée par le prix d’interprétation féminine attribué à Rooney Mara au festival de Cannes 2015. Rooney Mara apporte au film un jeu d’acteur hors pair et une innocence qui n’est pas sans rappeler ce qui a fait le charme irrésistible d’Audrey Hepburn depuis ses débuts.

L’esthétique du film est d’abord due au rapport entre le caractère minutieux de Todd Haynes avec les détails et avec le soutien du directeur de la photographie. Todd Haynes revient souvent sur son amour pour les détails et dans ce film, à de nombreuses reprises, il y fait allusion. Les gants distraitement claqués sur les mains de Carol qui est repris de Patricia Highsmith lors de son « Avant-propos » dans son livre, la façon qu’a Carol de se remettre les cheveux en place ou simplement les regards de flirt entre les personnages ajoutent tous un peu plus de charme et de beauté à ce film déjà magnifique. Ed Lachman et Todd Haynes avaient déjà collaboré ensemble sur de nombreux tournages précédents comme pour le film Virgin Suicide ou encore Loin du Paradis. Lachman dit s’être inspiré des photographes Saul Leiter, Esther Bubley et Vivian Maier. Cette mise en avant de la photographie est aussi mentionnée dans le film puisque Thérèse, désireuse de devenir photographe, prend d’abord des portraits de Carol pour finalement finir à travailler pour le prestigieux magazine le New York Times. Cela montre une seconde fois l’amour de la photographie par Todd Haynes et Ed Lachman.

La ville de New York est aussi importante dans le film puisque c’est dans cette ville que va naître l’histoire d’amour entre les deux femmes. Pourtant, malgré le sacrement de « meilleur film » par les New New-yorkais, la ville reste quand même à l’écart de l’histoire. Bien différent du film Manhattan de Woody Allen, Carol reste un film d’amour entre deux êtres et non d’amour pour la ville comme le fait Woody Allen. Malgré l’apparition des bars gays derrière une porte sombre de Manhattan dans les années cinquante, aucune mention de tels bars n’est faite dans le film ou même le livre original. Mon explication est telle que le film Carol n’est pas un film à position politique mais simplement une histoire d’amour. New York est donc simplement la ville dans laquelle se déroule cet amour, comme n’importe quelle ville aurait pu l’être.

Pour conclure par l’ultime scène du film, qui comporte toutes les idées vues précédemment, toute la teneur vient nous libérer de l’angoisse qui régnait depuis le début de leur histoire. En laissant le spectateur sur une issue plus favorable rendant le film mémorablement dramatique relevant les plans de champ contre champ, le jeu splendide des deux actrices, les jeux de regards et la mèche de cheveux de Carol. De ce ballet programmatique, de ce chef d’œuvre cinématographique, Carol est la lente partition à rebours : de la rencontre aux affrontements avec le monde extérieur, le couple de femme ne cessera de composer sur cette mélodie essentielle : je te regarde, je te touche, je soutiens ou non ton regard…et je décide ou non de rester.

Lucie Tastevin TG7

Tom Haynes et Edward Lachman

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