Notes de cours

“L’imagination”


Définitions et généralités philosophiques…



Jamais la “culture” d’une époque n’a, comme la nôtre, autant fait l’éloge de l’imagination. La publicité, les medias, non seulement font constamment appel à l’imagination, mais font aussi miroiter en permanence la figure de l’ailleurs imaginaire contre le réel. Pour l’homme postmoderne, se sentir libre, c’est faire preuve d’imagination ou accéder à des mondes imaginaires par le cinéma, la publicité, la télévision, la BD, la littérature, le web…. Ainsi, imaginer permettrait de se donner librement un autre monde que celui de la réalité, de surcroît, un monde éventuellement bon marché. Vive l’imagination donc, car elle serait devenue le symbole de la liberté par excellence, lui-même idéal de vie dans nos société contemporaines.
Mais l’imagination n’a-t-elle pour fin que de délivrer les moyens de la fuite de la réalité ? L’imaginaire se réduit-il à la marge de compensation de nos désirs ? Et pourrions-nous nous en contenter ? Quelle différence y a-t-il entre imagination et imaginaire ? Quel est le principal ressort du travail de l’imagination ? L’imagination permet-elle de nous mettre en rapport avec un autre monde possible ou bien de quitter librement celui-ci pour trouver satisfaction ailleurs ? Dans ce cas, ne comporte-t-elle pas certains risques puisqu’elle nous pousserait à nous “oublier” et à négliger le monde réel, sinon à le “négliger” ? Si les fantaisies de l’imagination ne faisaient qu’emprunter leur contenu à la réalité, pour la reconstruire au gré des fantasmes et des désirs, l’imagination ne ferait que copier. Elle se bornerait à combiner des images dans des tableaux qui imitent les faits de la nature, tout en ne représentant rien de réel ou d’existant. Elle ne serait donc doubelement pas si libre ni si riche que nous voudrions le croire. Mais n’est-il pas excessif de dire que l’imaginaire est seulement un sous-produit de la perception retravaillé par le désir ? En somme qu’est-ce que l’imagination ?

I/ Composition et définition de l’imagination

Le terme imagination vient du latin imago, qui est de la même racine que imitari, “imiter”. En ce sens étymologique, l’imaginaton serait donc l’ »imitation par des images”. Or, l’image n’est pas le chose, même si elle lui ressemble. Elle peut donc appraître fondamentalement trompeuse, en se faisant passer pour la chose elle-même. D’où la dévalorisation, comme chez Platon, de l’image et de l’imagination : la première est le plus bas degré du réel, et la seconde le plus bas degré de la connaissance.
L’imagination n’est pas la simple imitation du réel par des images. Elle consiste à produire des représentations et, comme telle, suppose une activité de l’esprit. Cette activité ne réside pas seulement dans le fait de se représenter des objest ou des êtres absents-telle est l’imagination reproductrice ; elle consiste aussi dans la possibilité de combiner les idées ou d’anticiper les évènements, et même dans la faculté que nous avons de nous représenter ce qui n’existe pasn ou pas encore, de concevoir un monde imaginaire – telle est l’imagination productrice.

II/ La conscience et l’imaginaire

La tradition rationaliste se méfie de l’imagination. D’une part, dans son caractère “reproducteur”, elle souffre de n’être qu’une perception affaiblie et confuse. D’autre part, et surtout, le caractère “producteur” de l’imagination en fait une puissance de divagation et de mensonge. L’imagination est, selon le mot de Malebranche (De l’imagination), la “folle du logis”, grande pourvoyeuse de croyances irrationnelles ou absurdes. Ne donnant aucun critère sûr de distinguer le faux du vrai, elle est “maîtresse de fausseté” (Pascal, Pensées.)
Il faut alors soigneusement distinguer entre imaginer et concevoir, c’est-à-dire entre l’imagination et l’entendement, et n’accorder qu’à celui-ci la capacité d’optenir une connaissance claire et distincte. Un exemple emprunté à Descartes illustrera cette distinction. Considérons un polygone à mille côtés (“chiligone”). Il est possible de concevoir clairement une telle figure et d’en déterminer et comprendre les propriétés. Mais il est impossible d’en produire par l’imagination une représentation qui ne soit pas confuse. Une telle  représentation, en effet, ne différerait pas de celle d’un polygone à cinq cents côtés ou de n’importe quel autre à grand nombre de côtés ; elle vaut indistinctement pour chacun d’eux.


III/ Le champ de l’imaginaire, un champ large

Une telle approche de l’imagination se heurte à deux critiques. La première a été clairement formulée par Sartre (L’imagination). En faisant de l’imagination une perception affailbie, nous pensons l’image mentale comme une quasi-chose, qui serait “dans” la conscience comme l’objet est “dans” la réalité. C’est méconnaître, pour Sartre, l’intentionnalité de la “conscience imageante”, qui vise un objet en tant précisément qu’il est absent et le signifie comme tel. La deuxième critique porte sur l’identification entre imagination et fantaisie ou rêve, fantasmagorie. Contre une telle identification, Hume fut l’un des premiers à souligner que l’imagination  est la capacité de combiner les idées ou de les anticiper, bref, de les associer. Si cette association des idées est libre, elle peut aussi se régler et devenir alors ce grâce à quoi nous connaissons le monde. Ainsi chez Hume, la distinction cartésienne entre imagination et entendement disparaît. C’est la même faculté, que Hume nomme “imagination”, qui est aussi bien, selon qu’elle est réglée, source des inventions les plus fantaisistes, ou moyen de repérer des lois dans la nature. Kant aussi insistera sur le pouvoir de liaison et de synthèse qu’opère l’imagination au service de la connaissance.
Ainsi, une autre réhabilitation de l’imagination nous vient du monde de l’art et de la poésie, mais aussi de l’invention technique (y compris l’architecture et le design) : l’imagination n’est-elle pas, dans les deux cas, créatrice, soit en permettant une meilleure maîtrise du réel, soit, comme disait Bachelard (La psychanalyse du feu, l’air et les songes, La poétique de la rêverie), en étant une “fonction de l’irréel” tout aussi utile que la fonction de réel ?
Certes, on ne pourra objecter que l’imagination ne crée par vraiment, qu’elle ne fait au mieux qu’inventer des combinaisons nouvelles avec des éléments donnés. Reste cependant que les combinaisons peuvent être complètement libres. L’imagination manifeste donc la liberté de l’esprit ; elle est puissance, mais puissance positive. Elle se confond avec cette faculté que nous avons d’aller au-delà du donné, de penser l’absent, le passé, le futur, et le possible.

Imaginer, c’est bien plus que déformer le monde réel, c’est représenter un autre monde. La richesse de l’imagination n’est pas seulement empruntée à la perception. Elle outrepasse toujours le perçu. L’imagination a le pouvoir parfois de prospecter ce qui n’est pas encore et de le figurer. La littérature nous le montre avec profondeur. Bien des œuvres littéraires ont été prémonitoires. L’œuvre de Jules Verne est stupéfiante dans sa capacité d’anticipation par l’imagination.
Ainsi, l’imaginaire n’est assurément pas le réel, mais ce n’est pas pour autant seulement un domaine d’évasion. Dans l’imaginaire se projette une profondeur que l’intellect ne parvient pas à conceptualiser entièrement. La puissance de l’imagination permet souvent d’approcher de manière riche et vivante le Réel.


* Sources :

http://sergecar.perso.neuf.fr/cours/imagin1.htm#A

La pratique de la philosophie, E. Clément, C. Demonque, L. Hansen-Love, P. Kahn, Édition Hatier.

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