L’écriture du mémoire

Pierre Bourdieu, sociologue, 1930-2002

Dans son cours de sociologie générale (1983-1986), Pierre Bourdieu revient longuement sur la notion de violence symbolique qu’il utilise à propos de la fabrication littéraire. Je ne peux résister à écrire cette citation qui caractérise bien Pierre Bourdieu et sa façon de penser.

« Le sociologue qui prétend comprendre le monde dans lequel il est compris n’a quelque chance de le comprendre scientifiquement qu’à condition de comprendre à partir d’où il comprend et de prendre en compte dans sa compréhension le fait qu’elle est produite quelque part, comme les autres, avec cette différence que la compréhension du point de vue à partir duquel se produit la compréhension scientifique a des effets scientifiques » (p. 52)

Cela place le chercheur dans la théorie des champs et les rapports de domination que les champs entretiennent entre eux, celle-ci maintenue par une certaine violence symbolique. Pour celle-ci, rappelons-le, « la violence symbolique est une violence qui s’exerce sans en avoir l’air » (p. 40).

La production du mémoire de Master dépend du champ dans lequel elle s’inscrit. Le rapport de domination s’effectue d’une part entre l’évaluateur et l’évalué, entre l’évalué et le champ des évalués, et entre l’évaluateur et le champ des évaluateurs.

Pourquoi je veux parler de violence symbolique au sujet du mémoire de Master ? À propos du classement ou de l’appréciation par exemple. Pierre Bourdieu nous dit qu’il « n’y a pas de mot classificatoire qui n’implique pas un jugement de valeur ». Le rapport d’autorité qui fait autorité dépend donc de l’autorité autorisée et légitime qui elle-même dépend du degré de légitimité qu’on lui autorise (c’est de moi). Le « on » étant dans le champ de l’école le premier cercle faisant autorité, c’est-à-dire possédant le capital symbolique le plus proche du champ (réputation, renommée, célébrité). Ce cercle définit les règles qui font autorité.

Les forces qui poussent l’étudiant à rédiger son mémoire ont parfois des poussées contradictoires et opposées. « Faire de la sociologie ne serait pas si difficile si l’intention de comprendre n’était pas si difficile ; l’objet est pour une part quelque chose qu’on n’a pas envie de comprendre » (p.110). C’est-à-dire que l’étudiant est conduit par des forces invisibles à ne pas terminer son mémoire, non pas parce que le temps lui manque, mais parce qu’il a déjà compris ce qu’il n’accepte pas de comprendre. Cela vient s’interférer entre la règle et les enjeux (l’intérêt), mais « dès le moment où une règle existe, il existe un intérêt à être en règle » (p. 121). S’il n’y avait pas d’évaluation, beaucoup n’écriraient pas leur mémoire, car ils se rendent compte de la difficulté qui les place à un endroit inconfortable dans l’espace social.

Les sciences sociales font partie des régions dominées dans le champ des écoles d’architecture. « Pour affirmer son appartenance au champ, il faut affirmer la reconnaissance des gens reconnus dans la région dominante du champ au sein duquel on occupe une position culturellement dominée » (p. 138). Cela dit, à une époque où l’architecture se trouve désemparée face à la situation du monde de demain, des forces s’exercent pour maintenir cette sorte de suprématie dans le champ. « Plus les structures objectives d’un espace sont floues, plus le pouvoir symbolique pourra s’exercer » (p. 138).

Voilà une des conditions de production du mémoire. L’étudiant en est-il vraiment conscient ?

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