Quoi dire du Mur ?

Mur de Berlin, East Side Gallery, photo NJ

Quoi dire du Mur qui n’a pas encore été dit ? Pourtant, il faut bien en dire quelque chose. D’une part parce que le Mur est l’élément qui a déterminé les grands axes de ce séminaire et qu’il fêtera ses trente ans l’année prochaine. Ensuite, parce qu’il y a encore des choses à dire. Aux lendemains de la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, des artistes ont demandé à ce que soit conservée une portion du mur et qu’elle serve à l’expression d’artistes internationaux. D’un côté, nous avons l’expression d’artistes, sur des thèmes souvent proches du rapport est-ouest durant la période 1961-1989 : une frise dresse le bilan des morts, où chaque année est marquée par des roses correspondant au nombre de morts durant leur fuite. Les messages ne sont pas toujours limpides. Une des images actuellement les plus connues et les plus médiatisées est celle du baiser de Brejnef et de Honecker en 1979, réalisé par Dmitri Vrubel d’après une photographie du reporter Régis Bossu. On la retrouve sur des t-shirt (15 euros), des cartes postales (1 euro), des mugs, etc. L’œuvre a été restaurée en 2009 à l’occasion des vingt ans de la chute du mur et a été réalisée en 1989. Une autre image très populaire est celle de la Traban (Trabi) sur fond bleu. Elle est déclinée en toute sorte de produits dérivés. Ce qui est surprenant c’est que dans une version antérieure, la trabi est associée au baiser. L’œuvre originale de Dmitri Vrubel fut détruite dans les années 2000. Nous la revoyons aujourd’hui dépouillée du fameux baiser et signée de Birgit Kinder, une autre artiste de la galerie.

La Traban à l’honneur, East Side Gallery, photo NJ

Sur un ton un peu sarcastique, on pourrait dire que les œuvres les moins populaires sont remplacées par d’autres. Cette galerie en plein air évoque la période du mur tout en faisant recette. Elle permet à des artistes de s’exprimer au monde entier, mais de quelle manière ? Qui choisit qui, comment et pourquoi ?

Mur de Berlin, East Side Gallery, photo NJ

A bien regarder les images des archives des années 1980 – ou la longue promenade de Wim Wenders dans Les ailes du désir (1988) – il n’y a pas de rapport immédiat entre les fresques d’alors et celles d’aujourd’hui. Les plus célèbres ont été restaurées, mais beaucoup ont disparu. Les 43 km de mur entre Berlin Est et Berlin Ouest ont été enlevés, hormis les 1,2 km de cette partie, le long de la Spree. Seule une trace persiste au sol à certains endroits. Une ligne d’une trentaine de centimètres de largeur marque le tracé du « Mur » et s’interrompt lorsqu’elle bute sur un immeuble. Aujourd’hui, le voluptuaria murus persiste dans les imaginaires aux carrefours de la ville. Que viennent voir les touristes ? En fait, « rien ». Ils viennent se faire photographier devant le mur, ou ce qu’il en reste. Témoignages touristiques, les photographies attesteront de leurs passages : c’est avant tout eux-mêmes qu’ils veulent voir sur les photos.

Mur de Berlin, East Side Gallery, photo NJ

Le mur est aussi prétexte à événements plus ou moins spontanés. Quelques musiciens solitaires, armés d’un amplificateur portatif, entonnent un tour de chant là, juste devant le mur. Ils ont choisi l’emplacement et font dos au mur. Ils espèrent récolter quelques pièces ou vendre leur CD (5 euros).  Le mur drenne un public potentiel ou un touriste amusé et peut-être généreux.

Mur de Berlin, East Side Gallery, photo NJ

Des artistes (ou une entreprise) nettoient les graffitis sur une portion du mur, enlevant du même coup la fresque. Vont-il peindre autre chose ? Les images se chevauchent, se superposent et perpétuent une idée du mur utilisé comme support médiatique. Mais pour quoi dire ? Fallait-il conserver les premières fresques, celles de l’origine, du nouveau départ ? Le renouvellement peut être vu comme une continuité dans cette ville qui change et se transforme. En face du mur, de nouveaux bâtiments sont annoncés. Certains sont déjà terminés. Les grues et les baraquements de chantier témoignent du changement et de l’ère nouvelle.

Il ne s’agit pas d’une véritable « enquête de terrain », mais de repérage de terrains possibles. Ici, on a clairement plusieurs options :

– étude comparative du mur de 1961 à nos jours (évolution des fresques, graffs et tags, des messages, les couleurs et les matières) ;

– l’économie formelle autour du mur (question foncière, de propriété, qui gagne combien, etc.) ;

– l’économie informelle autour du mur (les petits métiers, la récupération du mur) ;

– les représentations des touristes (répartition par pays, quelle image, quel sens) ;

– les pratiques associées au mur (fétichisme, dégradations, photos souvenir, diurne/nocturne, etc.) ;

– le mur comme pèlerinage (recueillement, photographie, vidéographie, témoignage, lieu de mémoire, commémoration) ;

– etc.

« Le Mauerkunst était une violation de frontière avec un message sans frontière, souvent subversif et souvent d’une ironie ludique. Cette frontière ne devait pas être et portant on ne pouvait l’éviter : « l’imagination ne connaît pas de frontières » et « Let my paint die with the wall ’84 » étaient les paroles intéressantes ripolinées sur le Mur. » (p. 76)

Heinz J. Kuzdas, Berliner Mauer Kunst, Mit Esta Side Gallery, Berlin: Espresso, 2015

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