La ville rêvée

La Tentation de Saint Antoine. RF3936. Huys Pieter (vers 1520-vers 1577). Huile sur toile, 70 x 103 cm. Localisation : Paris, musée du Louvre. (C) RMN / Gérard Blot

 

La ville rêvée, non pas celle dont on rêve, mais celle que l’on voit en rêve. Voilà un projet passionnant que l’on pourrait constituer à partir de la création d’une onirothèque et de récits parallèles. Cette bibliothèque qui rassemble les rêves des gens au sujet de la ville pourrait nous permettre de mesurer l’écart entre « la ville rêvée » celle que chacun de nous souhaiterait ou imaginerait, et celle qui apparaît dans nos rêves. En soit, l’écart mesuré pourrait être très intéressant.

Pour collecter les rêves, il faut un certain entrainement, car les rêves sont fugaces et s’évaporent le matin à notre réveil. Des techniques existent pour collecter ce genre de matériaux. L’une d’elles consiste à consigner dès le réveil les derniers éléments du dernier rêve sur un carnet, et d’essayer de se remémorer le rêve dans son intégralité. Petit à petit et avec patience, il est ainsi possible de constituer une onirothèque personnelle. Chaque rêveur doit être identifié sociologiquement, à travers une « biographie sociologique », comme le soumet Bernard Lahire. Je n’entre pas dans le détail ici.

Dans les techniques de l’entretien, cette méthode consiste à relancer la personne en essayant de s’approcher de détails. Il ne s’agit d’interpréter les rêves, mais de guider le rêveur sur les détails. Car nous avons besoin de détails pour cerner avec la meilleure acuité possible la ville dont nous rêvons. Une des grosses difficultés du rêve c’est qu’il ne peut être appréhendé qu’à travers le récit, et donc à travers une forme plus ou moins romancée, censurée, modifiée du rêve.

Salvador Dali, Banlieue de la ville paranoïaque-critique, 1936, DR

 

Ensuite, nous pourrons rechercher les origines des matériaux de nos rêves. Où puisons-nous nos sources ? Dans les films, dans les livres, dans notre créativité ? Et quelles sont les différences d’avec la réalité ? Les villes rêvées sont-elles simples et banales ou bien extra-ordinaires et délirantes ? Le plus souvent, dans un rêve, on ne perçoit pas la ville dans son entièreté, mais à un endroit : cela se passe dans un magasin, dans la rue, sur une place, etc. Pouvez-vous décrire cette place ? Quels sont les éléments caractéristiques ? Quels en sont les liens avec la réalité vécue ?

Il existe de nombreux témoignages d’auteurs racontant leurs rêves, ou de peintres ayant pris le rêve comme médium, comme le montre Nicolas Heckel, à qui j’ai emprunté l’image de Jérôme Bosch. Mais le plus actuel et important travail revient au sociologue Bernard Lahire qui vient de publier le premier tome d’une enquête sur le rêve.

Près de 500 pages pour élaborer un programme de recherche pour une sociologie du rêve, voilà de quoi bien terminer l’été. Page 97, je note : « un rêve ne peut donc être correctement interprété si le récit de rêve n’est pas articulé aux dispositions incorporées du rêveur dont une partie a pu commencer à être formée dès la petite enfance, à l’état de sa problématique existentielle dans la période où il rêve […], aux éléments contextuels déclencheurs du rêve dans le passé immédiat […] et au cadre du sommeil dans lequel prennent forme les images animées du rêve ».

Pour nous aider à collecter et à décrypter ces rêves, voici plusieurs ouvrages qu’il serait important de parcourir, avant ou pendant la lecture du travail de Bernard Lahire qui apporte un regard critique à l’histoire de cet objet :

=> Freud Sigmund, L’interprétation des rêves, (1899), Paris : Points, 2013

=> Jouvet Michel et Gessain Monique, Le grenier des rêves : essai d’onirologie diachronique, Paris : Odile Jacob, 1997

=> Jung Carl Gustav, Sur l’interprétation des rêves, Paris : Livre de Poche, 2000

=> Lahire Bernard, L’interprétation sociologique des rêves, Paris : La Découverte, 2018

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