Pourquoi regarder les animaux ? Un ethnologue à PlanetOcean ;-)

Public devant l’aquarium aux requins, Planet Océan, Montpellier, photo NJ

Ce titre renvoie directement à l’ouvrage que John Berger publia en 2011, qui est en réalité un recueil de textes rédigés entre 1974 et 2009. Ce penseur (1926-2017) attirait l’attention sur le fait que ce que nous regardons en allant au zoo, c’est nous-même. Il ne s’était pas trompé si l’on en juge par la teneur de l’image prise à l’aquarium de Montpellier cette semaine.

J’ai vu une femme en vidéo-conversation avec une amie qui montrait le vaste écran de verre nous séparant du monde aquatique. Elle faisait une visite à distance. Au même endroit, des dizaine de personnes saisissant leur téléphone cellulaire à la recherche d’une prise de vue, faisant de grands gestes, ne se souciant plus des autres visiteurs pourvu que leur cliché soit « réussi ». J’ai vu d’autres personnes la main serrée contre la poignée d’une perche attentives aux mouvements des poissons colorés, mais plus au reste. J’ai vu d’autres personnes, souvent des femmes, se photographiant elles-mêmes à l’aide de la fonction ad hoc : le selfi. On prend les enfants devant les vitres, avec pour arrière plan un poisson. Peu importe, les noms ne sont ni lus ni mémorisés. On reste dans l’à peu près. Certains s’essaient à la devinette, mais se trompent souvent, même devant les requins. J’ai vu énormément de gens se photographier et photographier à l’aide de leur téléphone. Ces actes répondent-ils au besoin insatiable de saisir, ou de cumuler ces micro-événements de leur journée ?  Pour se souvenir une fois rentré chez eux, ou pour témoigner de ce bon moment passer à ne pas voir, mais à filmer, flasher ou shooter. Enregistrer toute sa vie, voilà le vrai sujet. Malgré tout, les gens restent seuls et ne communiquent pas entre eux (sauf à l’intérieur de leur famille).

Dans ce texte écrit en 1977, John Berger aborde la question des limites entre l’homme et l’animal. Il écrit que le zoo est apparu au moment où l’animal en peluche (l’imitation) faisait son apparition. C’est aussi à cette période que les espèces commencèrent à disparaître. « Les zoo publics sanctionnaient le pouvoir colonial contemporain. La capture d’animaux figurait symboliquement la conquête de terres lointaines et exotiques (p. 44-45) ». Cependant les zoo ont aujourd’hui repensé leur rapport à leur histoire et certaines espèces ne vivent quasiment plus à l’état naturel. Le zoo reste le seul espoir de voir « vivant » ces animaux.

« Les animaux s’avèrent rarement à la hauteur des réminiscences adultes, tandis qu’aux enfants ils apparaissent la plupart du temps étonnamment mous et ennuyeux (p. 48) ». A l’intérieur des aquariums, le regard est beaucoup plus complexe à analyser car l’œil du poisson ne cligne pas. A-t-on l’impression de croiser quelque chose en croisant l’œil d’un requin ? Ou bien est-il comme le lion au zoo inerte à notre présence car dépecé de son instinct animal qui le consacrait jadis roi de la jungle ?

« Le zoo est un révélateur de la relation entre l’homme et les animaux » nous dit John Berger. Mais c’est aussi un révélateur des comportements de l’espèce humaine. Dans la seconde partie des bâtiments, Planet Océan abrite un espace dédié à l’espace. J’ai été confronté à une scène qui en dit long sur les comportements humains et sur ce que viennent chercher les gens. Devant un grand écran des gens se trémoussaient en regardant leur image restituée à partir d’une caméra infra-rouge. On ne devinait que le contour des corps, les parties non protégées par des vêtements prenaient une couleur rouge alors que les parties protégées étaient vertes, en passant par le jaune. Chacun bougeait ses bras et ses jambes en essayant de se repérer sur l’écran. Ensuite, armé de son téléphone cellulaire, chacun prenait des photos de ces scènes qui visiblement comblaient d’avantage les « visiteurs » que les précédentes scènes devant les aquariums.

« Le zoo ne peut que décevoir » nous dit encore John Berger, car « le visiteur de zoo non accompagné se retrouve seul » (p. 54). Comme on le perçoit c’est avant tout soi-même le centre d’intérêt principal, et finalement se voir, se filmer ou se photographier sont les raisons qui motivent cette théâtralisation.

 

=> John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?, Editions Héros-Limites, 2011

 

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