Le terrain et les analogies

Saint Jean de Luz, © NJ 2018

L’enquête de terrain est un moment particulier dans le travail de recherche en sciences sociales. C’est un espace mental comme le définit Patrick Gaboriau, qui se construit à mesure que progresse l’enquête. « Il suppose un décalage du regard qui permet d’étudier ceux qui agissent sans percevoir nécessairement les principes qui organisent leurs agissements » (Gaboriau, 2018, p. 23). Parce que ce qui différencie le chercheur de l’individu lambda c’est cette capacité à objectiver les faits sociaux et à en donner une explication. Cela n’est pas donné d’emblée, et un long travail de mise à distance est nécessaire. « Le rapport au terrain obligera à penser autrement et instaurera peu à peu une manière de percevoir et un mode de pensée » (Gaboriau, 2018, p. 25).

Cela dit, nous pensons souvent par analogie. De la prime enfance à l’âge adulte, notre manière de voir et de comprendre le monde s’organise à travers nos expériences passées et le fonds constitué des relations vécues. « C’est donc parce que les êtres humains sont en mesure d’intérioriser leurs expériences passées sous la forme de schèmes ou de dispositions, et qu’ils sont soumis par ailleurs en permanence à de nouvelles situations, parce qu’ils sont des produits de l’histoire et qu’ils ont une histoire qui se poursuit, que l’analogie est un phénomène central de leur fonctionnement psychique (Lahire, 2018, p. 298). L’analogie est au centre de notre compréhension du monde. « Avec le cerveau et le système nerveux qui les caractérisent, les être humains sont donc naturellement contraints à opérer des rapprochements analogiques entre les expériences passées et les nouvelles situations qu’ils sont amenés à affronter (Lahire, 2018, p. 298).

Livreur de repas et coureur professionnel, Toulouse, © NJ 2018

Voilà à peu près où j’en étais ce matin en lisant ce fameux livre de Bernard Lahire sur L’interprétation sociologique des rêve (La Découverte, 2018). En faisant une analogie avec le séminaire et les étudiants plongés dans leur enquête de terrain, je me suis demandé ce qu’il se passe en situation de terrain lorsque le chercheur est confronté à une expérience originale qu’il ne peut concevoir à partir d’analogies ? Comment faire pour trouver le moyen d’analyser une situation nouvelle sans plonger dans l’angoisse, si l’on n’a pas de repères ?

Laboratoire de Recherche en Architecture, © NJ 2018

La réponse qui s’impose est de se plonger dans les lectures afin de trouver par analogie, une situation comparable à celle vécue. D’où l’intérêt de lire et de relire sans cesse. C’est un peu le principe du soap opera des années 1950 dans lesquels ils étaient toujours questions d’exposer des situations que la ménagère pouvait vivre à son tour.

Ma lecture se poursuivant, je tombe sur cette autre réflexion digne d’enrichir le contexte de la méthode.

« Ce sont donc des schèmes relationnels qui sont en jeu, dans la cure ou dans l’entretien sociologique comme dans n’importe quelle autre relation interpersonnelle » (Lahire, 2018, p. 309). Ce que Bernard Lahire appelle des analogies par transfert et qui montre l’importance de la relation qui se noue lors des entretiens, des observations participantes et autres relations interactives en générale. Cet élément doit être pris en compte et discuté lors de la restitution.

=> Patrick Gaboriau, Le terrain anthropologique, Paris, L’Harmattan, 2018

=> Bernard Lahire, L’interprétation sociologique des rêves, Paris, La Découverte, 2018

buy windows 11 pro test ediyorum