Voir la ville sous l’effort

La ville peut être appréhendée de différentes manières, nous l’avons déjà vu. Au regard des nouvelles modalités du rapport au travail, il est intéressant de  voir comment les coursiers à vélo appréhendent la ville. Deux articles vont illustrer mes propos et nous aider à cerner cette question. Je découvre cette Nouvelle revue du travail avec la livraison de ce numéro 14 qui n’est pas spécifiquement lié à la ville, mais qui traite d’activités dans la ville. Laissons de côté les murs des immeubles, des bâtiments publics et autres activités pour voir ce qui se passe à l’échelle humaine.

Les coursiers à vélo forment une communauté très particulière à New-York, tout comme les nettoyeurs de vitre des grattes-ciels, mais ici à Toulouse, ils sont relativement récents. Ceci est lié, en partie, à l’arrivée des formes d’ubérisation du travail que connaissent bien les étudiants, puisque la plupart d’entre eux doivent passer par de l’autoentrepreneuriat pour s’insérer professionnellement. Du reste, et comme le montrent les articles suivants, ces nouvelles formes de rapport au travail introduisent, par ailleurs, des nouvelles formes de rapport à la ville, où l’accélération et la prise de risque vont de pair.

Fabien Lemozy analyse dans cette enquête participante les ressorts de l’activité de l’entreprise Deliveroo et montre comment les « partenaires » sont maintenus dans une forme de soumission vis-à-vis de la plate forme. Toujours pressés par les courses, pressés par l’attente, sous le regard déshumanisé de l’algorithme qui calcule les meilleurs rendements, les meilleurs « partenaires » et les plus dociles. Comment voir la ville lorsque le rapport qu’entretiennent les livreurs sont optimisés grâce à des liens économiques ? La ville raccourci, la ville à contre-sens, la ville de tous les risques…

 

Arthur Jan, quant à lui, dresse le profil des trois types de livreurs rencontrés durant son enquête. Il met en avant les stratégies destinées à valoriser cette activité qui reste, pour la plupart d’entre eux, une activité temporaire et renvoie à une précarisation du travail pour ceux qui n’ont que cette possibilité comme ressources.

L’un comme l’autre ne positionnent pas leur axe d’analyse au regard des trajets effectués, en termes d’intentionnalité par exemple, même si nous comprenons que la logique des trajets vaut pour une recherche de rationalité en finalité, puisque seul le temps compte. Les livreurs sont donc conduits à aller toujours plus vite, au péril de leur vie. D’autres études à venir combleront ces axes de recherche. Pour l’heure, ces lectures sont déjà assez éclairantes.

Et puis cela montre que la ville se dessine suivant deux grands types d’individus : ceux qui servent et ceux qui se font servir, dans des rôles qui sont parfois presque interchangeables (le cas des étudiants qui se font livrés par exemple). Dans un monde où la sueur est bannie, où l’effort est proscrit, quelle métaphore s’offre à nous lorsque nous voyons que chaque soir, lorsque les travailleurs sont rentrés chez eux, que d’autres travailleurs arpentent les rues et gagnent leur vie à la sueur de leur front.

 

=> Fabien Lemozy, « La tête dans le guidon », La nouvelle revue du travail [En ligne], 14 | 2019, mis en ligne le 07 mai 2019, consulté le 12 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/nrt/4673 ; DOI : 10.4000/nrt.4673

=> Arthur Jan, « Livrer à vélo… en attendant mieux », La nouvelle revue du travail [En ligne], 13 | 2018, mis en ligne le 29 octobre 2018, consulté le 12 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/nrt/3803 ; DOI : 10.4000/nrt.3803

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