L’économie du pigeonnier a-t-elle encore un sens aujourd’hui ?

Carte d’implantation des pigeonniers (extrait), d’après Raymond Laurans

par Thomas Audar

C’est à partir de cette problématique qui a évoluée de nombreuses fois que j’ai décidé de mener mes recherches sur les pigeonniers et notamment sur les pigeonniers du Tarn-et-Garonne qui semblent représentatifs pour évoquer la question de l’économie dans le département.

Réparties en grand nombre dans le sud, ces constructions font partie intégrante du paysage et forment le petit patrimoine rural que l’on connait bien. Au cours de mes recherches, il apparait que la plupart d’entre elles ont connu plusieurs phases de leur vie avant d’être aujourd’hui réaménagées et tirées d’affaire de l’oubli et du délaissement. Je me suis donc questionné sur ces différentes phases historiques, périodes pendant lesquelles le pigeonnier a joué un rôle à la fois utilitaire et symbolique.

Parcourir l’histoire m’a fait découvrir les richesses de ce petit patrimoine ne serait-ce que dans ses typologies. En effet, le Tarn-et-Garonne concentre non seulement un nombre important de pigeonniers, mais leurs particularités font que chacun d’eux possède des différences dans leurs formes. Certains sont rattachés à un corps d’habitations, la ferme, tandis que d’autres y sont vraiment éloignés. Il est d’ailleurs aujourd’hui parfois difficile de savoir à quelle ferme a appartenu tel ou tel pigeonnier au regard de sa distance vis-à-vis d’elle fortement variable. De plus, certaines fermes ont disparu et seul le pigeonnier présente encore un signe de vie.

Revue La Vie à la Campagne, 1905

 

Si des pigeonniers se retrouvent perdus en plein milieu des champs, c’est pour répondre à la volonté de ses hôtes de rester dans des endroits paisibles et Alfred Gritton préconisait de les « placer toujours sur un terrain sec et salubre, car, si les pigeons sont peu sensibles aux modifications de température, ils redoutent beaucoup l’humidité ». (Alfred Gritton, Revue La Vie à la Campagne, 1909-1926)

Exemple de randières, © Thomas Audar 2020

S’il apparait que le pigeonnier est synonyme de diversité, tous possèdent des attributs communs tels que les trous d’envols ou les randières qui respectivement limitent l’intrusion d’autres oiseaux plus gros dans le pigeonnier et qui évitent l’ascension de prédateurs terrestres dans la caisse (volière plus communément). Intéressons-nous toutefois au Pied-de-Mulet, ce pigeonnier méridional qui tire son nom de la forme de sa toiture à 2 pans inclinés de la même manière et dont sa base rectangulaire mesure souvent 4×5 m ou 6×5 m de côtés. Construit entre 1820 et 1850, ce pigeonnier a rapidement connu ses années de gloire pour ses qualités intrinsèques : économique à la construction, capacité importante de boulins (cavités à l’intérieur du pigeonnier pour nicher les pigeons), forme banale, mais efficace, car mono-orientée à l’encontre des vents dominants, rez-de-chaussée de 20 ou 30m2 pouvant servir de lieu de stockage … Il apparaît ainsi comme une construction vernaculaire tout à fait pragmatique, nécessaire à la vie paysanne. En effet, si ce petit patrimoine s’est aussi bien répandu sur nos terres c’est pour une raison simple. Droits jusqu’alors réservés aux seigneurs, ce n’est qu’à partir de 1789 avec la fin des privilèges que tout à chacun pouvait bâtir son propre pigeonnier.

Le premier avantage de ce dernier est de fournir de l’engrais. En effet, la colombine, matière fécale produite par les pigeons « donne un engrais de grande chaleur, préférable à tous les autres fumiers pour améliorer les sols argileux froids » comme il était inscrit dans Corps complet d’agriculture de M.Hale. Les paysans qui s’en servaient pour leurs cultures y voyaient un intérêt économique particulièrement intéressant. C’était un moyen de fournir de l’engrais sans pour autant se préoccuper de la vie du pigeon que quiconque n’avait besoin de nourrir. Cet animal se nourrissait de céréales et notamment de blé qu’il trouvait dans les champs alentour. D’ailleurs, si l’on se penche sur la carte de la France agricole de la période antérieure au XIXème siècle, on constate une adéquation entre la répartition des terres à blé, et la concentration en pigeonniers. J’ai donc voulu voir par le calcul ce que représentait la quantité de colombine amassée pour l’exemple d’un pigeonnier de 320 boulins situé à Valence d’Agen. Au résultat, le pigeonnier permet d’amasser 2400kg/ an de Colombien soit, 48 hectolitres. Or, le site internet Cours d’agriculture, des engrais végétaux explique que 25 hectolitres de fientes par hectare sont nécessaires pour les cultures de lin, de colza.

Pigeonnier, © Thomas Audar 2020

Un pigeonnier comportant 320 boulins pourrait réaliser tous les ans la production d’engrais pour 2 hectares de champs qui lui permettrait de multiplier les rendements des cultures en les faisant grossir plus vite. Cependant, ce que l’on doit comprendre c’est s’il était question d’une production personnelle ou d’une production qui permettait de faire tourner l’économie du pays en la revendant. La réponse de trouve dans LA CRISE AGRICOLE A LA FIN DU XIXe SIÈCLE, EN FRANCE, Essai d’interprétation économique et sociale de Jean Lhomme qui disait qu’en «1892, il existe encore en France 3,5 millions d’exploitations s’étendant sur moins d’un hectare ! Et l’on songera qu’à la même date, les établissements qualifiés officiellement de « petits » et couvrant des surfaces de 0 à 10 hectares, forment 85 % du total des établissements et 26 % de la superficie cultivée. » Ces données nous montrent alors que la quantité de colombine par an était suffisante pour les agriculteurs qui, pour la plupart, ne possèdaient pas plus d’un hectare de terre.


Le pigeonnier demeurait également essentiel pour l’économie, car il avait une vocation de garde- manger. Apprécié pour ses qualités gustatives, le pigeon était un met de choix, à l’encontre de la viande rouge qu’il était difficile de trouver pour manger.

Cette première phase d’utilité du pigeonnier a vite été remplacée par une seconde phase qui ne lui était pas réservée. Effectivement, avec l’arrivée des produits azotés et la découverte des phosphatières en 1865 au hameau de Cos près de Caylus par Jean-AndréPoumarède, médecin et chimiste à Caussade, l’agriculture se tourne vers cet engrais miracle qui s’épuise toutefois dans la région dès 1887. Ajouté à cela, le département diversifie ses cultures et ses terres deviennent de plus en plus maraichères. Les pigeons sont alors contraints de quitter les pigeonniers, car la nourriture qu’ils cherchent se trouve de plus en plus éloignée. Ceci n’est pas la seule raison, on peut la rapprocher d’une seconde raison que l’on repère dans l’Essai d’interprétation économique et sociale qui évoque une crise agricole. Celle-ci n’impacte pas directement l’économie tirée des pigeonniers, au contraire; elle invite à une réflexion sur les moyens de transport qui permettent d’importer des marchandises lointaines et à bas prix au lieu de favoriser l’économie des cultures de proximité. Cela provoque directement un impact sur les productions céréalières et notamment le blé qui devient un produit d’import.

C’est justement à cette période que les activités diffèrent dans les pigeonniers. Ce que j’appellerai la seconde phase est en réalité une seconde utilisation du pigeonnier pour un usage lié à l’économie rurale. En effet, je reprends pour exemple le pigeonnier de Valence d’Agen qui a connu cette seconde phase pendant laquelle le rez-de-chaussée de ce dernier à été utilisé comme lieu de stockage de vin dans des cuves. La particularité de son architecture érigée en a fait un endroit où les paysans pouvaient verser le contenu de leurs récoltes de raisin du haut du premier étage, c’est-a?-dire au-dessus des cuves. Mes recherches m’ont d’ailleurs fait prendre conscience que c’était aussi un endroit pour placer du bétail, des lapins entre autres dont les ventes étaient parfois inscrites sur les murs.

Plus généralement, la localisation en pleine nature de ces pigeonniers était propice pour stocker du matériel agricole. Cette troisième et dernière phase et d’ailleurs encore visible dans le département et notamment vers Réalville (82). Les propriétaires ont investi les lieux de matériel, de bois, dont ils se servent l’été pour allumer des BBQ ou l’hiver pour se réchauffer au coin de la cheminée. Bien que distant d’un modèle économique visant à gagner de l’argent avec son bien hérité, d’autres pratiques plus contemporaines ont vu le jour comme la transformation du pigeonnier en gîte ou meublé de caractère. Ne voyons-nous pas en ce sens, un moyen d’attirer du monde dans les campagnes le temps d’une saison ? Peut-on toujours parler d’une économie de subsistance lorsque le pigeonnier est loué tel un habitat de vacances ? Mes entretiens avec les personnes possédant des pigeonniers destinés à la location ont été révélateurs d’une pratique qui se développe encore, mais qui n’est pas viable économiquement. En effet, les travaux de restaurations et de maçonneries représentent une enveloppe colossale pour un simple particulier. Plusieurs dizaines de milliers d’euros sont nécessaires pour restaurer l’extérieur du bâtiment…

Il est alors compréhensible que beaucoup de propriétaires préfèrent délaisser leur bien plutôt que d’engager des frais pour le voir sous un nouveau jour. Pourtant, des aides de L’État sont mises en place pour rénover le petit patrimoine rural comme en témoigne la communauté des communes et le département qui versent chacun d’eux 3.708 €. La région quant- à elle alloue une enveloppe de 10% du prix des travaux extérieurs comprenant la maçonnerie, les menuiseries, l’électricité et les peintures extérieures. Cette somme est encore plus importante lorsqu’elle est délivrée par l’organisme des gîtes de France dès lors que le patrimoine reçoit un label. D’autres aides peuvent aussi être additionnées pour garantir une préservation du patrimoine.

Néanmoins, on peut supposer que l’enjeu majeur n’est pas forcément la préservation de la culture architecturale vernaculaire, mais plutôt l’économie tirée du tourisme grâce au patrimoine. Si autant de fonds sont attribués pour la sauvegarde, c’est parce que la France est une destination touristique majeure. Les étrangers y trouvent une certaine authenticité; ils y trouvent tout le confort de l’habitat classique au sein d’un cadre de verdure où le paysage est souvent magnifique. En effet, en dominant les autres bâtiments par leurs hauteurs, les pigeonniers savent vers quoi regarder pour attirer de plus en plus de monde à la recherche de calme. L’économie du pigeonnier est donc relativement à modérer dès lors qu’elle se retourne vers le tourisme qui comme on le sait n’est effectif que pendant un semestre. Les bénéfices tirés de la transformation d’un pigeonnier sont donc très en deçà des coûts de réhabilitations. C’est pourquoi il faudrait des années pour se dégager de véritables revenus de cette pratique comme me l’expliquait la propriétaire du pigeonnier de Valence d’Agen…

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