Chroniques d’un printemps perdu (1)

© Marine Pradon 2020

 

A Toulouse, Fer à Cheval, vendredi 20 mars 2020

par Marine Pradon

Aujourd’hui, je sens que la nature reprend ses droits. Le cosmos rétablit l’ordre des choses, il nous met en garde.

Enfermée depuis 4 jours maintenant, dans 17m2, je trouve un réconfort qui m’était jusqu’à présent inconnu. Bien que la solitude ne soit pas une habitude pour moi, je prends le temps de regarder par la fenêtre. La vue est dégagée, je vois au loin qu’il n’y a aucun nuage. Le chant des oiseaux, et le vent qui fait crépiter les feuilles sont les seuls bruits que j’entends, mère Nature qui se réveille ? Ou est-ce plutôt moi qui enfin écoute ce que jusqu’ici je n’entendais pas ? Tout est plus calme, tout est plus tranquille. J’ai pris le temps ces 4 derniers jours de lire un livre. Ce livre je l’ai traîné partout avec moi depuis deux ans, il m’accompagnait dans des voyages fous à l’autre bout du monde, au Pérou, en Bolivie, à Chicago.

Et pourtant je ne l’avais jamais ouvert. Vous savez pourquoi ? Parce que chaque minute était comptée, que le temps était toujours à autre chose. Le rythme de nos vies bouscule tout. Je me souviens alors d’un livre que j’ai lu il y a déjà bien 7 ans. La guérison du monde de Frédéric Lenoir. Bien que le discours soit alarmiste sur notre situation, nous disant que notre monde est malade, il nous conduit pourtant à voir qu’il y a des voies de guérison, une autre logique que celle quantitative et mercantile. Il plaide une redécouverte des grandes valeurs universelles : la vérité, la justice, le respect, la liberté, l’amour, la beauté. Il nous fait également part dans ce livre d’une réflexion, qui me semble doit entrer dans nos consciences, la conscience collective. A l’époque de nos grands-parents, les personnes se mariaient jeunes, la plupart d’entre elles ne connaissaient qu’une fois l’amour. Elles ne déménageaient que 1 ou 2 fois dans leur vie.

Aujourd’hui, nous nous marions, puis divorçons, peut-être plusieurs fois même. Quand je me rends compte qu’à 22 ans j’ai déjà déménagé 11 fois, je sens que quelque chose cloche. A l’heure où la terre s’est considérablement rétrécie, quand il ne nous faut pas plus de 6 heures pour rejoindre New York. Aujourd’hui nous retrouvons le temps, comme infini, que nous avons cru perdre et jamais retrouver. Ce temps on doit le saisir, et calmer le jeu. Cette pause imposée est une bénédiction, une respiration qui fait battre notre cœur plus grand. Hier soir j’ai vu une solidarité qui m’a émue. La nuit venait de tomber, j’ai alors passé la tête par la fenêtre. Toutes les lumières face à moi étaient allumées. C’est alors que j’ai aperçu des centaines de silhouettes au bord de leurs fenêtres et de leurs balcons. Dans un tumulte d’applaudissements qui faisait vibrer la ville entière, j’ai souri.

© Marine Pradon 2020

A Toulouse, Fer à Cheval, Lundi 23 mars 2020

Aujourd’hui je me réveille avec un mal de crâne colossal. Les allergies ont eu raison de moi. Évidemment en ces temps de confinement, apre?s e?tre passée au travers de l’épidémie du covid-19 (je crois), ce sont les allergies qui frappent à ma porte. Ce matin, j’ai pris des nouvelles de ma mère. Elle est si forte. Ma maman est infirmière. Tous les soirs elle part travailler à l’hôpital ; elle enfile sa tenue, son masque, ses gants et elle veille toute la nuit sur les patients de cardiologie. Récemment certains lits ont été réservés pour les patients souffrant de la pandémie qui ravage le monde en ce moment. Et vous savez, j’ai peur. J’ai peur toute seule dans mes 17m2 que ma mère soit infectée à 700 kilomètres de moi et que je ne puisse rien y faire. Hier je suis allée faire les courses et je suis indignée. Je n’avais pas mis le pied dehors depuis 6 jours car je n’en avais pas la nécessité. Mais les frigos étudiants ne sont pas extensibles. Alors hier, je suis partie, attestation dans la poche, acheter quelques légumes. On était dimanche, et j’ai croisé tout un tas de personnes faisant leur jogging, traversant le pont Saint-Michel à vélo, en voiture les fenêtres grandes ouvertes. Et là je suis restée quelques secondes dans le flou. C’était un dimanche comme un autre au final. Les gens continuaient leurs vies. Et je suis indignée. Quelles satisfactions tous ces gens retirent-ils de défier les paroles d’un politique, quelles que soient leurs aspirations ? Quelles satisfactions tirent-ils à braver les règles, tandis que tant d’autres s’efforcent d’endiguer cette pandémie et restent chez eux, confinés, comme prescrit ?

Les soignants nous mettent en garde tous les jours. Ils se tuent à la tâche et demandent sans cesse au gouvernement de renforcer les mesures. Et ma maman, elle est de ces gens-là. C’est ma maman, et je ne veux pas qu’elle fasse partie des victimes, ça non. Alors je reste chez moi, comme elle me le dit. Je lui écris tous les soirs avant qu’elle parte travailler. Je lui dis que je l’aime et de faire bien attention. Et du mieux que je peux de ma petite personne, je reste confinée pour ma maman et pour tous les autres, tous ceux qui sont là à faire en sorte que notre confinement ne soit pas un enfer. On ne manque de rien, en tout cas je ne manque de rien, et merci à tous ceux qui ont permis cela. Il n’y aura sûrement pas assez de ligne pour les citer tous. Mais aujourd’hui, j’ai envie de crier à celui qui se balade sans raison qu’il a tort et qu’il est égoïste. J’ai envie aussi de crier à ceux qui nous aident un grand merci. Et ces applaudissements, chaque soir, sont la preuve que la solidarité existe encore. C’est le cri de solidarité d’une ville que j’entends tous les soirs à 20h et qui me fait du bien.

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