Chroniques d’un printemps perdu (2)

Claude Monet, Le printemps, 1886 © Fitzwilliam Museum, UK

 

par Marine Pradon

A Toulouse, Fer à cheval, Mardi 24 mars 2020

C’est le printemps, et c’est le premier printemps que nous passons confiné à la maison, pour tous. J’ai fait de France 5 et Arte mes chaînes de prédilection ces derniers temps, et si vous entendiez le nombre de podcast que j’écoute la nuit quand je ne trouve pas le sommeil, vous seriez surpris. Au final, ne va-t-on pas en sortir plus riches de cette crise ? Je crois que oui, parce que même en étant seul.e.s nous nous ouvrons aux autres. En tout cas, c’est l’effet que cela me fait. Je prends des nouvelles de mes proches. Je regarde des reportages sur l’histoire du monde et c’est fascinant. Quand on voit tous ces glaciers fondre et qu’on sait que c’est de notre faute, ça me brise le cœur. Je vous jure, j’ai peur.

Le monde entier a pris une pause dans un rythme effréné de transactions, de communications, de déplacements. Mais c’est un mal pour un bien, ça c’est certain. Pourtant, à la fin de cette crise combien serons-nous à avoir réellement pris conscience de ce qu’il s’est passé les 50 dernières années ?

J’habite la terre depuis 22 ans et j’ai l’intime conviction qu’elle souffre de plus en plus. Mais depuis 8 jours, le soleil brille et les oiseaux chantent à ma fenêtre. Les poissons sont revenus à Venise et l’eau est claire. J’ai peur qu’après cette pause imposée, tout reprenne son court habituel : destruction des forêts, extinctions d’espèces partout sur le globe, pollution, extraction de pétrole encore et toujours, discours politique « écologiste » sans jamais en voir un à la tête d’un pays. Ce ne sont que des exemples, mais je crois qu’il est temps d’accepter cette pause et de la prendre comme une chance. Sans oublier tout ceux qui se battent pour endiguer la propagation de ce virus et pour éviter de tuer nos proches, ou d’autres. On devrait tous se sentir concernés.

 

Jackson Pollock, Convergence, 1952, © DR

 

A Toulouse, Fer à cheval, Mercredi 25 mars 2020

Les rumeurs courent, mais le soleil brille toujours à travers les velux. Tout est toujours aussi calme, même si nous sentons que les esprits s’échauffent. Pays en ébullition, chaos incontrôlable diront certains. Mais tout repose sur nous, soyons des gens civilisés. L’annonce d’un confinement minimum de 15 jours a été prononcé il y a déjà 10 jours. Il a pris effet il y a 9 jours. Mais ce n’est que le début. Si les politiques peinent à prendre les décisions adéquates pour un confinement plus long et plus restrictif c’est simplement qu’ils réagissent en fonction de la population. Nous l’avons bien vu, le français n’est pas très discipliné, ça c’est certain. Et bien que le français tente de cacher son incompréhension en défiant les lois, il a peur. Alors c’est sans doute pour cela qu’on ne nous a pas annoncé un confinement immédiat de 6 semaines, ce qui se dessine pourtant à l’horizon. Parce qu’on a vu des milliers de gens se ruer dans les grandes surfaces à la recherche de PQ, de pâtes, et j’en passe… Imaginez alors l’ampleur que cela aurait pris si le président avait annoncé un confinement de 6 semaines. Etait-ce la bonne solution ? Je n’en sais rien. Tout ce que je sais aujourd’hui c’est que beaucoup ne comprennent pas, et que 15 jours cela paraît dérisoire à côté de nos amis chinois qui commencent à peine à sortir d’un confinement qui a duré 2 mois. C’est certain, un confinement de 15 jours fait bien moins peur qu’un confinement de 45 jours. Mais peut-être aurions nous réalisé l’ampleur de ce qu’il se passe sur notre territoire, et dans le monde entier.

Hier, mon cœur s’est arrêté de battre l’espace d’un instant. Madrid, ma ville de cœur, celle dans laquelle j’ai vécu 9 mois, est devenue un des foyers épidémiques les plus graves. Une patinoire a même été transformée en morgue. Cela me glace les veines, j’ai mal au cœur et j’ai envie de vomir.

 

Roy Lichtenstein :  » M-Maybe  » – 1965 – Huile sur toile, © DR

 

A Toulouse, Fer à cheval, Dimanche 29 mars 2020

Nous voilà confiné jusqu’au 15 avril (pour le moment…). Comme la solitude est anxiogène. Elle me permet de comprendre à quel point l’Homme est un être sociable qui puise sa force dans l’amitié, et l’amour. Le contact des autres commence à me manquer. J’ai envie de serrer ma mère dans mes bras, de rire avec mon père, d’embrasser mes amis. Bientôt 15 jours passés, je ne suis sortie que deux fois. Cette isolation nous pousse à nous tourner vers le seul lien qu’il nous reste avec l’exte?rieur : les médias et les réseaux sociaux.

Et je ne sais pas si cela nous est bénéfique. Tous les jours les mêmes discours, les médias contribuent à accroître cette atmosphère anxiogène. On nous parle de la situation alarmante en Italie, en Espagne, en France et surtout aux Etats-unis. Ces derniers sont touchés de plein fouet par ce « qu’ils » appellent « la vague épidémique ». Dans ce système inégal d’accès aux soins, les plus démunis sont en danger. Mais bien qu’aux Etats-unis l’accès aux soins soit réservés aux privilégiés, il s’agit d’un pays développé. Qu’en est-il de la situation dans les pays moins développés ? Qu’en est-il de l’Inde, de tous les pays d’Afrique, de l’Amérique Latine ? Ces pays où les conditions d’hygiène sont bien moins évoluées que dans nos pays occidentaux.

La moitié de la population du monde est confinée et je crois qu’aujourd’hui nous avons tous très peur. Hier, j’ai pris conscience que nous vivons dans un monde rude. Une crise sans précédent s’abat sur la terre entière, une guerre contre un ennemi invisible, pour citer Monsieur Macron. Les impacts de cette crise sont encore inconnus et sont à craindre. Et il y a une chose qui me fait particulièrement peur. Une conséquence de cette crise qui touche le fondement même de notre humanité. Hier soir, j’ai allumé la télé après avoir dévoré un livre de Jacques Expert, La théorie des six (un chef-d’œuvre soit dit-en passant). C’était l’heure du journal télévisé. A la fin de celui-ci, ils ont pris l’habitude de répondre aux questions des internautes en direct avec des professionnels de santé. Un homme a alors posé cette question : « Ma femme devient agressive avec les enfants, et les enfants deviennent envahissants, que faire ? » C’est alors qu’une psychologue prit la parole pour lui re?pondre. Et je suis choquée des propos tenus. Elle nous dit que évidemment ce n’est pas facile d’être une maman et d’avoir une profession, mais que c?a l’est encore moins dans ces conditions. Pourquoi ? Parce que la mère devient et je cite « une maman, la maîtresse d’école qui fait faire les devoirs, la cuisinière, la femme de ménage, la baby-sitter ». Elle dit ensuite que pendant ces temps de confinement, il faut essayer de partager les tâches du quotidien le temps de cette crise. Comment, aujourd’hui pouvons nous laisser un professionnel de santé dire de telles absurdités ? (professionnel, qui plus est, et une femme dans ce cas…) Non, la femme n’a pas à avoir cette étiquette, et encore moins dans ces moments. La femme n’est pas l’unique qui doit accomplir toutes les tâches du quotidien.

Comment la chaîne télévisée la plus regardée de France accepte-t-elle des propos comme ceux- là ? Non, la femme n’a pas à être réduite à cela. Et pour accentuer ce que je viens de vous raconter, figurez-vous que dans la même journée, au nom de la lutte contre la pandémie, de nouveau coronavirus Covid-19, les états du Texas et de l’Ohio ont ordonné la suspension de toutes les opérations médicales non-urgentes avec, dans leur viseur, les interruptions volontaires de grossesses (IVG). Manipulation idéologique ? Oui, je crois qu’on peut dire ça. Simone de Beauvoir disait « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse, pour que les droits des femmes soient remis en question ».

Maman, j’ai peur.

buy windows 11 pro test ediyorum