Une rustine sur la ville

On ne peut faire l’économie de sa lecture

Disons-le tout de suite, l’ouvrage assez médiatisé, bon marché, est rédigé à deux voix par la présidente de l’Ordre national des architectes et un urbaniste, ressemble à un manifeste d’urbanisme. Tenter de vouloir réparer la ville, c’est apposer une rustine là où le bâti se dégrade, lorsqu’une friche est à combler, là où la « densification douce » permet d’ajouter du toujours plus là où il faudrait peut être un peu moins. Ce texte compte de bonnes propositions, mais il part d’un postulat erroné, de mon point de vue, d’où découlent forcément des solutions mal adaptées puisque ne remettant pas en cause le principal problème.

Les huit chapitres de ce recueil de 90 pages offrent un éventail de réflexion en cours, lesquels se terminent par des propositions (d’où le manifeste). En préambule, l’architecte et l’urbaniste se présentent et expliquent leur démarche centrée sur la « transition dont on parle beaucoup ». Ici, l’emploi du « on » très critiqué chez les étudiants est abondamment utilisé pour englober le discours (ou le noyer) dans un collectif qui ne dit pas son nom. « On ne réfléchit plus…, on devrait…, on parle beaucoup…, on pense…, on fabrique…, on a des responsabilités.., tout cela en deux paragraphes. Certes, nous vivons « un siècle incertain » et « les crises nous imposent de changer de modèle ». Mais selon moi, il n’est pas clairement identifié. 

Pour preuve, le premier chapitre tente d’identifier le problème qui est réduit à trois crises : celle du climat, celle des ressources et celle de la biodiversité. Nous pensons à juste titre, et pour avoir lu d’autres ouvrages, que ces trois crises sont le résultat d’une crise du capitalisme qui les englobe toutes les trois. Si l’on omet de préciser ce détail, alors nous pouvons essayer de régler chaque crise en adoptant une réponse technique qui ne sera apposée qu’une rustine à un problème plus général, plus vaste, et plus complexe. 

Évidemment nous sommes d’accord avec les auteurs lorsqu’ils pointent ces problèmes et lorsqu’ils écrivent que « nos modèles de ville participent aussi activement à la crise climatique ». Mais si l’on ne pointe pas l’origine de cette crise climatique, à savoir les effets délétères du capitalisme, comment diminuer la production de gaz à effet de serre ? L’imperméabilisation des sols est le résultat de la politique du tout voiture et de la bétonisation des villes, lesquels participent à l’accumulation des richesses, et à l’absence du partage des espaces. La ville est gourmande, mais le problème n’est pas posé : pourquoi nos villes croissent-elles sans cesse ? La ville est-elle le seul modèle vivable lorsqu’elle-même devient invivable ? Nous avons vu qu’en pleine pandémie, les plus riches repartaient à la campagne. La ville serait donc le ghetto des pauvres ?

Et puis il y a des choses agaçantes comme dans le chapitre deux lorsque l’architecte énonce « qu’il y a un attachement français à la propriété où chacun possède son jardin et sa voiture, sa buanderie ». C’est aller un peu vite et oublier que 24% des ménages possèdent 68% des logements et que 42% des ménages ne possèdent aucun logement (source Insee, 2021). Aussi lorsqu’il est question d’habitants ou de citoyens, rien n’est précisé sur leur qualité au regard de leur statut de propriétaire ou de locataire. Ce n’est pas la même chose, et « l’urbanisation douce » dont il est question et qui consiste à ajouter du bâti dans « les espaces vides » (jardin, toit, etc.) ne sera pas vécu de la même manière par un propriétaire ou un locataire. La densification douce, heureuse ou dure, reste de la densification. 

A un autre moment, l’urbaniste écrit : « nous avons pléthore d’équipements publics aux horaires d’ouverture étriqués qui pourraient servir plus ». Cette idée a été récupérée chez Carlos Moreno, qui prône l’utilisation des écoles pour d’autres activités le soir, le week-end ou pendant les vacances. Cette idée qui consiste à récupérer de l’espace est absurde et renvoie à l’idée d’optimisation de l’espace, c’est-à-dire à la densification de l’espace à travers le temps. Et comme chacun le sait, le temps c’est de l’argent. L’optimisation du temps et des lieux est une idée faussement bonne. 

D’abord parce que chaque lieu est la propriété d’une personne morale, une commune, une institution, une entreprise, et que partager l’espace nécessite de définir les responsabilités d’affectation et d’usage. Penser qu’un bureau de poste va mettre à disposition une salle de réunion après 18 heures, puis servir de réfectoire la nuit pour les personnes à la rue, et se transformer en salle de cours le week-end, renvoie à cette idée de polyvalence qui existe déjà à l’échelle communale, mais difficile à réaliser avec des bureaux. 

Reste que les propositions avancées témoignent d’un bon sens que chacun doit prendre en compte dans sa réflexion sur la « transition, bifurcation, redirection ou révolution ».

Le troisième chapitre met l’accent sur les incohérences administratives à l’échelle européenne, avec la libre concurrence des marchés. Les auteurs abordent le problème du béton, responsable des gaz à effet de serre à hauteur de 8%, et proposent de penser en termes de circuits courts, tout en insistant sur l’utilisation des matériaux biosourcés et géosourcés. Est-ce là une solution ? Comme le souligne ailleurs Aurélien Barrau, la technique n’est pas la solution à tout, un peu comme ces gens qui pensent que la science ou même Dieu viendront au secours de la civilisation (certains pensent même que les extra-terrestres viendront au secours de la Terre). La politique de l’autruche n’a jamais rien résolu. Sans un changement des mentalités et du système de valeur, il n’est pas envisageable de changer quoi que ce soit. 

Reste que ces propositions sont évidemment à prendre, car elles peuvent être à l’origine d’un bouleversement des pratiques. Le chapitre quatre aborde la question du logement neuf, et des inégalités dans les mobilités. Les cinq propositions qui clôturent ce chapitre restent clampées sur une vision néolibérale de la ville et de la construction. « Multiplier les innovations en termes de financement » revient à proposer un crédit à taux zéro pour les ménages les moins riches, et faire disparaître le sol de la propriété revient à ne faire payer que le bâti, comme en Angleterre où la propriété privée n’est jamais acquise. Mais il n’est rien dit sur le gel des loyers ni sur le contrôle du prix du mètre carré et de la spéculation foncière.

Le chapitre cinq ne propose là encore que des solutions techniques. Si la désimperméabilisation des sols devient une évidence, ou créer une nouvelle canopée, rien n’est dit sur qui habite la ville, en dehors d’une image d’Épinal de la famille modèle allant pique-niquer le dimanche dans la parc voisin. C’est intéressant de concevoir l’extérieur comme un prolongement de l’habitat, mais à qui s’adresse ce modèle ?

Disons tout de suite que je n’ai pas de solution, et que cet ouvrage abonde d’idées qu’il faut prendre en compte, qui servent de point de départ. Le sixième chapitre pourrait être qualifié de « chapitre bobo » où l’on voit la mère de jeunes enfants circuler à vélo cargo, pour aboutir à la proposition d’interdire la circulation aux abords des écoles ?? Cette injonction morale est à la fois curieuse et étrange (au sens ou curieux et étrange n’auraient pas tout à fait le même sens). De même que « créer des réseaux de pistes cyclables sécurisés à l’échelle de l’agglomération » relève d’une idée fausse en matière de déplacement et de relation vélo-voiture. Des études ont montré qu’en séparant le vélo de la voiture, on rend beaucoup plus vulnérable des vélos isolés qui choisissent de circuler sur la route. Cette dernière ne peut être la seule voie royale de la voiture, et je vois comme une contradiction à vouloir réduire ou supprimer la voiture en ville et aménager des pistes cyclables. N’y aurait-il pas intérêt, plutôt, à réconcilier le vélo et la voiture en établissant un dialogue et en rendant le vélo visible ? 

On pourrait discuter d’une donnée groupée faisant état de 438 décès entre les piétons et les cyclistes en 2019. Ce chiffre est peut-être dû à une extraction du nombre de piétons tués en 2019 (483) ajouté au nombre de cyclistes tués (187), dont moins de la moitié l’ont été à la campagne. Le « zéro accident » n’est strictement pas possible et pour avoir étudié la mortalité cycliste depuis l’instauration de statistiques, je peux dire que le nombre de tué a considérablement diminué depuis des années 1970, et qu’il apparaît comme incompressible sous un certain seuil. Ne serait-ce que parce que 70% des chutes sont le fait du cycliste seul. La chute pouvant entrainer la mort, il est impensable de vouloir réduire cette donnée à zéro. Même si, comme le prétendent nos auteurs, le vélo a le vent en poupe, et pourrait reconquérir les rues, ils restent campés sur la promotion des infrastructures sécurisées. Cela relève, de mon point de vue, plus du fantasme que de la réalité, et ne supprime pas les points chauds ou les nœuds urbains qui sont, à un moment ou à un autre, des points d’insécurité essentiels non résolus.

J’ai d’autres arguments dans ma besace, et pour celles et ceux qui souhaiteraient prolonger cette réflexion, je vous invite à lire le texte de Pierre Légaré, Rien, Stanké, 2001, pp. 36-39 (Je le déposerai un jour sur le blog).

Si le vélo peut être un bon moyen de reconquérir la ville, il ne doit pas se superposer à la voiture, mais construire un dialogue avec la voiture. L’opposition franche aboutirait au développement d’une population très réfractaire au vélo, qui ne supporte pas le vélo, et qui parfois, provoque des accidents. 

Il reste deux chapitres, et pour aujourd’hui, ce bilan est tout de même assez encourageant. Il y a des raccourcis, des approximations et des idées reçues, mais tout le mérite revient à exprimer des idées et des propositions qu’une ville apaisée sera en mesure d’écouter. 

=> Christine Leconte et Sylvain Grisot, Réparons la ville ! Propositions pour nos villes et nos territoires, Rennes : Ed. Apogée, 2022

=> Pierre Légaré, Rien, Montréal : Stanké, 2001

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