Repenser la dimension critique : à propos du 49-3

Ce blog n’a pas vocation politique. Cependant, la ville en mouvement est déterminée par le politique. Il faut donc aider les étudiantes et les étudiants à y voir clair. Pour cela, mettons en évidence quelques aspects de la rhétorique employée à des fins douteuses.
Dans son billet d’humeur sur France Inter, radio nationale, Clément Pétreault remet en cause l’idée d’un basculement vers une dictature. Voyons son argumentation et la rhétorique qu’il emploie afin de démontrer qu’il n’est autre qu’un petit soldat du néolibéralisme comme l’écrit l’anthropologue Patrick Gaboriau.
Dans son premier paragraphe, le journaliste attaque un partisan de La France insoumise à propos d’une phrase versée sur le compte Twitter. Je précise que je n’ai pas de compte Twitter. Et le chroniqueur d’affirmer : « c’est un peu rapide ».
Son argumentation repose sur l’utilisation de mots à connotation négative comme « opposants » et « bruyants » et « assez loin du coup d’État ». Qui a parlé de coup d’État sinon le journaliste lui-même. D’ailleurs avec une certaine habileté, il va retourner l’argumentation contre les opposants au gouvernement, les « bruyants », avec cette « possibilité de faire tomber le gouvernement » qui en d’autres circonstances serait un coup d’État. La question que le journaliste pose alors est de savoir s’il en sera ainsi, et si « les oppositions devront alors assumer le choix visible de la rente politique » comme si l’autre bord était dispensé d’en assumer leur part.
Comme l’écrit si bien notre auteur, ne s’agit-il, justement, que d’un combat de posture ?
La réponse se trouve sans doute dans le deuxième paragraphe. Même travail, celui qui consiste à repérer les mots employés pour qualifier un bord et son opposé. « Affaires » et « légitime » s’opposent ici à « anti- démocratique » et « opposition ». Nous avons ensuite « comédie » et « gourmandise » qui nous conduisent à l’argument central de la thèse : « champion » et « despote » en la personne d’un Premier ministre dénommé. Il s’agit donc d’une attaque ad hominem. Le journaliste nous dit que le processus du 49.3 a été utilisé 28 fois en trois ans par Michel Rocard, en omettant qu’il vient d’être utilisé pour la onzième fois en dix mois par notre ministre actuelle. Par extrapolation, si l’on résonne sur le principe de la comparaison et de l’analogie, on aboutira à 39 fois en trois ans. Le monopole du despotisme est bien actuel.
L’argumentation se fait donc par omission. De même, lorsque le journaliste précise que parmi les 28 lois votées, deux dispositifs comme la CSG et le CSA, dont l’une évoque une taxe sur les salaires et une institution de contrôle de l’audiovisuel qui au demeurant est plutôt une bonne chose, il omet les autres lois votées et met en parallèle des dispositifs sans commune mesure entre les trois textes d’Elisabeth Borne et les treize textes de Michel Rocard. Au demeurant, cinq motions de censure dans un cas contre quatorze actuellement, notre Première ministre arrive en tête sur le plan des désaccords. De plus, il évacue la dimension historique et contextuelle de ses deux mandats.
C’est-à-dire que dans la comparaison brute, le journaliste fait comme s’il se passait la même chose.
Il y a par conséquent une certaine mauvaise fois dans cet argumentaire, et la posture est ici celle du petit soldat du néolibéralisme. Voyons voir : Clément Péreault est titulaire, en 2004, d’un diplôme d’une école privée nantaise. Il entre ensuite au Point où il écrit pour les rubriques « politique et société ». Il doit un certain succès à un ouvrage couvrant les dernières élections dans lequel on peut lire une certaine idée de la France, sous la conduite de Charles Trenet, qu’il fredonne chaque jour. Durant un mois, notre journaliste a parcouru les régions dans un camping-car. « Un livre qui part à la rencontre de notre pays » écrit l’éditeur. À qui s’adresse cet ouvrage ?
Dans ce que Patrick Gaboriau nomme les petits soldats du néolibéralisme, une place est largement faite aux journalistes, dont Pierre Bourdieu disait qu’ils étaient les nouveaux chiens de garde. Ils sont censés protéger les pouvoir dominants et le système néolibéral. « Comment appeler le système politique dépendant de ces idées naturalisées en vision du monde, se demande Gaboriau. Le mot de dictature serait trop fort, car nombre de leaders qui le pratiquent sont élus. La tyrannie conviendrait davantage, ou mieux, l’autoritarisme » (pp. 55-56).
On est d’accord pour dire qu’entre Le Point et Médiapart deux idéologies s’opposent. Mais nous savons aussi qu’il n’existe pas de neutralité idéologique et que le propre de l’être humain est de vivre avec ses contradictions. Du côté de Médiapart, on s’y attendait, les avis sont plus nuancés en faveur d’une dictature. Deux contributions viennent renforcer cet argument. La première d’Alexandre Lauverjat qui pose directement la question : « En faisant passer de force sa réforme des retraites honnie grâce au 49.3, en verrouillant le débat parlementaire grâce au 47.1, en menaçant ses propres députés, Emmanuel Macron aura, une fois de plus, usé de ses stratégies les plus abjectes afin de faire taire, par tous les moyens, l’opposition d’un peuple uni. ». On verse moins dans la crédulité du chroniqueur de France Inter, et il n’aura évidemment pas suffi d’une phrase, mais d’un ensemble de « stratégies » visant à conserver le pouvoir. De ce point de vue, le coup d’État aurait déjà eu lieu.
Le deuxième billet est de Jean-Michel Guiart. En reprenant un jeu de mots, il articule sa question à un état de fait. La « dictature est en marche » nous dit-il. Effectivement ce rendez-vous avec l’histoire est en passe de se produire, et nous serons attentif aux réactions et aux manifestations de cette semaine. Soyons bon prince envers Pétreault, Guiart parle d’une « dictature molle », certes mais dictature tout de même.
En fait Patrick Gaboriau pense que gauche ou droite, ce ne sont plus des gouvernements qui dirigent la planète, mais le système financier. À l’échelle macro-économique les banques dirigent le monde, peu importe qui se place sur le trône du président ou du roi. Car « le néolibéralisme n’est pas seulement un système économique, de façon beaucoup plus large c’est une organisation sociale et culturelle » (soulignée par l’auteur) (p. 55). Aussi, Gaboriau est-il enclin à penser que : « contester ces règles et cette logique, c’est refuser de cautionner la puissance de l’argent et donc mettre des bâtons dans le dérailleur d’une mécanique bien huilée, et par là se voir discrédité par les milieux dominants » (p. 17). La boucle est par conséquent bouclée. Lorsque les idéologies s’affrontent, qu’y a-t-il d’autre à faire que de renforcer ses propres convictions ?
=> Normand Baillargeon, Petit cours d’autodéfense intellectuelle, ill. de Charb, Montréal, Lux, 2006
=> Patrick Gaboriau, Les petits soldats du néolibéralisme, Paris, Ed. du Croquant, 2022 https://blogs.mediapart.fr/jean-michel-guiart/blog/180323/la-dictature-en-marche https://blogs.mediapart.fr/alexandre-lauverjat/blog/160323/macron-la-dictature-en-marche https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/histoires-politiques/histoires-politiques-du-vendredi-17-mars-2023-4042619 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/decouvrir-l-assemblee/engagements-de-responsabilite-du-gouvernement-et-motions-de-censure-depuis-1958 Publié le 17 mars 202317 mars 2023

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